Taoufik BOURGOU*
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On a la diplomatie et la souveraineté de ses moyens, de ses capacités, de son travail, de son économie
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L’aide internationale n’est ni homogène, ni obligatoire et elle n’est jamais désintéressée sauf à croire qu’on vit dans un monde peuplé par des anges
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Nous assistons à une éclipse de la scène mondiale et une vassalisation vis à vis de petites puissances
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Sans l’aide américaine, la Tunisie ne peut pas s’équiper, entrainer son armée et avoir une capacité d’action
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On peut décider de sortir d’un partenariat, il faut en payer le prix
TUNIS – UNIVERSNEWS Au risque de choquer plus d’une âme sensible et même le Président de la République, la sortie de l’ambassadeur américain pressenti pour le poste de Tunis, ne s’adressait pas à ceux qui se sentent visés.
Lorsqu’il a évoqué la Tunisie, le futur Ambassadeur américain à Tunis, M. Hood, ne s’adressait ni au tunisiens, ni à la diplomatie tunisienne, ni au Président tunisien et encore moins à la presse tunisienne. M. Hood était en audition devant le Sénat des Etats-Unis, au nom du principe de la séparation des pouvoirs (que certaines éminences grises tunisiennes venaient de classer dans la rubrique des obsolescences juridiques). Chaque haut fonctionnaire fédéral est auditionné car sa fonction est aussi une dépense, un poste budgétaire. L’exécutif demande, le législatif autorise ou peut ne pas autoriser la dépense.
A la lecture de l’exposé de M. Hood, rien qui n’intéresse directement la Tunisie. Ça peut choquer les oreilles chastes, mais ce n’était pas son objectif. Il a dit en substance à ses mandants, les «tax payers» : je vais veiller à ce que vos impôts qui me permettent d’exercer mes fonctions et agir dans le pays qui m’accrédite soient bien dépensés conformément aux valeurs et aux principes américains. Depuis 1788, date d’adoption de la constitution, les choses se passent ainsi. Aucun risque que ça change par les gesticulations et les manifestations tunisiennes.
Certains ont interprété les propos de l’ambassadeur américains comme de l’ingérence, certains des partisans du président ont commencé d’ores et déjà à demander son renvoi et sa non-accréditation et d’autres demandent tout simplement à rompre avec les Etats-Unis et aller vers une alliance avec les russes, les chinois, les iraniens et les coréens du nord. Tout cela montre une méconnaissance totale de la diplomatie et de ses mécanismes et surtout la méconnaissance des institutions des autres pays.
La diplomatie du coup de menton pour satisfaire l’hystérie de la foule pas ses intérêts à long terme
Théoriquement, les Etats sont à égale dignité sur la scène internationale. Ça c’est ce qu’on apprend à nos étudiants au premier cours en première année de droit. Mais dès le second cours on leur apprend à regarder la réalité internationale différemment. On leur apprend qu’on a la diplomatie et la souveraineté de ses moyens, de ses capacités, de son travail, de son économie. Autrement dit, si Singapour est un pays respecté par les Etats-Unis, la Chine et les autres puissances, c’est parce que ce pays a construit des capacités qui le rendent un partenaire utile et solide. Ce que la Tunisie n’a pas fait durant dix ans en s’endettant et s’ouvrant aux quatre vents, au point de devenir champ d’influence. Quand les présidents égyptien et algérien ont discuté du « problème tunisien » au nez et à la barbe du Palais de Carthage, on n’a entendu aucun son. Alors soyons calme et réaliste pour ajouter à la dépendance, le ridicule.
On peut ne pas vouloir l’entendre, mais sous Bourguiba la situation de la Tunisie sur la scène internationale était meilleure qu’elle ne l’est aujourd’hui, dans le contexte qui était le sien, celui de la guerre froide, celui d’un pays sorti de la colonisation. Il a pu réussir à construire une diplomatie solide qui correspond aux intérêts de la Nation Tunisienne et de l’Etat en construction. Rappelons juste les noms et le figures comme Mongi Slim, comme Rachid Driss, Habib Chatti et bien d’autres. Rappelons la photo de discussion entre Kennedy et Mongi Slim.
Sous Ben Ali aussi, malgré son opposition à la première guerre du Golfe et son opposition à la seconde, il a pu maintenir une sorte d’équilibre, y compris avec les Etats-Unis et l’Europe. Sous Essebsi il y a eu une tentative de rétablissement d’une vraie diplomatie mais elle a été parasitée par l’action de Ghannouchi et les lobbys d’Ennahdha, aux Etats-Unis, au Qatar et en Turquie. Sous Marzouki c’est une mise à la traine du Qatar et de la Turquie dans une honteuse vassalité. Actuellement nous assistons à une éclipse de la scène mondiale et une vassalisation vis-à-vis de petites puissances.
Le coup de menton du Président et les rodomontades médiatiques du Doyen Bouderbala, tafsiriste en chef et de la petite partitocratie ressemblent plus aux tornades de poussières kadhafiennes dans la « Place Verte » de Tripoli qu’à une crise internationale.
L’aide a toujours une contrepartie
Quand on est lié par des partenariats, par des aides, par des coopérations, quand on affirme faire partie de la grande famille des démocraties, on agit autrement et différemment. Car les aides des Etats, toutes sans exception aucune, sont conditionnées par leurs intérêts propres. Cela s’entend aussi pour les aides pays frères ?
On peut espérer qu’il n’a pas échappé au Président de la République et à l’ensemble de ceux qui font entendre leurs voix que l’aide internationale n’est ni homogène, ni obligatoire et qu’elle n’est jamais désintéressée sauf à croire qu’on vit dans un monde peuplé par des anges.
Elle n’est pas homogène d’abord. Il y a l’aide humanitaire qu’on délivre à une population en détresse et dont les autorités sont incapables de lui livrer des moyens et des services. Il y a l’aide dans le cadre de partenariats avancés. Ce que la Tunisie a essayé d’avoir à partir de 2011. Ces aides comportent un volet politique, notamment l’adaptation aux critères démocratiques et l’acceptation d’un certain nombre de principes.
Dans le cas des aides américaines et européennes et elles sont stratégiques, le volet politique est important. De fait, la Tunisie, peut sortir de ce cadre afin d’être en dehors de tout questionnement quant à la qualité de sa démocratie, de son respect des droits de l’homme, des libertés politiques. En sortant elle perd des aides stratégiques majeures. Prenons le cas des aides militaires. Sans l’aide américaine et celle de quelques pays européens (deux pays), la Tunisie ne peut pas s’équiper, entrainer son armée et avoir une capacité d’action. Cela s’étend d’ailleurs à la lutte anti-terroriste. Il suffit de regarder l’équipement de l’USGN pour comprendre qui aide.
Les pays qui aident payent cette aide par les impôts de leurs contribuables, auxquels ils doivent rendre des comptes. Plus l’aide est importante, plus la conditionnalité politique est importante, plus l’intégration dans un champ de valeurs politiques communes est importante plus la diplomatie partenariale est tatillonne quant au respect des principes.
On peut décider de sortir d’un partenariat, il faut en payer le prix.
L’actuelle équipe au pouvoir a tout loisir à sortir des conventions et des accords signés. Elle ne le fera pas car elle n’a aucune alternative crédible sauf à mentir à la population. Mais si elle choisit de rester dans le cadre de ses accords, il faut qu’elle comprenne et qu’elle fasse comprendre à la population que rien ne s’obtient sans contrepartie. L’aide se fait aux conditions de celui qui donne.
Sortir d’un partenariat stratégique comporte des risques. La foule qui réclame à hue et à dia le renvoi de l’ambassadeur américain doit comprendre que seul deux pays sont en capacité d’aider la Tunisie à ce niveau stratégique. Cela comporte un prix, celui de s’adapter aux critères de la démocratie. Peut-on faire grief aux Américains de leur lecture de la nouvelle constitution de Monsieur Saïed ? Non. D’abord, les Américains, les « tax payers », veulent savoir à qui vont leurs impôts. Ils jugent le texte en fonction de leurs critères et pas selon les critères des tafsisrites de tout poil. C’est en fonction de ces mêmes critères qu’ils décident d’accorder une aide ou pas, d’avoir des relations diplomatiques ou pas. C’est légitime, nous aurions fait la même chose.
Mais, mieux encore, qui peut croire que la constitution de juillet 2022 établira un pouvoir démocratique ? Aucun constitutionnaliste ou politologue tunisien ni étranger n’a donné un satisfécit d’équilibre et en adéquation avec les règles démocratiques pour cette constitution.
Ce n’est pas parce que les vociférations de la foule arrivent à couvrir les voix de la raison que la foule a raison. C’est même l’inverse. C’est à la fois une leçon de politique et de diplomatie.
* Politologue, Chercheur au CERDAP2, Sciences Po Grenoble.