Par Sadok Jabnoun*
Fidèles à notre engagement pour un débat de niveau sur l’après-Coronavirus, nous enchaînons, aujourd’hui, avec une Tribune, œuvre de l’expert Sadok Jebnoun, consultant en stratégie d’investissements.
La pandémie du Covid-19 est un phénomène rare pour l’économie mondiale qui se manifeste une fois par siècle. Elle est à comparer à la dépression de 1929 qui était survenue, elle aussi, après la grippe espagnole de 1920 faisant près de 100 millions de morts.
Même la crise de 2008 n’est pas comparable à ce qui se passe actuellement. Sans son dernier rapport du mois d’avril 2020, le Fonds monétaire international (FMI) évalue, les pertes à l’heure actuellement, à 9 trillions de dollars sachant que le compte n’est pas encore soldé car la crise est tributaire, pour son issue, de la découverte simultanée du traitement et du vaccin qui seraient, les deux, efficaces à plus de 90%, ce qui est encore un cas d’école.
La Tunisie n’est pas en reste de cette spirale forte et violente au niveau économique et social. L’économie tunisienne, étant à 60% une économie de service avec une industrie tournée vers l’exportation et un secteur hôtelier qui souffre déjà des séquelles du terrorisme, se retrouve, à nouveau, dans les dédales
.Et cette nouvelle crise, avec un budget public plombé par un taux de croissance faible déjà (1%) en termes de glissement annuel autour de 1% et avec un déficit du budget plombé par un endettement extérieur excessif, à deux tiers, souscrit en devises fortes, il est clair que le Tunisie se trouve dans une mauvaise passe économique avec son corollaire social, c’est-à-dire 24% de la population sous le seuil de la pauvreté, 680 mille chômeurs officiels et 90% du tissu entrepreneurial constitué de toutes petites entreprises.
L’autre dilemme est qu’une grande partie de la population ne bénéficie pas de couverture sociale (CNSS et CNAM) car elle au-dessus d’une large frange de Tunisiens y compris la classe moyenne.
Devant ce diagnostic et pour que Covid-19 ne devienne pas un suicide économique et social pour la Tunisie avec les risques au niveau politique du pays qui reste encore fragile à cause de la phase de transition démocratique.
C’est dire qu’il faudrait travailler dur pour avoir une bonne sortie de la crise avec une possibilité de relance intelligente basée sur quatre axes.
Le 1er axe est celui de sortir vainqueur de la guerre contre le Covid-19. Il est bien clair que les pays qui auront réussi à juguler l’épidémie – ici je pense particulièrement à Taïwan, la Corée du Sud, la Chine, l’Islande et la Suisse – seront les véritables pôles d’attraction des investissements et d’un fort rebond économique, car de par nature, le capital cherche toujours l’endroit le plus sûr et le plus efficace.
Dans cette période de pandémie, qui pourrait se déclarer encore comme l’a bien spécifié Bill Gates quand il a parlé de six autres Coronavirus qui pourraient faire aussi de la mutation, il faudrait, donc, un système de santé publique et privée solide et des recherches scientifiques et médicales efficaces, c’est-à-dire production de médicaments, capacité de développement rapide de vaccin, sont des variables qui pourraient déclencher une croissance exponentielle aussi forte qu’avant le Covid-19.
De là, l’enjeu stratégique pour la Tunisie de gagner cette guerre. D’abord pour son peuple et, ensuite, pour son positionnement stratégique le jour du lendemain.
Le 2ème axe est celui économique au sens propre du terme. Et à ce niveau là, il faut que le gouvernement comprenne qu’il est vital de préserver l’entreprise en Tunisie, car elle, seule, pourra donner de l’emploi et réamorcer l’activité économique dans son point cardinal qui est la production.
Donc, le fait de pouvoir fructifier le capital et, par là-même, créer, à nouveau, le circuit économique qui est actuellement à l’arrêt total ou presque. Autrement dit, il est dangereux aujourd’hui de créer de nouveaux impôts sur les entreprises, surtout les PME et les PMI, les industries manufacturières et les grands exportateurs. Car cela pourrait mener à la clôture définitive d’industries vitales pour la Tunisie, ce qui ferait monter le nombre de chômeurs à la barre fatidique de deux millions, voire plus.
Donc, il faut préserver le tissue industriel et entrepreneurial avec une véritable application des mécanismes fiscaux requis dont le remboursement du trop perçu qui n’a été que de 65 millions de dinars sur trois milliards de trop perçu. Ce qui est un chiffre très faible en soi. Il ne faut pas sacrifier l’entreprise sur l’autel de l’austérité abrupte qui a été sans résultat réel pour l’économie durant les trois dernières années.
L’autre grand secteur pour la relance est celui agricole qui a été lé rand laissé pour compte de la planification stratégique en Tunisie. On sait bien que ce secteur peut faire doubler le volume du PIB facilement s’il bénéficie des financements et des encouragements nécessaires. On sait bien, aussi, que la FAO a déclaré qu’il y aura une crise pour les produits agricoles et alimentaires suite au manque de main d’œuvre dû à la crise du Covid-19.
De ce fait, l’agriculture sera un secteur-clé de la relance, surtout l’agriculture biologique qui est conforme aux standards de santé surtout que cette crise a orienté le consommateur final vers les produits alimentaires qui auront la meilleure incidence sur sa santé.
Les terres arables sont disponibles en Tunisie. Ne manque alors qu’un pari stratégique sur l’agriculture et l’agroalimentaire.
Le 3ème axe, est celui des finances, et à ce titre, la Banque centrale de Tunisie (BCT) doit jouer un meilleur rôle pour sauver l’économie tunisienne de cette crise inédite (la crise du siècle) en faisant baisser ultérieurement le taux d’intérêt directeur au moins de deux points supplémentaires et en protégeant réellement et efficacement le consommateur final des produits financiers, qu’il soit entreprise ou particulier.
D’autre part, la BCT devra, à l’instar de la Banque d’Angleterre, prêter l’argent directement à l’Etat en modifiant, même d’une façon conjoncturelle tout au long de cette crise, son statut. Elle fera baisser, ainsi, l’inflation qui risque, maintenant, d’aller au-delà des 8% officiellement et, d’autre part, en dégageant des fonds pour la relance tant espérée à la fin de cette crise.
Le secteur bancaire devra se développer encore vers la digitalisation complète des paiements, notamment par téléphone, qui doit être généralisée et à prix très bas pout les comptes courants de base, sachant qu’en Tunisie, on a une population de trois millions de personnes qui n’est pas bancarisée.
Un autre point aussi important c’est qu’il est urgent de relancer le secteur de la promotion immobilière et du BTP, véritable machine de reprise économique tout en faisant baisser les taxes à la valeur ajoutée sur l’achat de l’immobilier neuf à 6% au maximum, avec 1% de taux d’enregistrement. Ceci avec le financement complet des exportations tunisiennes et leur orientation vers les secteurs porteurs de l’après Covid-19, c’est-à-dire le secteur pharmaceutique, les industries médicales, la biotechnologie et l’exportation de l’intelligence artificielle. En fin de compte, tous les secteurs à forte valeur ajoutée. Car là sera la croissance exponentielle tant attendue.
Le 4ème axe est celui de la réforme de l’Etat et de l’administration. Il est clair devant tout le monde que le fonctionnement actuel de nos administrations est complètement archaïque et sclérosé. Les attroupements et les longues files d’attente devant les administrations sont de véritables machines de contamination de Coronavirus qui pourraient nous amener vers des situations catastrophiques et intenables que l’on voit maintenant dans les pays européens.
Et encore, comment peut-on espérer vaincre cette pandémie et créer une vraie relance économique quand on sait que le lendemain du déconfinement, il y aura des files interminables pour la légalisation de signature, pour l’extrait de naissance et pour tout le reste de la paperasse administrative à tous les niveaux.
Il faut que tout cela cesse immédiatement et que toutes les pratiques administratives soient mises en ligne avant la sortie du confinement et que toutes les procédures et formalités soient accomplies à distance. Il faut que l’on ait, à l’image de l’Estonie, une administration électronique.
On peut commencer, immédiatement, par les papiers de premier contact, à savoir l’extrait de naissance la légalisation de signature, les recettes fiscales les différentes autorisations administratives, à l’APII, la FIPA, etc.
A l’instar des pays asiatiques qui vont avoir une croissance de 3% et plus en 2021, la Tunisie devra débureaucratiser en toute urgence.
L’aboutissement de ce processus devra, obligatoirement, être social. Je m’explique : c’est-à-dire la prochaine relance économique, si elle est bien faite, devra l’être dans le cadre d’un processus de répartition équitable des richesses et de progrès social par des relations de travail plus justes et plus efficaces.
A ce moment là, on aura le déclenchement d’une réelle économie en Tunisie très proche du capitalisme patriote qui a été appliquée en Asie du Sud-est. Ce plan ou cette démarche demandera un financement que j’estime à 30 milliards de dinars sur cinq ans dont dix à l’immédiat.
Si un plan cohérent est présenté aux bailleurs de fonds internationaux avec la garantie d’ne bonne application sur le plan politique, le financement sera facile à trouver, car l’on sait très bien qu’après une crise séculaire comme le Covid-19, les investisseurs et les bailleurs de fonds saisiront toutes les opportunités pour une reprise de la croissance.
C’est pour cela que je reviens, à la fin de ma réflexion, au 1er axe qui est celui de bien vaincre le Covid-19, non pas seulement entant que pandémie, mais aussi et surtout en tant que mentalité.
*Consultant en stratégie d’investissements