Pr Abdellatif Chabbou avec l’ambassadeur de Chine en Tunisie, Wang Wenbin (2018)
-
La fermeture des frontières du pays aurait pu être appliquée plus tôt avec confinement obligatoire des rapatriés tout comme ceux en provenance de la Chine
-
On sait quand instaurer le confinement, mais on ne sait pas quand exactement il faut l’arrêter
-
Avec 50% de personnes immunisées, l’épidémie peut être jugée comme maîtrisée
-
Pour notre pays, le facteur température, si le temps sera chaud, jouera en notre faveur
-
La chloroquine est une possibilité thérapeutique et non un protocole référentiel. De nouvelles études sont indispensables.
commun des citoyens connaît pas ou peu d’indications scientifiques précises sur le Coronavirus, sur l’efficacité du traitement contre sa propagation en Tunisie et sur les hypothèses quant à la durée de son déclin.
Pour en savoir mieux et plus, justement, Univers News a eu une rencontre avec Pr Abdellatif Chabbou du Laboratoire de recherche sur les maladies respiratoires et le tabagisme et ancien Chef de service à l’hôpital Abderrahmane Mami de l’Ariana qui a bien voulu répondre aux interrogations que peuvent poser les Tunisiens. Longue mais intéressante et instructive interview…
Après près de 40 jours depuis l’annonce du 1er cas de contamination au Coronavirus et plus de 2 semaines de confinement, pensez-vous que les autorités se sont prises à temps pour lutter contre le virus ?
Quand on retrace la chronologie de la riposte au SARS-2 Covid-19 en Tunisie, on s’aperçoit qu’assez tôt dès l’apparition des premiers cas en Chine, des mesures de préparation et de prévention proactives ont été mises en place par le ministère de la Santé visant à retarder au maximum l’importation de cas en Tunisie, la stratégie privilégiant la prévention par l’information, l’éducation et la sensibilisation,
On note qu’à partir du 22/01/2020, tous les passagers en provenance de Chine et puis ceux revenant des autres zones à risque quelle que soit leur nationalité ont été auto-isolés à leurs lieux de résidence et suivis quotidiennement par téléphone pendant 14 jours par une équipe de l’ONMNE et les cellules de veille régionales qui assurent aussi la sensibilisation et l’éducation sur le respect des conditions d’isolement.
A la date du 28 février 2020, 911 passagers étaient concernés mais aucun cas confirmé n’a été signalé parmi ce groupe.
De même, 10 citoyens tunisiens ont été rapatriés de Wuhan et placés dans un centre d’isolement médicalisé. Tous étaient virologiquement négatifs.
Par la suite, la déclaration du premier cas le 02 mars 2020 et la succession des cas suivants importés puis autochtones, et alors que l’on se situait à la phase 2, la décision de distanciation sociale et confinement général qui pouvait sembler disproportionnée était à notre avis adéquate, pour tenter de prévenir ou de ralentir la propagation du nouveau coronavirus COVID-19 en Tunisie,
Bien plus que sa nature, c’est son timing jugé précoce qui constitue l’élément le plus garant de barrière anti diffusion du virus.
Elle a été prise suite à une concertation entre épidémiologistes, cliniciens, statisticiens, basée sur une étude de modélisation épidémiologique.
La fermeture des frontières du pays annoncée le 16 mars 2020 aurait pu être appliquée plus tôt avec confinement obligatoire des rapatriés tout comme ceux en provenance de Chine, surtout qu’au 28 février 2020, l’Italie très proche était le pays le plus touché parmi ceux de l’Union Européenne. Le 10 mars, toute l’Italie est placée en confinement et la barre des 10 000 cas est dépassée avec 10 149 personnes infectées, dont 631 morts.
Il était judicieux d’avoir tiré avantage de l’évolution de la situation dans les pays qui nous ont précédés et des choix prévisionnels qui y ont été faits quant à l’escalade dans la riposte restée peu anticipatrice.
L’essentiel ne réside pas tant dans la nature de la stratégie adoptée, mais dans sa précocité par rapport à la situation épidémiologique et le degré d’adhésion de la population et son respect des mesures prises par les autorités.
En votre qualité d’éminent spécialiste en pneumologie, comment évaluez-vous l’évolution de la pandémie ? Etat actuel des lieux, durée de la crise sanitaire, possibilité de retour ou de mutation du virus…. ?
Le monde entier fait face une crise sanitaire sans précédent en raison de la diffusion du Coronavirus du Covid-19 et aucun pays n’est épargné avec 203 pays touchés
Le vendredi 10 avril, le virus Covid-19 a touché 1.698.000 cas confirmés et a fait au total 101.753 morts dans le monde.
Désormais la barre des 100 000 décès dans le Monde à cause du Covid-19 est dépassée
Il faut signaler que les données sont en train d’évoluer d’une façon très rapide qui fait que les données publiées à un instant donné sont vite dépassées
La majorité des pays en tête du nombre de cas confirmés sont tous de la zone Europe joints par les USA, la Chine et l’Iran.
Le fait de connaître la durée de la crise aurait l’avantage d’éviter que le système de santé ne soit débordé et permet à un pays de se préparer et renforcer ses capacités de riposte
Mais pour confirmer la tendance à la stabilisation voire la diminution du nombre de nouveaux cas, il faut se baser sur la moyenne du nombre de cas de 5 jours successifs
Par ailleurs, l’un des indicateurs qui mesure l’impact de le l’épidémie sur le pays c’est le taux de mortalité, soit le ratio du nombre de décès sur le nombre de cas confirmés
Certesة tous les pays sont en train d’utiliser les mesures les plus drastiques pour réussir le confinement et donc réduire la circulation du virus. C’est la seule mesure possible
L’extinction d’une épidémie se fait dans 3 conditions
- L’agent infectieux a touché un maximum de personnes conférant un pourcentage d’immunisation assez élevé au sein de la population avoisinant les 80%
Le virus sera stoppé par la barrière immunologique générale naturelle de la population
- Ou bien il y a un traitement efficace tuant le virus, c’est la réponse médicamenteuse ou pharmacologique
- Ou bien il y a un vaccin efficace conférant rapidement en quelques semaines une immunité à la population. On rejoint le premier cas mais rapidement et sans risque de maladie
- Or pour le virus du covid-19, la seule possibilité actuelle est d’arriver à ce que la population soit immunisée par le contact avec le virus
- Pour les pays ayant subi l’onde de choc du pic de nombre de contaminations et de personnes atteintes, la diminution du nombre de cas sera relativement précoce permettant d’espérer l’extinction de l’épidémie au bout de 3 à 6 mois voire une année
- Pour les pays ayant pris tôt les mesures barrière et réussi à « raser » la courbe d’évolution du nombre de cas et donc évité le pic, l’immunisation de la population sera étendue dans le temps, plus lente, et la disparition du virus plus lente aussi
Les mesures barrières qui se sont avérées efficaces dans les simulations informatiques sont essentiellement
- L’isolement des malades et des contacts
- – l’interdiction des rassemblements de population et contacts étroits et en grand nombre
- Ces modèles mathématiques ne semblent pas être en faveur des restrictions de voyages et des déplacements
- A notre avis, en se basant sur le cas de l’Italie et de la Tunisie, ces mesures restrictives des déplacements sont aussi nécessaires car n’oublions pas que le virus a circulé à la faveur des déplacements et les pays les plus vite touchés par l’épidémie sont ceux où le trafic aérien et ferroviaire est le plus dense avec plus de risque d’introduction du virus dans un pays donné et de « contagiosité » inter pays
Or en Chine les mesures de confinement ont été prises avec un mois de retard par rapport au début de l’épidémie
Les calculs ont montré que si ces mesures étaient avancées de 3 semaines, cela aurait pu permettre de diminuer de 95% le nombre de cas
La Tunisie a adopté ces mesures avec peu de retard, et donc il y a tout lieu d’espérer un taux de réduction des cas assez élevé qui laissera prévoir, comme dans le modèle de Neil Fergusson de l’Imperial college de Londres, une réduction des 2/3 de la charge hospitalière et de 50% de la mortalité, à condition que l’obéissance de la population vis-à-vis du strict respect des décisions des autorités soit élevée.
Le risque du confinement réside plutôt dans le rebond en cas de déconfinement précoce, qu’il soit sur décision des autorités ou par non-respect de la part de la population sans oublier l’impact économique et social qui doit être atténué par les mesures accompagnatrices
Le véritable problème, c’est qu’on sait quand instaurer le confinement, mais on ne sait pas quand exactement il faut l’arrêter
Avec 50% de personnes immunisées pour le cas du virus du covid-19, l’épidémie peut être jugée comme étant maîtrisée
Un confinement intermittent a même été proposé. Pour notre pays, le facteur température, si le temps sera chaud, jouera en notre faveur. Mais on constate d’ores et déjà une tendance à l’infléchissement de la courbe faisant espérer un ralentissement de la progression de la maladie et un retardement du pic du nombre de cas grâce aux mesures de confinement et de distanciation sociale
Quelle est réellement, d’après vous, l’efficacité de la chloroquine en tant que remède contre le Covid-19 ? Ou est-ce une cabale des lobbies de l’industrie pharmaceutique ?
Nous avons vu que l’un des volets pour combattre une épidémie, est l’aspect pharmacologique, en l’occurrence un médicament antiviral efficace sur le virus du covid-19
Actuellement on assiste à une véritable course contre la montre pour réaliser des essais cliniques sur des molécules disponibles pour d’autres indications et qui seraient actives sur le virus, tout médicament nouveau nécessitant un temps assez long pour passer à l’utilisation thérapeutique.
On a ainsi cherché à puiser dans l’arsenal thérapeutique disponible et tour à tour on a essayé les antiviraux du VIH, de l’Hépatite et de la grippe, comme les médicaments anti inflammatoires ou immuno modulateurs autres que les corticoïdes et les anti inflammatoires non stéroïdiens contre indiqués.
L’essai de la chloroquine, vieux médicament anti paludéen en association avec un antibiotique l’azithromycine s’est accompagné de plusieurs prises de positions contradictoires scientifiques, éthiques et même politiques
Les travaux de Gautret et al. in vitro en France concordent avec ceux de Gao et al. in vitro en Chine sur l’effet antiviral de l’hydroxy chloroquine à faibles concentrations
Sans entrer dans les détails scientifiques critiquant, à juste titre la méthodologie de l’essai Gautret, en particulier l’absence de bras comparateur. Il faut savoir que 80 à 85% des patients guérissent spontanément
Les recommandations du Pr Raoult Didier sont controversées et sont contredites par celles de Mohan là où 80% des patients avaient toujours un test PCR positif après 5-6 jours de traitement
En France, l’autorité de santé a autorisé la prescription de la Chloroquine dans certains cas de Covid-19, ce qui en fait une possibilité thérapeutique et non un protocole référentiel. De nouvelles études sont indispensables.
A ce propos, on ne peut parler de cabale de l’industrie vu le prix bas de ce produit pharmaceutique.
Une fois le pic atteint, combien faudrait-il attendre pour en finir avec ce fléau ?
Pour le cas de la Tunisie, si le confinement est respecté, on peut espérer ne pas assister à la survenue d’un pic mais on observera plutôt une montée progressive telle qu’on le voit actuellement avec stabilisation à un niveau donné qui va durer dans le temps avant de commencer à s’infléchir. Certes l’évolution des 3 derniers jours est porteuse d’optimisme, mais il faut attendre la confirmation de cette tendance. En tout cas, notre devoir est de continuer à inviter la population par des discours ciblés et innovants adaptés à chaque catégorie et basés sur un argumentaire élaboré par le concours de sociologues, psychologues, éducateurs…
A l’heure actuelle, une première étape de 4mois peut être avancée suivie de 6 mois. La Tunisie n’étant pas isolée du reste du monde, il faut tenir compte aussi de l’évolution dans l’environnement international.
Il faut probablement une année pour que la situation se stabilise.
Notre destin est entre nos mains : Ou bien on fait confiance à nos scientifiques qui ont été derrière les décisions prises par les autorités, tout en participant par les avis critiques contributifs et positifs, car il n’y a plus de superman et nul n’est infaillible, ou bien nous perdrons la partie.
Le peuple tunisien qui vient de commémorer les sacrifices des martyrs du 9 avril 1938, ne peut trouver meilleure inspiration que dans notre Hymne national
Lorsqu’un jour le peuple veut vivre,
Force est pour le Destin, de répondre,
Qui n’aime pas gravir la montagne,
Vivra éternellement au fond des vallées
On dit que chaque virus a une durée de vie. A-t-on idée de la durée de vie de ce Coronavirus ?
Les coronavirus ont toujours été présents dans notre environnement. Ils sont responsables de 15 à 30% des rhumes et d’infections respiratoires bénignes chez les enfants surtout.
Depuis leur découverte en 1930 chez la volaille, les coronavirus ont comme principal réservoir les animaux
Les mutations suite à des contacts étroits homme animal ont engendré l’apparition de mutants auxquels notre système immunitaire n’est pas préparé, provoquant des épidémies. Quand une proportion de la population sera immunisée, 50 à 85 % selon les cas, le virus sera inoffensif et rejoint la population de virus peu agressifs et saisonniers
Interview réalisée par Noureddine HLAOUI