Par Khélil LAJIMI
Ancien ministre
TUNIS – UNIVERSNEWS L’agence de notation Moody’s a dégradé, la semaine dernière, la note souveraine de la Tunisie de Caa1 à Caa2. On est, ainsi, à deux crans du défaut de paiement selon les analystes de cette agence. Hasard du calendrier, cette dégradation est annoncée la veille du second tour des élections législatives. Cela nous rappelle le retrait du dossier tunisien de l’ordre du jour du Conseil d’administration du FMI du 12 décembre dernier, alors même que le Président de la République était en visite à Washington.
Qu’en est-il réellement ?
Nul doute que les gouvernements successifs, depuis 2011, ont dilapidé l’argent public. Ils ont oublié les principes de la gestion rigoureuse des finances publiques de leurs prédécesseurs. En 2008, la Tunisie a été classée seconde mondiale dans la gestion des finances publiques par le WEF (World Economic Forum). Ce temps-là semble lointain. Un chiffre édifiant du laxisme budgétaire de la dernière décennie : la masse salariale publique a plus que triplé entre 2010 et 2022 ! La gestion du budget est devenue tellement intenable que le titre II (le budget d’investissement) est devenu une variable d’ajustement, alors que cette rubrique comporte les projets structurants qui sont la source de la croissance future. Un comportement irresponsable puisqu’on lèguera aux générations futures une montagne de dettes à rembourser.
Les paiements extérieurs source d’inquiétude pour l’année 2023.
Les prévisions macroéconomiques de l’année 2023 projettent un déficit courant de 12,5 Mrds de dinars (8% du PIB) et un service de la dette extérieure de 11,2 Mrds de dinars, soit un besoin total de l’ordre de 24 Mrds de dinars. En contrepartie, les réserves nettes en devises sont aujourd’hui de 22 Mrds de dinars (96 jours d’importation).
En termes plus simples, nos réserves en devises auxquels on rajouterait 2 milliards de dinars suffiraient à financer ces besoins. Mais ce serait de l’inconscience car il faudrait maintenir un minimum de réserves estimé à 90 jours d’importation. C’est un exercice purement théorique pour montrer que la situation est certes difficile mais pas à deux doigts de la cessation de paiement.
Pour appréhender la réalité voici quelques évolutions de certains secteurs clés de notre économie qui pourraient nous mettre dans une situation plus confortable :
– Une bonne saison touristique à 7 Mrds de dinars au lieu des 6,5 budgétisés, c’est 500 millions
de dinars de recettes supplémentaires ;
– Une bonne dynamique des TRE avec des recettes à 11 Mrds de dinars au lieu des 10,5 estimés
c’est aussi 500 millions de dinars de recettes supplémentaires ;
– Une exportation de 1 million de tonnes de phosphate brut rapporte 1 milliards de dinars de recettes supplémentaires ;
– Une reprise économique mondiale molle et étalée dans le temps pourrait faire baisser le prix du baril (sauf catastrophe en Ukraine) de l’ordre de 10 $. C’est une économie de 1,2 Mrds de dinars ;
– Des transferts d’appui budgétaire de 3 Mrds de dinars.
Ces évolutions optimistes, certes, montrent que la situation n’est pas catastrophique et ne justifient pas la cacophonie actuelle autour de la cessation de paiement. La situation est difficile. Elle requiert une rigueur dans la gestion des finances publiques. La Tunisie peut s’en sortir. Il y a toujours eu un sursaut de patriotisme dans les moments critiques. Mettons nos égos de côté et pensons à notre chère patrie.
Enfin et pour revenir à Moody’s il ne faut pas oublier sa décision du 31 janvier qui a dégradé les notes de quatre banques de la place. Il est flagrant que c’est une pression sur ces banques pour ne pas acheter de la dette publique.
Alors, la décision de Moody’s une décision politique ?