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La mauvaise politique peut pousser aux mauvaises aventures…Rappelons nous 1978, 1984 et 2010.
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Est-il acceptable que des députés, ayant fait l’apologie du terrorisme, aient le droit d’auditionner des chefs militaires ?!
Par Kamel Akrout*
Que les armées soient loin de la politique c’est certainement la chose la plus précieuse et la plus utile pour les militaires et les armées. On ne le dira jamais assez.
La société, les acteurs politiques partout dans le monde y compris dans les plus grandes démocraties regardent l’institution militaire comme un potentiel acteur du jeu politique non pas à cause de sa capacité à utiliser la violence, mais à cause de sa capacité à dissuader l’usage de la violence venu de l’extérieur et de l’intérieur. C’est ainsi qu’il faut voir l’armée et non comme une troupe domestique. C’est l’armée du XXIe siècle. Au risque de surprendre beaucoup, l’armée tunisienne est au seuil de cette qualité des armées modernes. Les appels au chef de l’Etat signés par quelques collègues n’y changeront rien. L’inspiration a très certainement détourné le message.
Dans sa longue histoire, pourtant parallèle à des changements de régimes, l’armée tunisienne n’a jamais tenté, ni exécuté un coup d’Etat, ni n’a voulu renverser un pouvoir civil. Dans ses traditions, dans son organisation, a été intégrée, la règle salutaire de la soumission de l’action militaire à la décision politique. Ceci n’est pas une simple phrase ou un principe jeté sur la table telle une carte en attendant l’exception. Les militaires, les spécialistes de questions de défense parmi les politologues qui nous lisent attestent tous de la « conformation » de l’adaptation structurelle et opérationnelle de l’armée à ce principe. Toute sa structure en découle.
Au risque de décevoir beaucoup d’adeptes des complots de tout bord, il n’y a jamais eu un «بيان رقم 1 » émanant de l’Armée et je me permets de dire qu’il n’y en aura jamais.
En 2011 et 2012, l’armée n’a jamais voulu, ni tenté ne serait-ce que par hypothèse, prendre le pouvoir. J’en étais témoin et un des garants. Elle a sécurisé le pays, conformément aux lois en vigueur. A l’adresse de beaucoup, une armée ce sont des moyens, des femmes et des hommes, mais surtout des traditions.Ceci pour les enseignements de l’histoire.
Il subsiste néanmoins des questions qui ont été soulevées pêle-mêle par l’opinion publique, les journalistes et les citoyens. Ce sont des questions légitimes. Celle de l’usage du grade devant le nom et surtout du droit des militaire à un statut de citoyen une fois accomplie la vie militaire.
Ce que nous emportons à la fin de notre mission.
Jadis, le soldat partant recevait une solde finale et le droit d’emporter une partie de son armement, monnayable plus tard comme complément de revenu. Il était rendu à la vie civile paré d’une partie des attributs du militaire. Dans les armées modernes, la seule chose que peut emporter le militaire c’est son dernier grade. L’usage est honorifique, encadré par la loi. Les lois tunisiennes le permettent, il suffit d’y revenir. Une fois accomplie la mission, une fois organisé l’adieu aux armes, l’homme ou la femme militaire n’emporte que son dernier grade, c’est l’usage et le règlement. C’est sa seule récompense pour le temps passé sous les drapeaux.
Si certains s’en offusquent, ils ont tout loisir de faire voter une loi interdisant cet usage.
Rendu à la vie civile, l’ancien militaire ne perd pas sa vie antérieure, il gardera le droit de réfléchir, d’écrire, de participer à la vie publique. A moins de vouloir instituer une quelconque discrimination, on ne peut faire du soldat un citoyen de 2ème classe en le privant du droit de vote (ce qui fut rectifié il y a si peu d’ailleurs), mais on ne peut le condamner à une mort sociale et politique sous prétexte d’avoir été militaire durant la majeure partie de sa vie.
Condamner une partie du peuple au silence sous présomption de complot putatif est non seulement condamnable en principe mais aussi en droit. Etre retiré de la vie militaire, ne veut pas dire être retiré de la vie. Nul ne peut être condamné à une telle euthanasie.
Un ancien militaire est un citoyen comme un autre.
Est-il plus acceptable dans notre pays qu’une assemblée compte parmi ses membres des députés accusés de différents délits ou qu’un ancien militaire sans casier judiciaire qui au détour d’un article donne son avis ?
Est-il plus honorable d’avoir été un ex-baron de la contrebande, devenu député et d’organiser la cérémonie de remise des galons au chef local de la douane ou d’être un militaire qui durant des années mis sa vie au service de la bannière ?
La société peut-elle accepter que certains, parmi ceux qui ont fait l’apologie du terrorisme, devenus députés, puissent avoir le droit d’auditionner dans une commission parlementaire des chefs militaires (au péril de leurs vies) et de se faire ouvrir les bases militaires pour inspection et refuser à d’anciens militaires d’émettre avis et opinions y compris sur des questions de sécurité ?
C’est à ces questions que doit répondre la société civile.
De la caste politique rien ne viendra, elle s’est accommodée de ses privilèges au point de nier l’évidence. Le danger ce ne sont pas quelques lignes tracées par un militaire.
Le danger c’est de vouloir instrumentaliser dans une course effrénée vers le pouvoir quitte à user de toutes les ficelles. Certaines sorties ne sont pas innocentes dans le timing et dans la syntaxe. Mais, certains nous ont habitués à ce comportement. Malgré cela, le soldat reste un citoyen comme un autre, sauf à vouloir l’ériger en sous-catégorie de la population qui bien qu’indispensable à la Nation serait éternellement coupable de ce que certains présument. Ce serait le comble de l’injustice, une relégation sociale et politique.
La solution n’est pas dans la condamnation perpétuelle des militaires à une sous-citoyenneté, ni même dans l’abrogation pure et simple des armées. La solution est ailleurs.
Si les acteurs politiques avaient la probité irréprochable, si la politique était légitime et les actes étaient légaux, si l’action était conforme à la promesse, si le citoyen était respecté dans sa dignité, si le pays n’était pas bradé au premier venu et sa souveraineté offerte en caution à des prêts indus…
Si la constitution ne fut pas médiocre, alors très certainement, peu parmi nous aurait l’envie de s’engager, il y a certes la passion du pays et du débat, il y a surtout le devoir d’agir devant de tels manquements et une telle faillite historiquement inédite.
Cette faillite n’est pas une présomption, ce sont des chiffres et une réalité. Ce sont 23% des tunisiens sous le seuil de pauvreté après dix ans du règne qui s’offusquent qu’on puisse écrire une vérité sur leur politique. Les mauvaises aventures ne germent pas dans la tête des militaires, la mauvaise politique en revanche peut pousser aux mauvaises aventures rappelons nous 1978, 1984 et 2010.
*Contre Amiral (R) Kamel Akrout
Statut – Juin 2021