- La Justice tunisienne estime : les investigations seraient très longues, l’ONU réclame la libération immédiate
- La défense : « L’affaire prend des allures politiques… »
Arrêté le 26 mars 2019 à son arrivée à l’aéroport Tunis-Carthage en provenance de Rome, et détenu depuis, l’expert tuniso-allemand de l’ONU se trouve, désormais depuis une cinquantaine de jours, à la prison de Mornaguia suite à un mandat de dépôt émis à son encontre par le juge d’instruction pour « espionnage et remise de documents sensibles touchant à la sécurité nationale » à un pays tiers, des accusations passibles, théoriquement, de la peine capitale.
La défense de l’accusé, plus précisément, l’avocate Sarah Zaâfrani, a bien voulu nous fournir les derniers développements du dossier. Elle révèle, pour la première fois, « qu’elle est de plus en plus convaincue que l’affaire a pris des allures politiques ».
« Sinon, comment expliquer le mutisme des autorités judiciaires face aux différentes et multiples requêtes de la défense, commence t-elle par dire avant d’ajouter que la demande de la défense d’une libération de l’accusé en attendant la poursuite de l’enquête a traîné en longueur sans avoir la moindre réponse »
Or la défense avait besoin d’une suite, même négative pour pouvoir interjeter appel auprès de la Chambre des mises en accusation près la Cour d’Appel de Tunis. « Et suite à notre insistance, indique l’avocate, le juge d’instruction a fini par nous indiquer que l’absence de réponse devait être interprétée comme étant un refus de libération…. »
…Qu’à cela ne tienne, un recours en appel a été introduit, il y a près de deux semaines, qui reste, jusqu’à présent, sans la moindre réponse, affirme Me Zaâfrani, avant de préciser que le juge d’instruction, chargé de l’enquête et parti en congé, lui a précisé que les investigations demanderaient énormément de temps car il y a un très grand nombre de documents trouvés au domicile de l’accusé, et comme ils sont rédigés, en grande partie, en allemand, il va falloir en avoir, d’abord, une traduction intégrale… ». Or, d’après l’avocate, « leur traduction exigerait un temps qui pourrait s’avérer interminable.. ».
Plus encore, l’avocate assure que « la réponse des services officiels de l’Organisation des Nations Unies (ONU) et à leur tête le secrétaire général, aux documents qui lui étaient adressés par les autorités judiciaires tunisiennes, est parvenue, en début de la semaine en cours, au ministère tunisien des Affaires étrangères et à celui de la Justice, disant que toutes les charges évoquées ne reposent sur aucun argument, ni preuve solides et exigeant, par conséquent, la libération immédiate de l’expert Moncef Kartas… ».
En bref et clair, l’ONU réclame à Tunis l’abandon des accusations contre son expert arrêté en mars surtout que l’organisme onusien persiste à dire que l’expert bénéficie, bel et bien, de l’immunité internationale, ce que conteste la Justice tunisienne en assurant que l’accusé ne jouit pas de ladite couverture immunitaire.
L’ONU demande, donc à la Tunisie, «d’abandonner les accusations» d’espionnage portées contre son expert sur la Libye Moncef Kartas qui «doit être libéré immédiatement», a affirmé hier mercredi le porte-parole du S.G. des Nations Unies, Stéphane Dujarric.
L’autre face de cette affaire est que la Tunisie, candidate à un poste de membre non-permanent du Conseil de sécurité de l’ONU pour la période 2020-2021 «a un gros problème», estime la même source onusienne. Selon un diplomate, Tunis a déjà perdu la voix de l’Allemagne (membre non permanent du même Conseil depuis janvier). Si l’Union européenne suivait cette position lors de l’élection prévue le 7 juin à l’Assemblée générale de l’ONU pour renouveler les cinq membres non permanents, il n’est pas acquis que la Tunisie, seule candidate au nom du groupe africain, l’emporte, précise ce diplomate.
Bon à rappeler que, selon son avocate, Me Zaâfrani, «l’un des principaux éléments à charge est un appareil» trouvé en sa possession et «donnant accès aux données publiques concernant les vols d’avions civils et commerciaux». Cet appareil, un RTL-SDR, soumis à une autorisation en Tunisie, lui servait «uniquement pour la surveillance du trafic aérien à destination de la Libye, afin d’identifier les vols susceptibles d’être liés à des violations de l’embargo sur les armes», explique son avocate.
Ainsi, comme on le constate, les thèses du pouvoir judiciaire tunisien semblent encore très loin les unes des autres, ce qui risque qu’elles entrent en escalade avec des conséquences sérieuses et imprévisibles dans le sens où notre justice pourrait être confrontée et à l’ONU et à l’Union européenne, au cas où les pays de l’Union seraient solidaires avec l’Allemagne, dans le sens où l’accusé appartient à l’ONU qui le considère comme étant un membre brillant de ses équipes d’experts, tout en étant de nationalité allemande et marié avec une Allemande.
Noureddine Hlaoui