-
Alors que le Journal officiel français l’a annoncé, Youssef Chahed finit par avouer qu’il gouvernait la Tunisie en tant que citoyen tuniso-français
Il ne se passe pas un jour sans que la scène nationale ne soit marquée d’un fait qui sort de l’ordinaire ou par une surprise, surtout en ces temps où les regards sont braqués sur tout ce qui touche aux préparatifs des échéances électorales, en l’occurrence la présidentielle et les législatives.
Après les fake news visant, à des degrés divers, les principaux candidats, voilà que la « bombe » est sortie, aujourd’hui, de La Kasbah où le chef du gouvernement, Youssef Chahed, qui suit l’adage, « j’y suis, j’y reste », révèle à l’opinion publique, pour la première fois qu’il était jusqu’aujourd’hui, binational.
« J’étais titulaire d’une deuxième nationalité mais j’y ai renoncé avant de présenter ma candidature à la présidentielle », a mentionné M. Chahed dans un post sur sa page officielle personnelle Facebook.
Il faut dire que Youssef Chahed a « bien caché son jeu», comme on dit, dans la mesure où cette information n’était pas connue avant qu’il ne la divulgue, ce mardi, à travers ledit post.
Le chef du gouvernement écrit en substance : « L’article 74 de la Constitution stipule que tout candidat à la présidence de la République titulaire d’une autre nationalité doit présenter un engagement d’abandon de la deuxième nationalité à l’annonce de son élection. Comme des centaines de milliers de Tunisiens ayant résidé et travaillé à l’étranger, j’étais titulaire d’une deuxième nationalité que j’ai abandonnée avant de présenter ma candidature. Les postulants à la magistrature suprême ne doivent pas attendre leur élection pour le faire. J’invite tous les candidats dans cette situation à faire de même ».
Ainsi, après avoir caché ce fait des années durant, le chef du gouvernement a fini par l’avouer. Mais, coïncidence étrange, cet aveu est intervenu le jour même – ce mardi du 20 août 2019 – où la renonciation a été annoncée au Journal officiel français sous la formule suivante : « Youssef Chahed est libéré de son allégeance à la France… ». Et c’est la date de naissance mentionnée correspondant effectivement à celle du chef du gouvernement, qui a fini par confirmer la véracité de l’info.
Car il faut bien préciser que M. Chahed a parlé, juste, d’une deuxième nationalité tout en exhortant, voire tançant, les autres candidats à la magistrature suprême, à en faire de même et ne pas attendre la proclamation des résultats de l’élection, alors que la loi ne l’exige pas à ce stade. C’est dire que le chef du gouvernement découvre que les valeurs morales ont la suprématie par rapport aux lois !
En tout état de cause, c’est seulement après trois ans que les Tunisiennes et les Tunisiens découvrent que la Kasbah était occupée et dirigée par un citoyen tuniso-français. Une question en passant : Pourquoi cette façon de faire les choses en catimini ? La fameuse déclaration à la télévision accusant Hafedh Caïd Essebsi d’avoir démoli Nidaa Tounès avait été faite un soir lorsque le défunt Président de la République se trouvait à l’étranger.
Le fameux vaste remaniement ministériel de fin 2018 avait été décidé tout seul sans en informer le président de la République, juste 5 minutes avant de prendre l’avion pour une mission à l’étranger. Le parti Tahya Tounès avait été formé sans jamais dire qu’il était le parti du chef du gouvernement. Leila Chettaoui et Sahbi Ben Fraj affirmaient que la présidence de Tahya Tounès n’était pas décidée même si c’état un secret de polichinelle. Et la candidature de Chahed à la magistrature suprême était la dernière à être connue.
A noter qu’être titulaire d’une double nationalité pour les postulants à la magistrature suprême a longtemps suscité une polémique sur la scène politique tunisienne avant qu’elle ne soit tranchée dans la Constitution de 2014 (article 74), sous la houlette du parti islamiste d’Ennahdha qui comprend, dans ses rangs, le plus grand nombre de binationaux
Ainsi, des candidats à la présidentielle 2019 sont titulaires d’une double nationalité. On cite notamment, Hechmi Hamdi, président du Courant Al-Mahaba, citoyen britannique,et Mehdi Jomaâ, président du parti Al-Badil et ancien chef de gouvernement, citoyen français.
Sans oublier le cas des députés de l’ARP, pour la plupart d’Ennahdha, qui bénéficient de cette double nationalité avec tous les risques de conflit d’intérêts que cela peut engendrer.
Bon à rappeler la position tranchée adoptée par l’écrivaine et universitaire Olfa Youssef un certain dimanche 7 février 2016, dans une interview accordée au journal Le Temps : « Je suis contre le fait que les binationaux exercent la politique dans leur pays d’origine. Je crois que le problème du binationalisme doit-être posé au niveau mondial. Je sais que je vais m’attirer les foudres des binationaux, mais la question, pour moi, est la suivante : « quel est le conflit d’intérêt qui se pose à un binational quand il exerce la politique dans son pays d’origine? Je ne crois pas que cela soit du pur hasard que la plupart de ceux qui ont pris le pouvoir après le 14 soient des binationaux… ».
Olfa Youssef a salué, dans le même contexte, la position adoptée par l’Algérie dans sa nouvelle Constitution qui interdit ceux qui portent la double nationalité de prendre des responsabilités au sein de l’Etat.
Il faut noter que la majorité des Etats du monde interdisent la fonction suprême à un binational. La question de la binationalité est aussi largement débattue depuis quelques années en France où on pense sérieusement à son interdiction.
Noureddine HLAOUI