Par Abdelaziz KACEM
En d’autres temps, dans un pays apaisé, je me serais consacré à d’autres échafaudages de l’esprit. Je ne suis pas le seul écrivain à être détourné de sa vocation. Mais l’actualité n’arrête pas de me ramener au centre de la crise. Je me prends parfois pour un acteur, un protagoniste, alors que mon statut d’intellectuel, en cette Tunisie usurpée, me cantonne dans le rôle d’un badaud quelque peu averti.
L’arrivée impromptue du tyran du Bosphore, accompagné de son ministre de la Guerre et de son redoutable directeur des Services Spéciaux, créateur tout-puissant de Nosra et Daech, scandalise et épouvante, au plus haut point, la majorité du peuple tunisien.
Que puis-je y ajouter ? Agacée, la présidence de la République est obligée de préciser que « la Tunisie n’acceptera jamais d’être membre d’une quelconque alliance ni qu’un pouce de son sol soit sous une souveraineté autre que tunisienne ». Cela n’a pas suffi à rassurer. D’aucuns parlent d’accord secret. Je n’y crois pas.
Cependant, par solidarité avec le Nord de la Syrie cruellement occupé par la soldatesque néo-osmanlie, il eût été plus judicieux de reporter cette importune présence sur nos terres. Par solidarité aussi avec les journalistes, les magistrats, les enseignants, les médecins, les cadres supérieurs de l’armée et de l’administration, incarcérés par lettres de cachet. Le pseudo-coup d’État de juillet 2016 a fourni au parangon de la démocratie islamiste, l’occasion d’emprisonner ou d’ostraciser des dizaines de milliers de personnalités turques.
Ne l’oublions pas, le nouveau Grand Turc, avec ses démangeaisons califales, croit avoir suffisamment investi en Tunisie, et pas seulement dans l’espace contrôlé par Ennahdha, pour que son voyage prenne l’allure d’une visite d’inspection visant à recueillir l’allégeance renouvelée de l’ancienne régence.
À vrai dire, la Turquie aussi bien kémaliste qu’islamiste n’a pas réussi à faire son deuil de l’hégémonisme ottoman perdu. Sa reconnaissance d’Israël et son adhésion à l’OTAN ne sont que des moyens d’assurer ses arrières. Nasser le savait, qui a toujours soutenu la Grèce et Chypre.
L’histoire n’est pas un éternel recommencement. Mais elle a ses invariants et les mêmes causes produisent toujours les mêmes effets.
Le régime islamiste turc est derrière tous les malheurs qui se sont abattus et qui ravagent encore des pays frères : l’Irak, la Syrie et la Lybie. Les pays du Golfe ne sont que des comparses dans nos tragédies ; tout au plus, le tiroir-caisse du terrorisme jihadiste géré par Erdogan, lequel est, en plus, surnommé le Voleur d’Alep, pour avoir confié à ses proches, et par Daech interposé, d’organiser le vol du pétrole syrien, le démantèlement et le transfert en Turquie de quelque trois mille usines et fabriques de « Cheikh Najjar », la zone industrielle de la deuxième grande ville, après Damas.
Pour mémoire, un siècle durant, de Tahtawi (1801-1873) à Taha Hussein (1889-1973), l’intelligentsia arabe, dans un effort colossal, s’attela à jeter les bases de la Nahdha ou Renaissance arabe, la vraie. Cette gigantesque entreprise intellectuelle visait essentiellement à réinjecter une sève nouvelle dans les veines de la culture arabe que les « ‘Usûr al-inhitât » (siècles de la décadence) avaient littéralement desséchée. Or, cette sombre période est bien délimitée : de 1517 à 1917, les quatre siècles que dura l’appartenance du monde arabe au califat ottoman…
Lors d’un précédent voyage, il y a juste deux ans, les 26-27 décembre 2017, Erdogan était l’hôte de BCE. Au Palais de Carthage, se comportant en territoire conquis, l’encombrant visiteur fit, en guise de salut, le signe frériste vengeur de Rab‘a (quatre doigts dressés et pouce replié à l’intérieur de la paume). La réaction du Président Béji ne se fit pas attendre : « Ni deux, ni trois, ni quatre, ni cinq, dit-il, le drapeau tunisien est UN ».
Pour conclure, il est vital, c’est-à-dire extrêmement urgent, pour les autorités tunisiennes de reprendre contact avec le président du parlement libyen élu, Akila Salah, le premier ministre Abdallah Théni et le général Khalifa Haftar, en tant que partie incontournable du conflit et, résolument, décidée à extirper le daéchisme, toujours à nos portes.
A.K