-
« Les besoins de la Tunisie pour l’année 2021 se situent à des niveaux historiquement records : 13 milliards de dinars »
-
Le message est clair : il n’y a plus de place pour les mesurettes.
-
La FMI estime nécessaire un » pacte social » partagé par toutes les parties prenantes dans une démarche inclusive capable de couvrir les questions sensibles
-
Sommes – nous en position de négocier, avec le FMI et autres bailleurs, les bonnes réformes dont le pays a besoin…?!
-
« Seule la Banque centrale tire son épingle du jeu de cette litanie de recommandations. Elle est confirmée dans sa politique monétaire, de resserrement du crédit, de gestion du taux directeur et de réserves de change »
Par RADHI MEDDEB
Le Fonds Monétaire International a publié, en date du 25 Janvier, un communiqué suite à sa mission de consultations de 2020 pour la Tunisie, au titre de l’article IV de ses statuts.
Cette mission à distance a été conduite pendant trois semaines entre mi-décembre 2020 et mi-janvier 2021. Elle ouvre probablement un nouveau chapitre dans les relations entre la Tunisie et le FMI et permet d’entrevoir un nouvel accord entre les deux parties. Cette mission consacre une reprise des relations, fraiches depuis juillet 2019 avec l’arrêt, sans décaissement intégral du prêt au titre du mécanisme élargi de crédit.
Le prêt d’aide d’urgence pour appuyer les mesures proactives prises par la Tunisie en riposte à la pandémie de COVID-19, accordé à la Tunisie en avril 2020 pour un montant de 745 millions de dollars avait un caractère strictement conjoncturel et devait aider le pays à faire face à une situation exceptionnelle. Il ne s’inscrivait pas du tout dans un cadre de coopération structurée entre les deux parties.
Un nouvel accord entre la Tunisie et le FMI est attendu et souhaité par l’ensemble de la communauté financière internationale, tant dans sa composante multilatérale, que bilatérale et encore plus privée.
« Les besoins de la Tunisie en matière de mobilisation de ressources extérieures, pour l’année 2021, se situent à des niveaux historiquement records : 13 milliards de dinars. »
De l’avis de tous, de telles sommes ne pourraient en aucun cas être réunies sans un accord avec le FMI, avec ses multiples conditionnalités et mesures d’accompagnement, susceptibles de rassurer les bailleurs de fonds internationaux sur la capacité de la Tunisie à honorer ses engagements futurs. C’est dire, si la reprise des discussions avec le FMI et l’adoption d’un programme de réformes précis sont importantes pour la Tunisie, dans la situation actuelle des finances publiques.
Le communiqué qui vient couronner la récente revue est particulièrement transparent. D’habitude, le Fonds use de formules diplomatiques qui pourraient abuser le lecteur non averti.
Là, les choses sont dites crûment : hors la lutte contre les effets sanitaires et sociaux de la pandémie, le seul autre défi immédiat du pays est la résorption des déséquilibres macroéconomiques pour atteindre une trajectoire soutenable.
Cela exige « un plan de réformes exhaustif et crédible, soutenu par sa population et ses partenaires internationaux ».
Le message est clair : il n’y a plus la place à des mesurettes, des conditionnalités éparses, sans nécessairement grande cohérence entre elles. Le gouvernement est appelé à engager un plan d’ensemble. Le discours sur les réformes prioritaires n’est plus de mise. Le pays et ses gouvernants ont perdu trop de temps à tergiverser et à ne pas réformer que tout est devenu urgent.
En ne s’engageant pas résolument dans une telle démarche de réformes globales, le gouvernement prendrait le risque de ne pas atteindre la croissance modeste attendue par les services du FMI, pour 2021, à 3,8% après la forte récession de 2020 estimée à -8,2%. Le risque est également que le déficit budgétaire reste à un niveau inacceptable de 9% du PIB, après le record de 11,5% de 2020. Le risque, enfin, est que la dette extérieure ne soit plus soutenable et que le pays ne soit plus en mesure d’honorer ses engagements extérieurs.
Le FMI appelle les autorités à assigner une priorité claire aux dépenses de santé et de protection sociale en ces temps de pandémie avec ses fâcheuses répercussions : montée du chômage, élargissement de la pauvreté, baisse du niveau de vie et détérioration des conditions d’accès aux services de soins. Il appelle également au renforcement des filets de protection sociale et leur meilleur ciblage. Les temps vont être durs. Les finances sont exsangues. Il faudra gérer, en bon père de famille, des ressources rares et les réserver aux plus démunis.
Au-delà de cette priorité, le FMI estime nécessaire de mette en place un « pacte social », partagé par toutes les parties prenantes, dans une démarche inclusive, impliquant chacun dans le domaine de ses responsabilités.
Ce « pacte social » pourrait couvrir des questions sensibles comme :
- La maîtrise de la masse salariale publique. Le FMI ne rate pas l’occasion pour marteler qu’elle est l’une des plus élevées au monde,
- La réforme des subventions et un meilleur ciblage de celles énergétiques,
- Le rôle des entreprises publiques dans l’économie, la refonte de leur gouvernance et de leur supervision par l’État. Les transferts du budget de l’État aux entreprises publiques devront être mieux contrôlés. Le sort réservé aux entreprises publiques sera différencié en fonction de leur viabilité financière, leur importance stratégique et la nature de leurs activités. De manière sous-jacente, le temps n’est plus aux lignes rouges. L’État n’a plus les moyens de continuer à s’occuper de choses qui ne devraient pas être de son ressort.
- L’amélioration de la situation financière des caisses de sécurité sociale. La formulation empruntée par le FMI est délibérément sobre. Elle laisse ouvert le champ des réformes et ajustements possibles.
- Une réforme fiscale vers plus d’efficacité et d’équité,
- La lutte contre les rigidités de l’économie, avec l’élimination des monopoles et autres distorsions,
- L’accélération de la transition énergétique et la lutte contre le changement climatique.
Le secteur informel, la lutte contre la corruption et l’amélioration du climat des affaires font partie du « package » des devoirs à la charge du gouvernement.
La quête de bonne gouvernance, de transparence et la lutte contre la corruption doivent être élevées à un rang transversal. Elles doivent être la préoccupation de tous et non une mission confiée à une instance.
« Seule, la Banque Centrale tire son épingle du jeu de cette litanie de recommandations. Elle est confirmée dans sa politique monétaire, de resserrement du crédit, de gestion du taux directeur, de réserves de change. » Son attention n’en est pas moins attirée sur la nécessité de continuer à se concentrer sur la lutte contre l’inflation, la gestion flexible du taux de change et la surveillance accrue du secteur financier. Le FMI prévient : les risques induits par la pandémie sont encore à venir. Enfin, tranchant le débat entre la Banque Centrale et le gouvernement, « les services du FMI encouragent vivement les autorités à éviter de procéder, dans le futur, à un financement monétaire de l’Etat ».
Le ton est donné. L’approche est globale. Clairement, le temps des tergiversations est derrière nous. Nous le savions déjà. Le FMI vient nous le rappeler dans un communiqué prétendument technique mais véritablement politique. Nous entrons dans le vif du sujet.
Le FMI, en énonçant ce catalogue des réformes, a clairement conscience de la difficulté de leur adoption, de leur appropriation et de leur mise en œuvre. Il le laisse transparaître à travers son insistance sur un nécessaire accompagnement social fort et ciblé.
Il nous revient à nous de compléter ces préconisations par plus d’inclusion, en réponse aux exigences de nos jeunes, de plus en plus en rupture avec la gestion brouillonne de la classe politique. Mais, cela suppose clairvoyance, ambition, vision et légitimité.
Sommes-nous en position de négocier, avec le Fonds et autres bailleurs, les bonnes réformes dont le pays a besoin ? Les équilibres politiques fragiles et instables sont-ils en mesure de favoriser l’émergence d’un tel « pacte social » ?
Les atermoiements des derniers mois sur un hypothétique dialogue national ne sont pas là pour rassurer sur la prise de conscience de la gravité de la situation, de la nécessaire lucidité de la réflexion et de l’urgence de l’action.
Radhi MEDDEB