Par Dr Moez JOUDI
Nicolas Machiavel, célèbre figure de la République Florentine, a écrit son ouvrage de référence « Le Prince » alors qu’il était en pleine disgrâce. Dédié à Laurent de Médicis, sa dédicace est éloquente :
« Ceux qui désirent gagner les bonnes grâces d’un prince, ont généralement coutume de se présenter à lui avec ceux de leurs biens auxquels ils attachent le plus de prix […] Désirant donc pour ma part m’offrir à Votre Magnificence avec quelque témoignage de mon respectueux dévouement à Son endroit, je n’ai trouvé parmi mes biens rien à quoi je tienne ou que j’estime autant que la connaissance des actions des grands hommes, telle que je l’ai acquise des choses modernes par une longue expérience et des antiques par une lecture assidue »
De tout temps, les Conseillers des Princes, des Rois et autres Présidents de Républiques constituaient l’anti-chambre du pouvoir, l’éminence grise des palais, les fidèles compagnons qui apportaient les compléments d’éclairage utiles, rédigeaient des notes ou assuraient des missions ou des bons offices toujours dans l’intérêt de leurs ordonnateurs. De Machiavel jusqu’à Attali en passant par Colbert, Mazarin ou bien Kissinger et Stiglitz aux Etats-Unis, les Conseillers ont joué des rôles importants dans la vie des monarques et des Présidents qu’ils accompagnaient.
En Tunisie, de Bourguiba à Ben Ali, les éminences grises du palais de Carthage se sont succédé et certains ont laissé des traces indélébiles. Ainsi, les Allala Laouiti, Habib Bourguiba Junior mais aussi Abdelaziz Ben Dhia ou Mongi Safra, chacun a apporté sa pierre à l’édifice.L’Histoire retiendra le nom de certains d’entre eux, d’autres tomberont dans l’oubli.
Actuellement et en particulier, ces dernières années en Tunisie, la fonction de Conseiller a dévié vers de nouvelles approches où la notion d’éminence grise tend à s’effacer au profit de celle de courtisans médiocres et incompétents.Il faut dire que les dirigeants politiques, les« conseillers » eux-mêmes ne sont plus des génies ou des as de la politique ! Président ou Chef de gouvernement, ces fonctions ne sont plus désormais réservées aux plus brillantes personnalités du pays, mais aux plus populistes et aux plus inaptes.
Ces derniers temps, en pleine crise sanitaire et économique, il est sidérant d’assister à un festival de nomination de Conseillers à la Kasbah ! Des nominations parachutées et d’autres imposées avec des profils qui laissent perplexes !? Des CV vides de personnalités insignifiantes qui n’ont ni expérience ni compétences reconnues ; certaines d’entre elles sont carrément douteuses et se sont distinguées par leur irrespect des lois de la République.
De surcroit, la fonction est devenue matière à la surenchère politique, avec le rang de ministre et de secrétaire d’Etat offert à tort et à travers dans un pays qui survit grâce aux perfusions du FMI et de l’Union Européenne. Le chef du gouvernement qui demande des sacrifices du peuple et oblige les fonctionnaires à faire don d’une journée de travail tout en promettant avec son ministre des Finances, que de nouveaux impôts soient crées pour compenser la baisse des recettes budgétaires due à la décroissance économique attendue, se permet d’aligner chaque semaine une série de nominations aux titres « pompeux » et aux périmètres d’action inconnus ou ambivalents !?
Un directeur de cabinet doublé d’un chef de cabinet et une armada de conseillers et de chargés de mission !? On dit même que les nominations vont se poursuivre pour répondre aux quotas promis à chaque parti de la coalition au pouvoir ?! Parce que maintenant, outre les postes ministériels, les partis au pouvoir ont leurs parts dans les nominations dans le cabinet du chef du gouvernement ?! Y’a-t-il plus irresponsable et plus irrationnel que ça ?! Ces nouveaux postes de Conseillers et autres privilèges accordés peuvent être assimilés à des emplois fictifs et à un abus de pouvoir dans un Etat qui se respecte !!
Aujourd’hui beaucoup de citoyens, confinés dans leurs maisons, sont outrés par ces comportements déviants et cette mauvaise gouvernance ! Ils expriment leurs mécontentements à travers les réseaux sociaux et ne comprennent pas comment peut-on appeler aux sacrifices et se permettre des abus de la sorte !?
Il faut avouer que le système politique actuel est vicieux et corrompu par sa nature même et son mode de fonctionnement ! Un régime de partis qui se placent au dessus de la loi et qui se permettent toute sorte d’abus et de dépassement ! Rien ne pourra évoluer avec un régime pareil, la construction démocratique ne peut être qu’altéréeet handicapée dans son évolution dans ce contexte.
On a l’habitude de dire que « les conseillers ne sont pas les payeurs » ; cet adage connu trouve de nos jours en Tunisie une actualité brûlante : les payeurs c’est vous et moi qui devons nous saigner à blanc pour que ces conseillers à la noix de coco puissent se vautrer dans le luxe et la paresse.