Par Abdelaziz Kacem
- Le Marionnettiste Sam tire bien les ficelles, et les guignols restent des bédouins peu urbanisables.
- bien des pays arabes ont quitté l’Histoire. D’autres sont sur la liste d’attente.
On a beau se quereller sur les dates, dans un cas comme dans l’autre, il n’y a pas de quoi pavoiser. Une hirondelle ne fait pas le printemps, ni une brouette, même à deux roues, la révolution. L’Oncle Sam, le marionnettiste Sam tire bien les ficelles, et les guignols ont beau citer Sayyid Qotb ou Lénine, ils restent des bédouins peu urbanisables.
En un mot comme en mille : tous les voyants sont au rouge. Une grave pénurie de matière grise s’installe. J’ai décidé de sauver la mienne en rompant mes liens avec une débilitante actualité. Cela fait des mois que je la combats par l’inactuel, le pérenne. Je reviens de chez mes écrivains d’Orient et d’Occident.
Plus que jamais, ma foi demeure : la Culture, seule, est la solution. Sans la Culture, triomphe la vulgarité. Celle-ci, naguère apanage des rustres, se fait garde-du-corps de la bigoterie. Comment ne pas adhérer à ce que l’insigne romancière algérienne, Ahlem Mostaghanemi, native de Tunis, écrivait dans Dhakirat al-jasad (Mémoires de la chair) :
« Rien ne mérite aujourd’hui toutes ces élégances, ces bonnes manières, la patrie, elle-même, ne se gêne plus de se montrer impudique ».
Je ne suis pas pessimiste, je garde mon style, ma galanterie. Je ne suis pas pessimiste : montrez-moi que la bouteille est au quart pleine et je dirai qu’elle l’est à moitié.
Je ne suis pas pessimiste, je continue de me battre aux côtés des vaillantes filles et petites-filles de Bourguiba contre les violences faites aux femmes dont le port du voile, à la fois muselière et bavette de chasteté. Nulle société humaine n’a fait étalage de ses refoulements avec autant d’ostentation. En même temps, pour avoir normalisé avec l’anormal,
Nous sommes en retard sur notre temps, depuis des siècles. Lors du Sommet des pays non-alignés tenu à Belgrade, en septembre 1961, Jawaharlal Nehru, fondateur de l’État indien moderne et laïque, disait à Nasser et à Bourguiba :
« Nous autres, pays du tiers-monde, nous sommes tenus de courir à grandes enjambées pour rester sur place par rapport à l’écart qui nous sépare des pays avancés ».
Nous avons retenu la leçon. Il fut un temps où nous étions sur le point de décoller. Puis, de je ne sais quelle nuit lugubre, ont surgi les bédouins dé-constructeurs. Des marcheurs à reculons et des sauteurs dans le vide, se sont abattus sur la partie utile de l’arabité : le Machreq et le Maghreb. Il n’est pas de plus grande douleur que celle de voir s’écrouler les rêves d’une nation. Ah que j’ai mal aux printemps mensongers. Pour moi, la honte, c’est notre retard sur ce que nous avons été. La honte est de marginaliser les élites authentiques et d’obliger les grands de camoufler leur taille pour ne pas faire de l’ombre aux nabots à la barre.
À chaque poète, son mal du siècle…
À une époque où le nanisme est de rigueur,
Je dois parfois courber l’échine,
Pour m’empêcher
De trop paraître grand
Adonis, lui aussi, interpelle :
Ô patrie surélève ton plafond, que je puisse, par-dessous, relever la tête.
Abdelaziz Kacem