Nebil Saouabi est un artiste plasticien tunisien. Il est enseignant à l’Institut Supérieur des Beaux Arts de Tunis. Nous l’avons rencontré à l’espace Safia Farhat où il expose son œuvre « Le lac noir ». Interview :
-« Vivre et créer dans l’incertitude » est la thématique de l’exposition, inspirée des circonstances conjoncturelles. Peut-on admettre que l’incertitude qui touche le sujet de l’artiste et l’objet qu’il crée (l’œuvre) est une source d’inspiration fructueuse ?
-Cette période révèle la fragilité de l’être dans son existence et l’absurdité de la manipulation des vies humaines à travers les manœuvres des pouvoirs politiques dans un monde totalement globalisé et déshumanisé, puisque ce virus dévoile les limites de la civilisation contemporaine actuelle et ses failles éthique, morales, politique etc. Il devrait y avoir un post pandémie comme opportunité de repenser le monde tel qu’il est aujourd’hui. C’est vraiment une « impasse » existentielle, où l’être humain se retire dans l’espace étroit de son corps, le dernier rempart comme acte de survie et il doit faire une tentative pour sauver son âme.
Je ne pense pas que cette période est propice à la création, avec les artistes attentifs et aux aguets pour capter les méandres de cette période et révéler le potentiel de cet univers étrangement poétique. Les crises généralement propulsent l’histoire vers des perspectives inattendues, et cette période inspirera manifestement les artistes du monde entier puisque la création est souvent régie par d’autres lois dont les mécanismes sont plus complexes.
-Jean Paul Jouary dans son livre « Vivre et penser dans l’incertitude » appelle à raviver la pensée par l’incertitude, à repenser les notions acquises, car justement la pensée est ce processus qui n’atteint pas l’absolu. Est-ce ainsi pour l’expression plastique, pour la quête de la quintessence ?
-Certes l’activité culturelle peut être affaiblie par les circonstances économiques et politiques, mais la création artistique individuelle transforme les moments de crise en opportunité de créativité visionnaire et porte un regard décalé et neuf par rapport au discours obnubilant. Je fais la distinction entre l’activité culturelle et la création artistique et là je reprendrai J L Godard quand il affirme que « la culture c’est l’appareil qui organise la mort de l’art » ce sont justement deux univers parallèles qui n’obéissent aucunement aux mêmes règles et qui sont régis différemment.
-Présentez – nous votre œuvre.
-Le Lac noir est une peinture qui fait partie d’une série de toiles intitulées « le temps scellé » en référence à un livre de Tarkovski où il s’agit de s’inspirer du cinéma la fameuse « la zone » qui est un espace utopique entre le réel et l’imaginaire, entre le salut et le désarroi dans le film de Stalker. Mais l’évolution du projet artistique m’a mené vers d’autres corpus d’image qui explorent le même souci existentiel, là où l’être humain est confronté à cette incertitude ; où le réel devient imaginaire grâce aux fléaux d’images qui prennent le dessus et qui représentent pour un artiste plasticien un univers propice à la création ; où le processus pictural (dans ma pratique ) repose sur la mise en scène, le familier est au cœur de l’étrange, et la peinture se charge d’explorer cette Zone énigmatique entre le ciel et la terre ; entre l’ombre et la lumière, entre le tragique et le comique, entre l’éternité pesante et l’insoutenable légèreté de l’être, c’est ainsi que se dessine l’acte de création comme ultime voyage…
Faiza Messaoudi