Par Abdelaziz Kacem
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L’ennui, c’est que le crime de « lèse-pantalon » n’est pas prévu par la Charia.
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Le wahhabisme est clair là-dessus. Il n’y a pas de syndicat en islam.
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Les pantalonnades de la Commedia dell’arte faisaient rire. Celles de l’ARP font pleurer la Tunisie…
J’aime l’étymologie. Chaque mot a son parcours, son sens, sa polysémie, ses évolutions.Prenons le mot « pantalon », vêtement, comme chacun sait, porté sur « la partie inférieure du corps, les deux jambes étant couvertes séparément ».
Les Vénitiens, porteurs de ce bas-de-chausses, furent appelés Pantalons, par plaisanterie et par référence au Saint-patron de Venise, un moine du XIIème siècle, du nom de Pantaleone. Dès le XVIe siècle, Pantalon devient, par antonomase, le sobriquet d’un bouffon de la Commedia dell’arte, vêtu de cette sorte de culotte longue. Ses bouffonneries prirent le nom de « pantalonnades ».
Le glissement sémantique se poursuivant, pantalon finit par désigner aussi toute personne inconsistante, hypocrite, versatile au gré de ce qu’elle croit être son intérêt. « Ne me parlez pas de ce pantalon », entend-on, parfois. Des politiciens creux et grotesques furent gratifiés de ce surnom. De tels pantalons, chez nous, sont en nombre croissant.
Pourquoi parler de pantalon, alors que d’habitude la lettre P me renvoie à des personnages réels ou de légende, tels que Parménide, Platon ou la mythique Pandore et sa boîte apocalyptique, une boîte qui, toute proportion gardée, suggère les urnes électorales d’où sortent les monstres, dans des pays entrés en démocratie, sans avoir la moindre idée de l’histoire de ce concept et de la philosophie qui la sous-tend ? Par connotation, sans doute. Je m’explique.
J’ai un rapport plutôt froid à l’actualité. Je laisse les choses se décanter. Réagir à chaud c’est ajouter son fagot à un feu de paille qui ne tarde pas à s’éteindre et l’on passe vite à autre chose. Or bien des événements, bien des comportements devraient être gardés en mémoire.
En ces temps de confinement, de déficit budgétaire et de neurones, l’ARP supplée au théâtre manquant et nous offre des pitreries que je n’hésite plus à appeler « pantalonnades », depuis qu’un député dépité y a exhibé son pantalon, au nom du principe qui veut que nul ne soit tenu à la pudeur, en matière de religion (La hayà’afî l-dîn), principe qui autorise bien des hardiesses. Quand on sait que le chef de file de la confrérie, autre synonyme de l’Ikhwanjisme, exige de ceux qui osent s’adresser à ses néophytes qu’ils fassent leurs ablutions au préalable, on comprend toute la sacralité du cache-sexe dont nous parlons.
En résumé, le vénérable représentant du peuple, connu pour son takfirisme militant, s’est invité dans une réunion syndicale à laquelle personne ne l’avait convié. Il n’y avait, du reste, rien à faire, sauf à leur prodiguer un prêche sur les kuffars de l’UGTT. Prié de quitter les lieux, il s’obstina. On dut l’aider à libérer l’estrade. Accroché à l’on ne sait quel clou, sa culotte craqua et fit le tour du Web, avant d’atterrir sur le perchoir de l’Assemblée. Entre-temps deux méchants syndicalistes impliqués dans la déchirure ont été arrêtés, en attendant que la Coalition élabore la fatwa charaïque portant application d’un châtiment adéquat à la Centrale ouvrière impie. Le wahhabisme est clair là-dessus. Il n’y a pas de syndicat en islam. C’est une hérésie.
L’ennui, c’est que le crime de « lèse-pantalon » n’est pas prévu par la Charia. Par conséquent, au lieu de cette « bid‘a » ou innovation blâmable importée de Dar al-Harb, le pieux plaignant aurait dû porter le saroual réglementaire.
Aux dernières nouvelles, non encore confirmées, ledit « pantalon », homologué avec le « Qamis du calife Othman », irait enrichir le Musée embryonnaire des reliques révolutionnaires, à côté d’une célèbre brouette.
Les pantalonnades de la Commedia dell’arte faisaient rire. Celles de l’ARP font pleurer la Tunisie, déjà endeuillée par le décès de ses grands bâtisseurs.
Pour ne pas ajouter le tragique au comique, je sursois au commentaire qui s’impose quant au comportement honteusement misogyne que subit Abir Moussi à l’ARP.
Le prochain mot sera tiré de la lettre N.