Par Kaouther Khelifi
Au plus profond de la déperdition humaine, plonge la caméra de Nasreddine Sehili. Tremblante, à l’image de la fragilité qu’elle s’évertue à nous rendre. Elle est, au milieu dont elle veut nous restituer ne serait-ce qu’un morceau, ce que la sonde gastrique est aux entrailles d’un corps malade. La pathologie et le remède portent le même nom. Un morceau, non par l’insuffisance de la matière qu’il y a à saisir, mais sans doute par le repli dont nous ferons preuve face à la réception, grandeur écran de cinéma, de ce concentré de détresse non fictionnelle. Personne ne prendra tout de l’œuvre : qui pour motifs d’esthétisme, qui de par la chasteté de ses oreilles, qui de par sa culpabilité de préservé.
Ici, l’underground ne désigne pas que le genre. On est dans les bas-fonds de la ville, Lâ fawq al-ardh walâ tahtihâ, dirait H. Ben Othman. Dans ce qui reste d’un hammam abandonné. Dans ce qui reste de corps dégradés, de vies meurtries. Ici, les corps et les décors se ressemblent, l’ennui et le néant sont à l’œuvre à tous les instants. La brutalité guette. Seules misère et solidarité sauront faire bon ménage.
Arrivés là par expulsion (qui d’un pays, qui de sa famille), Fanta et Rzouga vivent au rythme d’une relation destructrice et nécessaire à la fois. N’étaient l’époque et les deux cents mètres qui séparent leur planque des quartiers généraux des pouvoirs, on serait tenté de s’imaginer dans une petite cour des miracles.
Entre débris et gravats, le duo se languit dans une relation où la passion amoureuse de l’un n’a d’égale que la culpabilité (presque paternelle) de l’autre. On comprendra du déroulé du récit que c’est Rzouga qui initiera Fanta au Subutex, avant de décrocher. Il veut que son ami en fasse autant, mais les deux hommes ne sont pas animés par la même force intérieure et la compulsion de répétition règne. Rzouga va alors frapper à toutes les portes, bien décidé à délivrer Fanta de ses démons. Et au diagnostic de tomber : Hépatite. Un mal pour un bien ? Lumière au bout du tunnel ? La nécessaire rupture de milieu impose un changement de décor et nous emmène à Korbous, où Fanta et Rzouga, rejoints par un autre ami dans la même épreuve, tentent de s’inscrire dans une nouvelle ‘’hygiène de vie’’. Mais le combat s’annonce lourd et le berger des faibles ne peut offrir que ce qu’il a. La parenthèse balnéaire se ferme et le précipice menace de nouveau. Trêve de patience, Rzouga jette l’éponge, abandonne. Fanta est, de nouveau, sans famille. Fondu au noir…
Une œuvre intimiste, atrocement réaliste, qui nous emmène dans les recoins les plus sombres des âmes et des corps. Qui, par moments, nous prend aux tripes, nous crève les yeux à coup de face à face avec ces semblables auxquels on se garde de ressembler. Une mise en images plutôt réussie de l’indicible. Peut-être même une portée didactique, à qui sait tirer parti de tout.
Kaouther Khlifi