Par : Mohamed Sadok JEBNOUN. Consultant en stratégies d’investissement.
La vote, hier, dans une ambiance houleuse de la LDF 2019 dans laquelle se sont affrontés tous les intérêts politiques électoraux d’avant-élections et des grands lobbys, a démontré à quel point les structures des finances publiques, de l’économie et de la fiscalité en Tunisie sont devenues un capharnaüm ( lieu qui renferme beaucoup d’objets en désordre), et inextricable au vu d’une crise économique structurelle et, décidément, endémique et sans fin.
Dans un exercice digne des moments forts de la 4ème République française, une loi de finances en déconnexion avec le plan virtuel et réduit de développement (3ans au lieu de cinq se résumant à un patchwork de mesures collées entre deux gouvernements d’une majorité morcelée en 2016), a été votée.
De prime abord, la LDF 2018 a porté la pression fiscale à son paroxysme en obtenant certes une réduction du déficit à 3.9% mais un coût social et économique intenables avec seule satisfaction d’obtenir le satisfecit du FMI pour les tranches du crédit de 2.9 Milliards de dollars et de s’approcher de la règle d’or européenne du déficit à moins de 3% si chère àM. Macron en ces jours teints de jaune en France.
La LDF 2019, s’est assigné pour but de limiter et non de réduire la pression fiscale au vu de la surchauffe rare et parallèle des patrons et syndicats élément rare et significatif d’une crise économico-sociale profonde et durable (immigration clandestine-prééminence du secteur parallèle au vu de l’inefficacité législative et surtout administrative).
La réduction des impôts annoncées n’entrera en vigueur qu’en 2021 avec pour belle contradiction l’augmentation des impôts à 35% pour les exportateurs de service non inclus dans la liste des secteurs prioritaires taxés eux à 13.5% sachant que l’avantage en principe devrait concerner tout acte d’export au vu de la situation économique actuelle marquée par les grandes difficultés des entreprises locales.
La Tunisie est en effet marquée par une économie désormais de services à forte teneur importatrice avec un déficit commercial avoisinant les 20 milliards de dinars pour 2018, 30 milliards si on prend en compte la distinction off-shore-on-shore.
Dans ce cadre, la LDF a annoncé la baisse des impôts tout en mettant en œuvre l’augmentation d’autres : soit ceux issus des LDF 2017, 2018 précédentes sur les secteurs à rente (services et financiers) justifiés par la nécessité de participer au financement du budget social, autre aberration encore rattaché au budget général.
Cerise sur le gâteau
Ce qui n’a pas manqué de déclencher une fronde fiscale tout en baissant les taxes pour certaines importations ex: les panneaux solaires qui sont actuellement sujet à grande bataille commerciale entre la Chine, les USA et l’Europe.
Revenons à la structure générale de la LDF 2019 qui n’a pas dévoilé ses bases de prévision quant au taux de change, élément crucial au vu de la débandade du dinar face à l’Euro et au Dollar, ce seul élément fait que la nécessité d’une LDF 2019 complémentaire, néfaste pour la cohérence des finances publiques tunisiennes avec cerise sur le gâteau une nouvelle loi organique du budget idoine aux normes actuelles toujours en souffrance dans les casiers du parlement en fin de mandat.
Parlement dont les jouxtes verbales et calculs politiques dépassent de loin son effet utile pour l’économie et les finances.
Autre point, la LDF 2018 continue malgré tout le cours expansionniste avec une augmentation de 13% (LDF 2018 complémentaire incluse) par rapport à 2018.
4.7 milliards de dinars d’augmentation du budget dont plus du tiers destinés à la masse salariale publique, 28% pour rembourser les dettes antérieures et 15% en « prime » pour la compensation, intenable avec un euro à ….
La liturgie des chiffres
La LDF 2019 consacre 5.3 milliards de dinars au développement soit 13% contre 9.3 milliards de dinars soit 23% du budget pour rembourser le service de la dette pour le moment en attendant l’évolution future du dinar et des difficultés réelles à lever des fonds sur les marchés internationaux constatés lors du dernier emprunt .
La dette devient en somme à 71% du PIB un jeu à somme nulle pour le développement.
Loin de toute velléité volontariste en temps de crise, les signaux forts de rétablissement de la confiance élément essentiel de la reprise économique et à la réduction du chômage vissé à 15% avec toutes les conséquences sociales connues, vient la LDF 2018 avec un goût décidément insipide et un caractère placide de paravent pré-électoral.
Je ferai l’économie de la longue liturgie de chiffres et contradictions que la LDF 2019 réfléchit fruit de plus de 700 mesures fiscales, d’innombrables emprunts destinés au gouffre de la consommation et de l’import excessif et annonce sûrement une LDF complémentaire en concomitance des enjeux des élections, de l’ALECA et de la crise sociale, éléments hérités de 2011 puis des élections de 2014 à nos jours donc responsabilité gouvernementale certes mais torts partagés par tous plus encore.
« Exubérance irrationnelle » dirait Mr. Greenspan.
Au-delà de la LDF 2019, c’est une vision de stratégie globale qui est absente, partitocratie oblige, donc une feuille blanche.
La sortie de crise passe par une refonte de l’économie, la fiscalité, l’administration et même si nécessaire par une refonte constitutionnelle ouvrant la voie à la troisième république loin de l’alambiquage catastrophique de la deuxième, la France court déjà vers la sixième.
Ou présidentielle ou parlementaire sans marchandage d’usuriers.
Avec une vraie prééminence du référendum et de la rationalisation des dépenses publiques, toutes les dépenses publiques y compris entreprises publiques.
Cette situation implique la convocation des états-généraux économiques, sociaux, fiscaux et institutionnels afin de dépasser les clivages avec toutes les parties prenantes que le parlement et le microcosme politique actuel sont loin de représenter au vu du grave taux d’abstention et de rejet d’une démocratie dont la marque essentielle est la pauvreté.
Un grand courage politique est nécessaire, les technocrates disent qu’en matière fiscale 90% des réformes est fait, au contraire 90% reste à faire sur une vraie base de justice et surtout de forte compétitivité, point faible chronique et historique de la Tunisie.
Enfin la LDF et l’impôt sont révélateurs d’un dysfonctionnement économique mais surtout institutionnel.
L’analyse technique si je la continuais lasserait le lecteur, il trouvera le reste des détails dans les articles prolixes en la matière publiés ces jours et dans le texte de la loi.
Loin de tout lyrisme, il est fort en moi de terminer cette chronique par ce passage du discours de Bayeux prononcé par le Général De GAULLE à Bayeux le 16juin 1946, dessinant à merveille au-delà des époques notre crise actuelle, je cite :
« C’est qu’en effet, le trouble dans l’État a pour conséquence inéluctable la désaffection des citoyens à l’égard des institutions. Il suffit alors d’une occasion pour faire apparaître la menace de la dictature. D’autant plus que l’organisation en quelque sorte mécanique de la société moderne rend chaque jour plus nécessaires et plus désirés le bon ordre dans la direction et le fonctionnement régulier des rouages. Comment et pourquoi donc ont fini chez nous la Ire , la IIe , la IIIe Républiques ? Comment et pourquoi donc la démocratie italienne, la République allemande de Weimar, la République espagnole, firent-elles place aux régimes que l’on sait ? Et pourtant, qu’est la dictature, sinon une grande aventure ? Sans doute, ses débuts semblent avantageux. Au milieu de l’enthousiasme des uns et de la résignation des autres, dans la rigueur de l’ordre qu’elle impose, à la faveur d’un décor éclatant et d’une propagande à sens unique, elle prend d’abord un tour de dynamisme qui fait contraste avec l’anarchie qui l’avait précédée. Mais c’est le destin de la dictature d’exagérer ses entreprises. À mesure que se fait jour parmi les citoyens l’impatience des contraintes et la nostalgie de la liberté, il lui faut à tout prix leur offrir en compensation des réussites sans cesse plus étendues. La nation devient une machine à laquelle le maître imprime une accélération effrénée. Qu’il s’agisse de desseins intérieurs ou extérieurs, les buts, les risques, les efforts, dépassent peu à peu toute mesure. À chaque pas se dressent, au-dehors et au-dedans, des obstacles multipliés. À la fin, le ressort se brise. L’édifice grandiose s’écroule dans le malheur et dans le sang. La nation se retrouve rompue, plus bas qu’elle n’était avant que l’aventure commençât.
Il suffit d’évoquer cela pour comprendre à quel point il est nécessaire que nos institutions démocratiques nouvelles compensent, par elles-mêmes, les effets de notre perpétuelle effervescence politique. Il y a là, au surplus, pour nous une question de vie ou de mort, dans le monde et au siècle où nous sommes, où la position, l’indépendance et jusqu’à l’existence de notre pays et de notre Union Française se trouvent bel et bien en jeu. Certes, il est de l’essence même de la démocratie que les opinions s’expriment et qu’elles s’efforcent, par le suffrage, d’orienter suivant leurs conceptions l’action publique et la législation. Mais aussi tous les principes et toutes les expériences exigent que les pouvoirs publics : législatif, exécutif, judiciaire, soient nettement séparés et fortement équilibrés et, qu’au-dessus des contingences politiques, soit établi un arbitrage national qui fasse valoir la continuité au milieu des combinaisons. «