- Le niveau de protection totale dans l’UE dépasse largement les niveaux de droits de douane tunisiens
- La Tunisie risque de fragiliser profondément, sa filière céréalière déjà assez fragile
L’effort asymétrique de démantèlement tarifaire dans le cadre de l’Accord de Libre Échange Complet et Approfondi entre la Tunisie et l’Union européenne (ALECA), sera essentiellement, supporté par la Tunisie, notamment en matière agricole, du fait de la différence entre les profils de régime tarifaire des deux parties », c’est ce qui ressort d’une étude intitulée » ALECA et agriculture : Au-delà des barrières tarifaires » réalisée par l’Observatoire Tunisien de l’Economie et relayée par la TAP.
L’étude démontre que » la période de transition de 10 ans, ne constitue pas une concession offerte par l’UE à la Tunisie, mais plutôt un droit dans le cadre du traitement spécial et différencié de l’OMC. En se fixant sur la durée de transition pour le démantèlement, les négociateurs tunisiens perdent de vue un autre aspect important du démantèlement tarifaire « .
« En effet, les droits de douanes appliqués par la Tunisie sont largement supérieurs à ceux appliqués par l’Union Européenne, exception faite du sucre et des sucreries. Ainsi, quelle que soit la durée de transition sur laquelle les deux parties se mettront d’accord pour le démantèlement tarifaire tunisien, c’est la Tunisie qui fournira le plus gros effort de démantèlement tarifaire, au vu de la forte protection tarifaire aujourd’hui en vigueur, pour le secteur agricole tunisien ».
La Tunisie et l’Union Européenne n’emploient pas le même mode de protection de leur agriculture
Et d’expliquer « cette différence vient du fait que la Tunisie et l’Union Européenne n’emploient pas le même mode de protection de leur agriculture. Alors que la Tunisie protège son secteur agricole essentiellement, à travers la mise en place d’un régime douanier élevé (avec une moyenne de 30% environ), l’Union Européenne a déjà démantelé en grande partie son régime douanier et se protège en utilisant différentes stratégies complémentaires : soutien interne, valeur forfaitaire à l’importation, normes sanitaires et phytosanitaires « .
Ainsi, l’effort de démantèlement tarifaire sera donc moins lourd pour l’Union Européenne et aura des conséquences plus faibles sur son marché interne, car elle protège son secteur agricole avec d’autres outils. En effet, grâce à la générosité de son système de subvention agricole, l’UE adopte ainsi une arme doublement efficace et protège son marché intérieur beaucoup plus via sa politique de subvention, qui lui permet de baisser artificiellement, ses prix intérieurs, que via son régime tarifaire.
« Depuis 2011, le taux de dumping du maïs et de l’orge européens se situe autour de 40% et celui du blé, du malt et des amidons et fécules se situe plutôt de 20 à 30%. Ainsi, bien que la Tunisie importe en grande quantité une partie de ses besoins en céréales, tels que le blé dur, le blé tendre et l’orge, une potentielle libéralisation des tarifs douaniers aggraverait d’autant plus la dépendance en céréales de la Tunisie, particulièrement pour l’orge dont on estime que le taux de dumping avoisine les 40% ».
Les négociations passent à côté des plus grands enjeux
En effet, les importations céréalières représentent une part qui se situe entre 40 et 50% des importations agricoles de la Tunisie. Ainsi, les subventions européennes sous forme de paiements directs permettent de rendre beaucoup plus compétitives les exportations de produits céréaliers européens, notamment dans les pays où les besoins d’importation en céréales, sont élevés comme la Tunisie. D’autre part, d’un point de vue défensif, ces subventions permettent d’élever le niveau de protection totale de la production céréalière européenne.
Pour les autres produits, notamment l’orge, le malt, les amidons et fécules, l’étude souligne que le niveau de protection totale dans l’UE, dépasse largement les niveaux de droits de douane tunisiens. « Si nous prenons l’exemple de l’orge, nous voyons que le niveau des droits de douane européens à 9,1%, masque une protection beaucoup plus élevé, en prenant en compte de l’effet des subventions. Ainsi, dans le cas d’une libéralisation des échanges pour l’orge, l’effet de dumping fragilisera la production tunisienne d’orge tandis qu’elle protègera fortement, la production européenne ».
« Cette estimation démontre que les négociations de l’ALECA pour le secteur agricole, en laissant de côté l’effet du soutien interne de l’UE, passent à côté des plus grands enjeux. En se focalisant uniquement, sur le démantèlement tarifaire dont les niveaux sont plutôt bas pour la partie européenne, la Tunisie risque de fragiliser profondément, sa filière céréalière déjà assez fragile ».
S’agissant des produits laitiers, l’étude montre que « les niveaux de dumping pour ces produits sont importants mais restent inférieurs aux niveaux estimés pour les produits céréaliers. Ces niveaux de dumping sont à prendre en compte dans le cadre d’une crise de la filière laitière qui frappe la Tunisie depuis 2015 ».
Favoriser une approche par liste positive
Les auteurs de cette étude recommandent de ne pas négocier un accord de libre échange pour le secteur agricole, tant que la question du soutien interne de l’UE n’est pas clarifiée au niveau de l’OMC. En d’autres termes, ne pas démanteler des lignes tarifaires de produits bénéficiant du soutien interne de l’UE et notamment les produits céréaliers, les produits laitiers, les viandes rouges et blanches, la volaille et les œufs, et ce, jusqu’à ce que la question du soutien interne de l’UE soit clarifiée au niveau de l’OMC.
Ils ont aussi, recommandé de négocier des régimes préférentiels au cas par cas comme pour l’huile d’olive, les crevettes ou le thon pour exporter dans l’UE et favoriser une approche par liste positive qui s’inscrit dans la continuité de l’approche suivie par la Tunisie jusqu’ici.