TUNIS – UNIVERSNEWS – À l’occasion du cinquantième anniversaire de l’Agence de promotion de l’industrie et de l’innovation, la direction générale de l’APII a honoré les anciens directeurs généraux depuis sa création. Universnews a rencontré Khélil Lajimi qui a été à la tête de l’APII du 6 décembre 2001 au 22 octobre 2002, pour parler du rôle qu’a joué cette institution dans le développement industriel de la Tunisie.
Khélil Lajimi est ingénieur de l’Ecole polytechnique fédérale de Lausanne (1986) et diplômé de l’Ecole nationale d’administration de Paris (1994). Il a commencé sa carrière au ministère de l’Economie Nationale à la Direction Générale de l’industrie. Il a été nommé ensuite comme Secrétaire d’Etat au sein du même département chargé de l’industrie. Au passage, il a été à la tête du GICA, de l’APII, et d’El Fouledh. Au gouvernement, Lajimi a occupé le Secrétariat d’Etat à la Coopération Internationale et à l’Investissement Étranger puis le ministère du tourisme pour quitter le gouvernement en janvier 2010.
- UNIVERSNEWS : Donnez-nous un aperçu général concernant votre passage à l’APII ?
Khélil LAJIMI : Je ne suis pas resté longtemps à la tête de l’APII. Moins d’une année. Au cours de ce passage nous avons fêté le 30ème anniversaire de la création de l’APII et de la loi 72-38 en présence de M.Tijani Chelly, le fondateur, et de M. Moncef Ben Abdallah son successeur et Ministre de l’Industrie à l’époque.
Durant mon passage, l’APII a été l’initiatrice du texte de la création de la BFPME. Notre idée était de créer une banque de développement des PME adossée à une structure de garantie la SOTUGAR et un financement concessionnel du capital par le FOPRODI. Le problème majeur des jeunes promoteurs est l’absence de garanties réelles bancables. Ils ont des idées de projets, des études de marché, des business plans mais lorsqu’ils présentent leurs dossiers de financement auprès du secteur bancaire ils font face à un rejet faute de garanties.
Il y a eu des arbitrages. La Banque de financement des petites et moyennes entreprises (BFPME) a été créée et la SOTUGAR est restée une structure indépendante.
Le Fonds de Promotion et de Décentralisation Industrielles participe au capital des PME promues par les jeunes promoteurs à un taux symbolique de 3% sur 10 ans. Le triptyque FOPRODI, BFPME et SOTUGAR apporte une solution pour financer les projets des jeunes entrepreneurs.
- Parlons maintenant de l’histoire de la création de l’APII
La Tunisie a vécu une expérience économique assez “douloureuse”. C’était la période du socialisme. En 1964, le congrès du PSD (le parti socialiste destourien) a adopté dans sa motion économique la politique de socialisation de l’économie. Une politique qui s’est soldée par un échec et un rejet total de la part des Tunisiens qui n’ont pas accepté que leurs « outils de production » soient «confisqués » pour être gérés de manière collégiale. Sociologiquement le Tunisien, descendant d’Elyssa Phénicienne et fondatrice de Carthage, est un entrepreneur né.
Après cet échec, Hédi Nouira a été nommé, en 1970, à la tête du gouvernement. Il a joué la carte de l’ouverture et de la liberté d’entreprise. On connait la loi 72-38 mais il y a eu une autre loi tout aussi importante, c’est la loi 74-74 qui a créé le Fonds de Promotion et de Décentralisation Industrielles (FOPRODI). A cette époque, Hedi Nouira a fait appel à un grand monsieur, Tijani Chelly. Ce dernier a créé l’APII et rédigé la fameuse loi 72-38 qui a octroyé des avantages aux sociétés industrielles totalement exportatrices. Et depuis, l’aventure a démarré …
Pour revenir au bilan de l’APII, si on le mesure sur la longue période de 50 ans, il est impressionnant. A titre d’exemple, en 1971, la Tunisie comptait 480 entreprises industrielles (avec 10 emplois et plus) qui exportait 90 MTND de produits industriels. Aujourd’hui, en 2021, le pays compte 5000 entreprises industrielles qui exportent 44 000 MTND de produits industriels et qui emploient 515 000 personnes.
Un autre chiffre encore plus édifiant, c’est la part des exportations de produits manufacturés, c’est-à-dire les exportations de produits industriels (textile, habillement, cuir, chaussures, composants automobiles, composants aéronautiques …). En 1971 ils représentaient 5% du total des exportations de marchandises. En 2021 cette part à grimper à 85% soit une multiplication par 16. C’est ça la transformation qui s’est faite sur ces 50 dernières années grâce à une politique industrielle volontariste. La Tunisie passant d’une économie primaire à un pays industriel.
Aujourd’hui, tous les grands groupes industriels Tunisiens, ont pratiquement démarré par un FOPRODI ! Tout simplement, l’APII a été le moteur de développement du secteur industriel en Tunisie.
- Que pensez-vous de la restructuration de l’APII annoncée par le DGA Kamel Ouerfeli ?
Il faudra que les structures de l’APII évoluent et suivent les mutations industrielles dans le Monde. Nous sommes, aujourd’hui, dans une économie mondialisée, qui change tous les jours. 50% des emplois de 2035 (demain) ne sont pas encore connus. On doit se rappeler l’impact de la révolution numérique sur le marché de l’emploi. Heureusement que la Tunisie est sortie gagnante de cette mutation grâce à son système éducatif. Avec la crise sanitaire du COVID-19 et la guerre en Ukraine, les chaînes logistiques ont été totalement bouleversées, la disponibilité des matières premières vitales comme le blé et les produits énergétiques n’était plus garantie.
Avec l’explosion actuelle des prix de l’énergie, je pense qu’il va y avoir en Europe une grande crise en 2023, une récession qui va nous impacter puisque 75 % de nos échanges extérieurs se font avec l’Europe. De même, pour le tourisme tunisien et les transferts des TRE, si le citoyen européen, ou bien qui travaille en Europe, qui vient passer ses vacances en Tunisie voit son pouvoir d’achat affecté, il va réduire sa consommation, les loisirs donc le tourisme seront les premiers budgets touchés. Les transferts des TRE qui travaillent en Europe vont aussi diminuer.
La Tunisie a des opportunités. L’APII ne peut pas faire tout le travail seule, mais plutôt en collaboration avec le Centre de Promotion des Exportations, CEPEX (la mutation des marchés, les opportunités des exportations) et l’Agence de Promotion de l’Investissement Extérieur, FIPA pour les investissements étrangers et même l’Office National du Tourisme Tunisien, ONTT. Il y des synergies évidentes entre ces structures d’appui.
L’APII a un rôle d’observation de l’évolution du monde de l’industrie et surtout les mutations technologiques (l’électromécanique, la microélectronique…). La technologie évolue rapidement. Il faut qu’il y ait un observatoire se focalisant sur les startups et l’industrie 4.0.
Nous avons le savoir-faire et la capacité en ressources humaines, nous avons des jeunes très qualifiés, pour que la Tunisie saisisse les opportunités qui se présentent dans l’espace euro-méditerranéen!
Il y a un triangle APII, FIPA et CEPEX qui aura un rôle important à jouer dans les années à venir pour préparer l’économie de demain en Tunisie.
Jihen MKEHLI