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Kaïs Saïed a commis une erreur monumentale en « humiliant » le président du Parlement ! La main de Youssef Chahed ?…
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Non, Monsieur le Président, vous n’êtes plus l’assistant à la faculté de droit !
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Le professeur Slim Laghmani contre l’approche et l’interprétation faites par le chef de l’Etat
Une scène surréaliste s’est produite dans la soirée du lundi 18 février 2020 au Palais de Carthage où le président de la République s’est départi de son rôle de président de tous les Tunisiens pour réendosser le costume d’assistant à la faculté de droit muni des deux textes de la Constitution en arabe et en « ifranji » pour rappeler à Rached Ghannouchi, président de l’Assemblée des représentants du peuple et président d’Ennahdha, les dispositions et l’esprit de ladite Constitution.
Or, Kaïs Saïed avait-il besoin de cette mise en scène pour fournir des explications du contenu de la Constitution ? Un président de la République avait-il la latitude de répondre à des faits de coulisses avec cette solennité ?
Tout d’abord, le président de la République est le garant de la Constitution et de son application mais il n’est pas dans ses prérogatives de faire des interprétations et il n’est sûrement pas le plus spécialisé en la matière, des experts plus calés peuvent le faire alors que lui est appelé à veiller sur la bonne application de ses textes.
Et puis, franchement, la forme n’y était pas du tout. Outre le fait qu’un communiqué ou aurait suffi, M. Saïed s’est mêlée d’une polémique autour de simples déclarations de membres du parti d’Ennahdha, ce qui n’est pas du tout une position officielle de ce parti. Est-il logique et sain que le chef de l’Etat descende au niveau de propos lancés à titre individuel ?
Ensuite, pourquoi cette mise en scène, filmée, en présence du chef du gouvernement sortant qui, en apparence, selon les images, se délectait de la tournure prise par l’audience alors que Rached Ghannouchi n’a pas bronché et n’a prononcé aucun mot qui fait régner le mystère sur les réactions qu’il peut avoir dans les jours à venir, surtout que M. Saïed s’entêtait à fixer du regard, le patron d’Ennahdha…
Et la question qui se pose : Tel qu’on le connaît, Rached Ghannouchi laissera-t-il passer cette humiliation sans « punir », un jour ou l’autre, son auteur ? Probablement pas, surtout que le « Cheikh » a l’habitude de faire le dos rond lorsqu’il le faut avant de rebondir.
Kaïs Saïed a, selon les observateurs, outrepassé son champ de compétences, sort de ses domaines réservés et continue son jeu d’instigateur dans la politique gouvernementale Il est président. Il n’est pas juge constitutionnel et il a perdu le droit de l’être en renonçant à sa neutralité politique d’arbitre garant de la Constitution en prônant la politique de l’exclusion imposée à Elyès Fakhfakh sous l’impulsion d’autres à la manœuvre.
Quant à la thèse voulant que le président de la République soit le seul capable et autorisé à interpréter la Constitution est erronée, car imaginons un seul instant que le président de la République ne soit pas un juriste.
Et puis encore, selon le professeur Slim Laghmani qui, dépasse de loin, académiquement parlant, l’assistant Kaïs Saïed, assure que rien n’interdit le recours à l’article 97 de la Constitution permettant une motion de censure à l’encontre du gouvernement de M. Chahed dans le sens où la qualité de chef de gouvernement de gestion des affaires courantes n’a aucune existence officielle et écrite puisque cette procédure a été faite verbalement.
Slim Laghmani ajoute que ce qui a été dit par M. Saïed n’est pas une interprétation, mais une décision puisque seule la Cour constitutionnelle est habilitée à émettre des avis. D’ailleurs, ajoute-t-il en insistant, que le jour où cette Cour venait à voir le jour, elle sera habilitée à annuler la décision du chef de l’Etat. C’est dire que Kaïs Saïed a mis les pieds dans le plat en prenant une « décision erronée » en véritable « dictateur ».
Pour revenir à l’audience d’hier, tout porte à croire qu’elle a eu lieu sur instigation de Youssef Chahed qui défie et nargue Ennahdha, à ce propos, en reprenant une boutade en arabe utilisée par feu Béji Caïd Essebsi : « Si le champ vous est dégagé, alors pondez et faites éclore… » (ًإن خلا لك الجو فبيضي و فرخي ً).
Ainsi, tous les recoupements mènent à l’implication de Youssef Chahed qui semble se démener pour garder un rôle d’acteur sur la scène en dépit de son poids politique trop faible, son parti Tahya Tounès étant classé derniers parmi les autres présents à l’ARP avec, uniquement, 14 sièges.
Les dernières péripéties des développements politiques depuis le bras de fer avec feu Béji Caïd Essebsi, ont prouvé, selon les faits et les avis des autres acteurs sur la scène, que Youssef a, souvent, été non reconnaissant à ses bienfaiteurs et à ceux qui l’ont soutenu. Qu’on en juge…
Après avoir été sorti de l’anonymat par BCE en le désignant à la tête de la Commission de Treize pour consolider le poids de Hafedh Caïd Essebsi avant de le faire entre au gouvernement et aboutir par être nommé à la tête du gouvernement.
Mais il a fini par créer son propre parti et de se poser en adversaire, voire carrément en ennemi, de son bienfaiteur qui avait qualifié ce comportement « d’ingratitude » (lou’m). Et d’un !
D’autre part, après un soutien inconditionnel de la part d’Ennahdha, Youssef Chahed s’est complètement démarqué de ce parti en le laissant tomber et en participant activement à la chute du gouvernement Jemli en s’alliant, passagèrement, à Nabil Karoui, « l’ennemi d’hier ». Comme quoi, il est prêt à s’allier avec le « diable » juste pour parvenir à ses fins. Et de deux !
Et pas plus tard qu’hier, il a été présent à une scène humiliante pour son autre bienfaiteur Rached Ghannouchi qui l’avait « sauvé » d’un désaveu humiliant, sans oublier que Youssef Chahed a été l’unique à proposer Elyès Fakhfakh pour être son candidat pour la formation du gouvernement, et ce dans un souci de prendre le cortège de Kaïs Saïed. Et de trois !
En effet, ce n’est pas un hasard que Tahya Tounès soit le seul parti à proposer M. Fakhfakh, un processus prémédité, selon les analystes, entre le président de la République et le chef du gouvernement sortant qui croit, ainsi, avoir de sérieuses chances de rester sous les projecteurs et, pourquoi pas, en profiter pour avoir un poste officiel au sein des rouages officiels.
En tout état de cause, en se trouvant impliqué au cœur de toutes les manigances, Youssef Chahed confirme la triste réputation qu’il s’est fait consistant à ne reculer devant rien pour la réalisation de ses objectifs et de ses ambitions, souvent, inconsidérées.
Noureddine HLAOUI