Certes, la situation de la Tunisie sur le plan politique et économique n’est pas au beau fixe. En effet, les orientations politiques et économiques à définir dans les années à venir s’annoncent dures. Et tout dépendra de la stratégie retenue. Si notre pays continuera à naviguer à vue sur le plan économique, il est évident que tout le pays va en pâtir.
Vu l’augmentation du volume de refinancement, la Banque Centrale de Tunisie (BCT) a durci ses mesures visant à orienter les banques vers le financement des secteurs productifs, à soutenir la croissance et à rationaliser le recours excessif au refinancement auprès de l’institut d’émission.
Ajoutons à ceci, la situation des banques publiques, qui nécessite davantage de consolidation. C’est dire combien les défis sont, actuellement, de taille.
Pour en savoir plus sur toutes ces problématiques, Habib Karaouli, PDG de Cap Bank a bien voulu nous en parler avec force détails permettant d’avoir un meilleur éclairage sur la situation économique du pays. Interview…
- L’idée de créer un pôle bancaire public ne date pas d’aujourd’hui, mais où en sommes-nous exactement sur ce point précis ? La recapitalisation des banques publiques en 2015, était elle vraiment la solution idoine et pouvons-nous dire que les banques publiques vont mieux actuellement ?
En mars 2011, j’ai dit déjà que si les banques ne seront pas restructurées et si on ne procède pas à un assainissement total du système bancaire, y compris les banques privées, elles seront une partie du problème et non pas de la solution. Malheureusement, l’histoire m’a donnée raison. On n’a pas pris les mesures qu’il faut. Par conséquent, on s’est retrouvé avec un système bancaire complètement asymétrique avec un paysage composé des banques privées qui, bon an, mal an, arrivent à s’en sortir et avoir un bilan relativement équilibré, mais avec des banques publiques qui sont beaucoup plus dans la difficulté.
Les pouvoirs publics ont opté pour la solution de recapitalisation des banques publiques. Manifestement, ce n’était pas la bonne voie, parce que ce n’est pas une affaire de ressources, c’est une question de conception globale et de stratégie.
Du point de vue strictement analytique et abstraction faite de tout, les autorités monétaires seraient peut-être amenées à augmenter, d’au moins 50 points de base, le taux directeur pour rattraper le niveau d’évolution de l’inflation.
La question est la suivante : Est-ce que l’Etat a besoin d’un bras financier qui puisse l’accompagner et traduire sa volonté politique notamment en matière de financement de l’économie ?
A mon avis, la réponse est oui. Actuellement, la question est de savoir quel est le périmètre et la taille de cet instrument ? Est-ce à travers la configuration actuelle avec un Etat présent quasiment dans une quinzaine de banques, à des niveaux différents, en plus de la Caisse de dépôts et de la Consignation (CDC) qui est déjà un bras financier important ? La situation est-elle, ainsi, idéale ou pas ?
De mon point de vue non. Il faut élaguer. Il faut que l’Etat s’en débarrasse. Il doit se débarrasser des participations minoritaires, et le produit de cette cession doit être domicilié dans un fonds dédié qui ne servirait qu’à restructurer ce que l’Etat a décidé de garder. Donc, j’ai proposé de renforcer une banque à savoir la STB essentiellement. Lui donner les moyens qu’il faut pour pouvoir jouer ce rôle. Actuellement, les résultats sont assez mitigés. Même si les banques sont arrivées, grâce à l’augmentation du capital, à avoir des fonds propres conformes aux normes prudentielles, elles prouvent, de plus en plus, que leu contribution au financement notamment des PME et PMI reste insuffisante à un moment où nous avons besoin du renforcement de l’Etat.
Je suis de ceux qui estiment que dans un horizon de 10 ans, l’Etat restera la principale locomotive en matière d’investissements notamment publics. Dans une situation de crise, l’Etat doit être le leader et doit donner l’exemple. Ce que nous constatons dans l’histoire économique du monde, c’est l’investissement public qui précède, suivi de l’investissement privé domestique puis, beaucoup plus tard, des investissements directs étrangers (IDE) et éventuellement de Partenariat Public Privé (PPP). Mais, c’est souvent et toujours, l’Etat qui donne le large. Je rappelle juste que la crise de 2008 et la restructuration du système bancaire et financier, ce sont les Etats, même dans les pays les plus libéraux, qui ont procédé à cette restructuration. Ce que nous voulons c’est d’éviter que soit le contribuable qui paie les errements d’une gestion qui n’est pas tout à fait correcte.
- Nos banques souffrent-t-elles réellement d’un problème flagrant au niveau de la liquidité ?
La liquidité est un problème général pour tout le systéme bancaire. La BCT intervient d’une manière beaucoup plus renforcée pour faire en sorte que cette liquidité existe. Mais malheureusement, même avec l’intervention de l’institut d’émission, le marché reste encore « illiquide ». Ce que nous constatons, c’est que les ressources bancaires vont de moins en moins vers l’investissement productif.
La BCT a pris un certain nombre de mesures pour réduire et encadrer davantage les crédits à la consommation parce que tendanciellement, les banques sont plus commodes, faciles, beaucoup plus rémunératrices et moins risquées de faire des crédits à la consommation, plutôt que de faire des crédits productifs. C’est pour ça qu’on a un problème qui s’est compliqué davantage et c’est ce que j’ai appelé à un moment « un effet d’éviction « .
Quand l’Etat, lui-même, a privilégié son endettement intérieur en lançant ses BTA à des taux sans risque pour les banques, donc rationnellement les banques ont acheté de la dette de l’Etat au détriment de l’investissement productif.
- Comment estimeriez-vous la situation du dinar, déjà détériorée, au cours de cette année ?
Concernant la situation du dinar, il faut se dire une fois pour toutes, que c’est la résultante des performances de l’économie nationale. Marouane Abbassi, a clairement dit que ce qu’il l’intéresse en tant que gouverneur de la BCT, ce sont nos réserves en devises. Ces dernières, sont, effectivement, nécessaires pour assurer le financement et la prise en charge des importations en termes de biens d’équipement et de matières premières indispensables à notre industrie et pour assurer aussi le service de la dette, puisque nous sommes fortement endettés. Parce qu’on se dit que si la situation économique s’améliore, bien entendu, la monnaie nationale va automatiquement s’améliorer.
Par ailleurs, la BCT est complètement dans son rôle avec ses révisions, devenues régulières, des taux directeurs. Nous sommes encore en territoire négatif en termes de taux d’intérêt avec une légère reprise de l’inflation. Du point de vue strictement analytique et abstraction faite de tout, les autorités monétaires pourraient être amenées à augmenter, d’au moins 50 points de base, le taux directeur pour rattraper le niveau d’évolution de l’inflation.
- Quelle est votre position concernant la privatisation des entreprises publiques ?
Je ne crois pas que la privatisation va résoudre quoi que ce soit. Avant de privatiser, il faut tout d’abord restructurer. Il faut aussi fixer des objectifs. Si l’idée de privatiser et de maximiser le produit de la cession pour financer le budget de l’Etat, ce serait, alors, la pire des choses à faire et ce serait le pire service qu’on puisse rendre au pays.
Avant de privatiser, il faut restructurer, s’assurer et faire des choix à la fois sectoriels et nationaux. Et à partir de ces choix, décider ce qu’on peut garder ou ce qui ne doit pas l’être. Dans tous les cas de figures, il ne faut jamais privatiser pour utiliser le produit de la cession comme appui budgétaire. Et si elle doit impérativement être faite, il faut que y aller dans un cadre stratégique après une restructuration et après une étude de toutes les possibilités.
En définitive, la pire des options réside dans le fait que des fois l’Etat ne sait pas ce qu’il va faire avec les produits de la cession et ne sait pas ce qu’il va faire du secteur. Or, y a des secteurs tellement importants qu’il faut réfléchir deux fois avant de prendre la décision.
Propos recueillis par N.A