D’ici le 10 décembre prochain, les députés devront approuver les dispositions de la loi de finances 2019. Une loi pas comme les autres qui s’inscrit dans une conjoncture socio-économique mais aussi politique tourmentée. Aujourd’hui, tous les yeux sont aux aguets. Que nous réserve le projet de la LF ? Les dispositions proposées sonnent-elles le glas de l’amateurisme « révolutionnaire » ou signent-elles le début de la relance tant espérée ?
Par Yosr Guerfel
La loi de finances au titre de l’exercice 2019 s’articule autour de six axes à savoir : la relance économique, le développement régional, l’emploi, le package social, la digitalisation et le « decashing » ainsi que la lutte contre la fraude fiscale. Le gouvernement a fixé notamment comme objectifs la relance de l’investissement, le renforcement du pouvoir compétitif des entreprises, la poursuite des réformes fiscales, l’élargissement de la base imposable, la limitation des transactions en liquide outre le respect des standards internationaux en matière fiscale de façon à éviter un nouveau blacklistage. Reste à savoir si le gouvernement dispose vraiment des moyens de ses ambitions ?
Allègement fiscal
Le PLF ne prévoit pas de nouvelles impositions qu’elles soient sur les entreprises ou sur les personnes physiques. Il faut dire que le gouvernement accède aux doléances du patronat qui n’a que trop enduré du bâton fiscal infligé aux entreprises au cours de ces dernières années. Des taxes et des droits de douanes parfois improvisés outre le foisonnement des mesures fiscales. En effet, l’on compte plus de 570 mesures fiscales déclarées en six ans sur un total de 15 lois de finances. Une instabilité fiscale qui dérange les unités productives et qui n’a fait que paralyser les investissements productifs. Du coup, le PLF propose un certain allègement du fardeau fiscal qui pèse sur les entreprises opérant dans des secteurs prioritaires à forte valeur ajoutée. L’Etat prévoit dès lors l’abaissement du taux d’imposition sur les sociétés de 25% à 13,5% sur les gains réalisés à partir du 1er janvier 2021 et déclarées à partir de l’année 2022 et ce pour certains secteurs manufacturiers et les services liés à l’informatique. Sont concernés par cet allègement : les industries mécaniques, électroniques et électriques ; la construction des voitures, avions, bateaux et trains et leurs composants ; l’industrie de câblage ; l’industrie des médicaments et équipements médicaux ; le secteur du textile, cuir et chaussures, l’industrie agroalimentaire et les centres d’appels, les sociétés du commerce international et les services d’innovation dans les technologies informatiques et la programmation.
Au titre d’encouragement à la création d’entreprises et à la génération de postes d’emplois, le PLF prévoit la poursuite de l’application de l’article 13 de la LF2018 prévoyant une exonération sur l’IS et sur l’IRPP durant quatre ans des entreprises créées en 2018 et 2019 pour couvrir celles à créer en 2020. Et venir au secours d’un secteur en détresse, celui du textile-habillement et cuir et chaussures, l’Etat prendra en charge la contribution patronale au titre de sécurité sociale pour une durée de 10 ans essentiellement pour les entreprises opérant dans les zones de développement régional. Est-ce suffisant pour redorer le blason d’un secteur stratégique en Tunisie ?
Un élargissement du champ d’application de la déduction de 30% au titre d’utilisation d’équipements et de matériaux pour les entreprises nouvellement créées pour couvrir les projets de rénovation et d’extension, est également prévu par la LF 2019. Le secteur des énergies renouvelables fait partie des priorités du gouvernement en proposant un allégement des droits de douanes et de la TVA sur les panneaux solaires.
Le budget alloué au fonds de promotion des exportations passera de 40 MD à 80 MD
Pour booster les exportations le PLF propose le doublement du budget alloué au fonds de promotion des exportations de 40 MD à 80 MD. Une consolidation de la restructuration financière des établissements touristiques en difficulté est également proposée et ce, à travers l’octroi d’avantages fiscaux aux établissements adhérents à cette restructuration. Cet avantage consiste à déduire à hauteur de 25% les recettes et les gains réinvestis dans la restructuration financière des hôtels concernés du revenu imposable et ce, pour les opérations de souscription au capital des hôtels en question qui a lieu au cours de la période s’étalant du 1er janvier 2019 au 31 décembre 2020.
Telles sont les principales mesures annoncées en faveur du renforcement de l’unité productive tunisienne. Des mesures qui laissent quand même à désirer selon les observateurs.
600 MD alloués au titre du développement régional
Deux principales mesures sont proposées dans le cadre du développement régional. Il s’agit finalement de la création de la banque des régions, une banque qui sera dotée d’un capital de 400 MD financée par plusieurs institutions financières internationales dont la Banque Allemande de Développement (KFW). Par ailleurs, une enveloppe additionnelle de 200 MD sera allouée au titre du programme de développement régional.
Le gouvernement promet le démarrage de plusieurs grands projets d’infrastructure en suspens dont le fameux pont de Bizerte, le port en eau profonde d’Ennfidha, le Port financier de Raoued, la réalisation de la première étape du projet de dessalement d’eau de mer à Sfax mais aussi à Zarat (Gouvernorat de Gabès).
Avec un taux de chômage de 15,4% au deuxième trimestre 2018, soit plus de 634000 chômeurs, la lutte contre le chômage notamment celui des diplômés du supérieur est toujours d’actualité. Le gouvernement Chahed mise sur la promotion de l’initiative privée et propose deux mesures dans le PLF à savoir un budget additionnel de 150 MD au profit du fonds de l’emploi et le lancement d’un nouvel instrument permettant aux jeunes promoteurs de disposer de fonds propres nécessaires à la création d’entreprises. Ce nouvel instrument sera doté d’une enveloppe de 50MD.
Un budget de 2000 MD pour la création de nouveaux établissements de santé
Côté social, le PLF prévoit 9 mesures dont l’amélioration de la qualité des services éducatifs et des services de santé. A juste titre, le gouvernement propose la création de nouveaux établissements de santé pour un budget de 2000 MD. Un chiffre à la limite effarant au vu des contraintes budgétaires de l’année 2019. L’Etat se portera par ailleurs garant pour faire bénéficier la pharmacie centrale d’un prêt de 500 MD à même de lui assurer un approvisionnement régulier en médicaments. Le PLF prévoit par ailleurs une réconciliation fiscale entre le citoyen et les conseillers municipaux élus, la baisse des droits de consommation sur les voitures touristiques dont la puissance ne dépasse pas les quatre chevaux fiscaux.
Baisse des services Internet domestique fixe
Cette année, un chapitre intégral a été dédié à la digitalisation et au decashing dans le PLF. Ceci dénote de l’intérêt porté à la digitalisation de l’économie et surtout à la simplification des procédures administratives. Parmi les mesures proposées on notera la baisse de la TVA appliquée sur les services d’Internet domestiques fixes de 19% à 7%, la généralisation de la facture électronique, la numérisation du dossier médical et la distribution des médicaments pour un budget prévisionnel de 117 MD.
Plusieurs mesures sont également prévues au titre de decashing ou encore de réduction du cash dans l’économie. C’est d’ailleurs la stratégie adoptée par la BCT pour tacler le dérapage de la circulation de la monnaie
Lutte contre l’évasion fiscale et révision du secret professionnel
La lutte contre l’évasion fiscale constitue le sixième et dernier axe du projet de la LF. Lequel propose de clarifier et réviser la question du secret professionnel pour les agents dans les services fiscaux, en instaurant certaines exceptions afin de faciliter l’échange d’informations entre les services fiscaux, les structures de contrôle et les services publics. Il s’agit de permettre aux services fiscaux d’exécuter les recours déposés auprès des tribunaux concernant les informations à caractère fiscal, outre la levée du secret professionnel fiscal au profit de certains établissements publics et structures de contrôle en vue de leur permettre d’accomplir leurs fonctions.
Parmi ces structure et établissements figurent la Banque Centrale de Tunisie (BCT), la Caisse Nationale de Sécurité Sociale (CNSS), l’Institut National de la Statistique (INS), l’Agence Technique des Transports Terrestres (ATTT), la conservation de la propriété foncière (CPF) et la Direction Générale des Douanes. Le PLF propose également de permettre aux services fiscaux l’échange et l’exploitation d’informations conformément aux conventions internationales.
Ce sont les principales dispositions de la loi de finances telles que proposées à la commission des Finances et de planification pour examen et approbation. Une LF sans surprises ou presque qui n’a pas l’air de mettre le feu aux poudres comme celle de 2018 même si les contraintes budgétaires sont innombrables avec un héritage de plus de 9,3 milliards de dinars de dettes à payer.
Avec une enveloppe de 40,741 milliards de dinars (dont 25 milliards de dinars de dépenses de gestion), le budget de l’Etat pour l’exercice 2019 repose sur les hypothèses suivantes :
- Un taux de croissance de 3,1%
- Prix de référence du baril de pétrole : 75 dollars
- Déficit budgétaire : 3,9% du PIB
- Taux d’endettement 70,9% du PIB