Par Abdelaziz Kacem
En tout intellectuel libre de toute charge autre que la sienne propre, une Cassandre est aux aguets. On est condamné à voir venir, à prévenir la calamité, sans être jamais cru. Et l’on a toujours tort d’avoir raison.
Aujourd’hui, après huit ans de dérive et de « dérêve », je repense au dernier discours de Ben Ali où, le panache en moins, il reprend le gaullien « Je vous ai compris ! ».J’eusse aimé qu’on le prît au mot. Le connaissant, pour avoir subi sa haine, il eût été capable, ne serait-ce que par lâcheté, de lâcher du lest, à savoir qu’il ne briguerait pas un autre mandat et qu’il ouvrirait le jeu démocratique, ce qui aurait pu nous épargner bien des désastres. Mais, la foule déchaînée, remuée par tant de rancœurs, travaillée par tant de manipulations occultes, ne pouvaient faire machine arrière. Sans compter le rôle ignoble des snipers, ces monstres venus de je-ne-sais quel enfer dantesque pour conduire les événements à leur point de non-retour.
En l’absence d’un tribun charismatique, le seul mot retenu, en ce 14 janvier 2011, et relayé par un grand nombre de chaînes de télévision, a été proféré, d’une voix trémulante, par un citoyen ordinaire, Ahmed Hafnaoui : « Nous avons vieilli pour l’avènement de cet instant historique ». Au vu des dégâts, il s’en est « mordu » la langue.
On reprochait à ZABA la corruption de sa famille. Mais le dinar se portait bien et la pénurie n’était pas à craindre. Moi, je me contenterais de rappeler son rôle dans la faillite de l’Éducation et dans la désertification culturelle d’où est issue la génération perdue que l’on sait.
Inculte, esclave de ses pulsions, Ben Ali, par la brutalité de ses barbouzes, a procuré à bien des nullards de quoi se targuer d’un semblant de légitimité politique. Ils n’étaient pas tous innocents. Maintenant, ils nous gouvernent.
Par quelle malchance, avons-nous été incapables de faire l’économie d’une Constituante calamiteuse ? Par quelle connivence avons-nous laissé créer une ruineuse IVD qui n’a rien à voir avec la Vérité et la Dignité ? Par quelle myopie coupable avons-nous entériné une amnistie criminelle qui a revigoré le terrorisme ? Avons-nous balayé un régime, certes pourri, mais laïc, pour que pavoise l’obscurantisme ? Nos mosquées sont investies par d’abominables barbus et quelque trois mille de nos jeunes voyous sont allés se perfectionner dans l’horreur, en Irak et en Syrie.
Et puis, à voir et à écouter certains « représentants du peuple », les urnes, qui les ont vomis, me renvoient péremptoirement à la Boîte de Pandore…
Le dernier des boétiens, de par l’univers, sait que le Chaos dit constructif, si cher à G. W. Bush et à Condoleezza Rice, connaît, avec la funeste bénédiction de l’hypocrite Barak Obama, sa première concrétisation dans ledit « Printemps arabe ». Et si, malgré les catastrophes qui continuent de s’abattre sur le pays, nos hâbleurs se gargarisent encore avec leur « révolutionnette », c’est que les natifs de ce côté-ci de la Méditerranée n’ont aucun sens du tragique. Et puis faisons comme si… Tenons-nous-en à l’aphorisme de Cocteau : Puisque ces mystères nous dépassent, feignons d’en être l’organisateur.
La Tunisie, par qui le tsunami a commencé, va très mal ; l’Egypte n’en finit pas avec ses violentes turbulences ; la Libye est littéralement désarticulée ; le Yémen se meurt sous un feu fratricide ; la Syrie peine à sortir d’une guerre atroce, sans précédent, dans l’Histoire. Seules les républiques sont touchées. Si les monarchies sont, jusque-là, épargnées, c’est que la démocratie n’y est pour rien dans l’affaire.
Comment nous en sortir ? Pour commencer, sachons utiliser judicieusement la petite marge de manœuvre, qui nous reste. Sur le grand échiquier du monde, force nous est de jouer avec les CARTES en notre possession. Jusqu’à présent, nous n’avons pas trouvé les JOUEURS qu’il faut à la partie serrée qui s’impose. Il est vrai que, plus que jamais, « les grands fauteuils n’ont plus de postérieurs à leur mesure ».
Abdelaziz Kacem