-
Le plan de réformes présenté au FMI n’est pas à la hauteur des défis qu’affronte la Tunisie.
-
Le secteur informel et le régime forfaitaire : nouveaux gisements de revenus fiscaux.
La mobilisation des ressources, dont la Tunisie a besoin, est assujettie à un accord préalable avec le FMI. Pour ce faire, il faut mettre en œuvre des réformes qui devraient traduire une vision de la Tunisie et être au service du peuple. Radhi Meddeb, président du Centre financier aux entrepreneurs, nous donne plus de détails. Interview.
Le gouvernement tunisien a présenté un plan de réformes au FMI. Ce plan serait-il réalisable ?
Le plan de réformes en cours de préparation par le gouvernement tunisien en vue de sa présentation au Fonds Monétaire International (FMI) risque d’être difficile à mettre en œuvre, étant donné l’extrême complexité de la situation que nous vivons aujourd’hui. Celle-ci est d’ailleurs le résultat de multiples accumulations sur les 20 dernières années au minimum.
Ce plan de réformes s’appuie sur un certain nombre d’hypothèses et de résultats à atteindre. Je me pose la question : au-delà de sa faisabilité, est-ce que les résultats que la Tunisie atteindrait au bout des cinq prochaines années sont à la hauteur des attentes du peuple tunisien et seraient-ils en mesure de régler les problèmes de la Tunisie ?
Malheureusement, avec le niveau d’endettement auquel la Tunisie arriverait, avec le taux d’inflation qui resterait encore élevé et surtout avec la faiblesse de la croissance économique, ce plan ne me semble pas à la hauteur des défis qu’affronte la Tunisie.
La loi des finances 2022 ne comporte aucune nouvelle mesure fiscale touchant les entreprises. Est-ce que ceci prouve que la capacité de l’économie à générer des revenus fiscaux est quasiment à ses limites ?
L’économie tunisienne est capable encore à générer des revenus fiscaux, mais pas chez les mêmes qui payent aujourd’hui des impôts. S’il s’agit d’alourdir la fiscalité sur les entreprises transparentes et citoyennes ou d’augmenter la fiscalité sur les salariés, on a effectivement atteint largement les limites.
Par contre, il reste des gisements de revenus fiscaux encore importants, peu sinon pas exploités. Il s’agit du secteur informel qui représente autour de 30 à 35% de l’économie nationale. Ce secteur joue le rôle du voyageur clandestin qui bénéficie de tout ce que l’Etat offre pour la collectivité mais ne contribue pas au paiement des impôts. Il faut soumettre l’informel à la fiscalisation.
Il s’agit, également, du régime forfaitaire qui n’est pas soumis à une fiscalité juste et citoyenne. Aujourd’hui, il y a 420 mille forfaitaires en Tunisie qui ne contribuent qu’à hauteur de 0,2% des revenus fiscaux de l’Etat, ce qui est strictement insignifiant. Ce n’est plus acceptable aujourd’hui que des professions libérales comme les avocats, les médecins, que d’autres activités comme les cafés, les restaurants ou autres, ne contribuent que très modestement et beaucoup moins que les salariés.
Comment peut-on trouver un équilibre entre les grandes réformes et la préservation du pouvoir d’achat ?
Nous allons souffrir pendant les années à venir parce que nous avons joué à la cigale pendant au moins 10 années. Nous avons dépensé ce que nous n’avions pas et consenti des augmentations de salaires que la productivité et la création de valeur et de richesse ne justifiaient pas. Nous avons aussi embauché des dizaines de milliers de personnes pour des emplois fictifs, notamment, dans les sociétés de jardinage et d’environnement, mais aussi dans l’administration et les entreprises publiques…
Il n’y pas de miracle, nous allons payer la facture tôt ou trad. Il faut donc savoir quelle équité et quelle justice sociale devraient accompagner la nouvelle redistribution à venir.
Est-ce que l’absence de démarche participative dans l’élaboration du plan des réformes pourrait envoyer le pays vers de nouvelles perturbations sociales ?
Je pense qu’il n’y aura pas d’accord entre la Tunisie et le FMI s’il n’y a pas suffisamment de concertation entre les différentes parties prenantes en Tunisie, notamment, avec les partenaires sociaux. Le FMI nous a déjà obligé de trouver un minimum de consensus, et ce, pour la faisabilité et l’appropriation des réformes sur lesquelles le gouvernement s’engagerait avec le Fonds.
Il faut rappeler que nous avons déjà signé, sur les 10 dernières années, au moins deux accords avec le FMI. Ces accords n’ont pas été menés à leur terme. Les gouvernements étaient trop pressés d’avoir l’argent et n’ont jamais été assez regardants sur la faisabilité, l’acceptabilité et l’appropriation des réformes proposées au FMI. Mais pour ce nouvel accord, il n’en sera, probablement pas, de même.
Est-il possible de sortir de la crise économique en Tunisie sans avoir recours au FMI ?
Malheureusement, il n’y aura pas de sortie de crise économique, cette fois-ci, sans recours au FMI. Nous avons trop perdu du temps, et les différents gouvernements ont cru pouvoir louvoyer et tergiverser avec les organisations internationales, sans s’engager formellement sur des réformes réelles. D’ailleurs, nous connaissons tous les fameuses matrices de conditionnalités acceptées par les gouvernements successifs des dernières années, qui étaient convaincus qu’ils n’allaient pas les mettre en œuvre. Leur but était seulement d’obtenir l’accord du FMI et d’autres bailleurs de fonds et d’engranger les ressources à l’appui de ces conditionnalités.
Je crois qu’aujourd’hui la recréation est terminée. Sans le FMI, nous n’irions pas vers la mobilisation des ressources dont nous avons besoin. D’ailleurs, dans le document, en cours de préparation pour être présenté par le gouvernement tunisien au FMI, il est clairement indiqué que la mobilisation des ressources auprès des bailleurs de fonds internationaux, des pays frères et amis (Arabie Saoudite, Etats-Unis…) et auprès du marché international des capitaux, est assujettie à un accord préalable avec le FMI.
Votre mot de la fin
Les réformes sont inéluctables. Nous avons trop tardé à les mettre en œuvre. Les réformes ne sont pas techniques, mais éminemment politiques. Elles devraient traduire la vision et le projet de Société de ceux qui les conçoivent et les mettent en œuvre.
Nous avons besoin de plus d’inclusion et de solidarité. Les réformes devraient être au service du peuple tunisien et le fardeau à supporter devrait être mieux partagé par l’ensemble de la collectivité.
Propos recueillis par
Imen Zine