Eléments importants du patrimoine historique national et reconnus officiellement comme tels, les grands bains maures traditionnels de la Médina de Tunis risquent, toutefois, de connaitre le sort des anciennes salles de Cinéma de la Capitale qui, malgré une protection juridique officielle, avaient fini par être reconverties en simples locaux d’habitation et de commerce et disparaître à jamais de la scène.
Subissant la concurrence des moyens modernes, ces bains maures traditionnels de la Médina de Tunis, ou hammams en arabe, connaissent encore une certaine affluence de la part des riverains en particulier, car, comme leurs gérants nous l’ont dit, le bain maure est appelé, par les Tunisiens, « le médecin muet », pour ces nombreuses vertus thérapeutiques qui sont réelles, car, outre le bain à l’eau chaude, ces établissement offrent des services de massage traditionnel très appréciés par les usagers. Un gérant nous a dit que des Tunisiens résidents en Europe lui ont déclaré les préférer aux saunas et spa des hôtels touristiques.
Quelques uns de ces établissements continuent à chauffer l’eau au feu de bois.
Ancienneté historique
Mais, au-delà de cette fonction hygiénique, les bains maures traditionnels de la Médina de Tunis se distinguent par leur ancienneté historique qui les a habilités à acquérir officiellement le statut de monuments historiques, au point que leur restauration doit être obligatoirement supervisée par le ministère de la culture. Toutefois, rien n’est fait sur ce plan alors que leur aspect extérieur autant que leur cachet recommandent un soin particulier et une mise en valeur à la mesure de leur statut.
Le bain maure de Sidi Mehrez jouxtant le mausolée de ce saint patron de Tunis, et celui du souk El Grana, à quelques cinq cent mètres plus loin, ont plus de 1000 ans d’existence, c’est-à-dire qu’ils ont été construits longtemps avant l’époque des rois hafsides, bâtisseurs du centre de Tunis appelé El Hafsia, dans lequel se trouvent les deux bains mentionnés et auquel se ramène la Médina de Tunis.
Un des murs du bain du souk El Grana porte une inscription en arabe qui indique la date de construction de ce bain selon le calendrier hégirien et qui correspond à l’an 988 de l’ère chrétienne. On y lit que ce bain a été édifié par le grand Cadhi de Tunis pour être consacré gratuitement aux pauvres et aux démunis.
Le bain maure de Sidi Mehrez a aussi plus de 1040 ans d’existence tandis que l’un de ses murs cache le tombeau du cheikh Khalef, père de Sidi Mehrez qui naquit vers 950 de l’ère chrétienne.
Cependant, ces deux bains maures sont perdus entre les échoppes des commerçants et à peine le visiteur non averti peut-il se rendre compte de leur existence.
Un peu plus récent, le bain maure de Hammam Rémimi, d’après le nom de la rue où il se trouve du côté du quartier Bab Souika, a été construit en 1254, soit au début de l’époque hafside. Autre grand bain maure traditionnel de la Médina de Tunis, le bain maure de Youssef Saheb Ettabâa, du côté des quartiers de Bab Souika et Halfaouine, a plus de 270 ans. Il a été édifié par ce ministre connu des Beys de Tunis du 19ème siècle, à côté de la mosquée qui porte son nom. L’Islam accorde une grande importance à l’hygiène corporelle et commande la pratique des ablutions et dans certains cas le bain avant les prières.
Menaces
Mais, tous ces grands bains maures traditionnels de la Médina de Tunis sont exposés à diverses menaces dont les problèmes de succession entre héritiers. Le bain maure de la rue du Diwan, qui a plus de 700 ans d’existence, est resté fermé, dernièrement, pendant 30 ans pour cette raison et il a failli en souffrir sérieusement sans son rachat par l’un des héritiers résident aux Etats Unis d’Amérique.
Ces bains maures traditionnels avaient été aussi menacés par des interventions déplacées de la part des services d’hygiène du ministère de la santé publique et des municipalités qui leur avaient imposé, un jour, des restaurations et des modifications contraires à leur cachet historiques, outre l’interdiction de l’usage des serviettes communes, encore que cette dernière mesure puisse se justifier. Mais des gérants nous ont dit que ces interventions étaient instrumentalisés et visaient des buts inavoués, de sorte qu’elles peuvent se renouveler.
Salah Ben Hamadi