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Le cas tunisien démontre définitivement que le projet de démocratisation du monde arabe a totalement et définitivement échoué
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Ni le statu quo actuel, ni le retour au système de 2014 ne sont désormais possibles. Washington feint de l’ignorer
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12 millions de personnes sont en droit de savoir ce à quoi s’expose leur pays
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Le dossier tunisien devant le FMI est soudainement devenu le dossier algérien
Tawfik Bourgou
TUNIS – UNIVERSNEWS Depuis le début du mois de mars 2023, la Tunisie fait l’objet de dangereuses annonces. Les unes venant d’organisations internationales, les autres de chefs d’Etats étrangers dont certains se croient régents d’une Tunisie devenue une de leur «wilayas». Des chefs de gouvernements étrangers qui se permettent même «d’étudier tous les scénarios possibles en Tunisie» (Dixit la réunion entre la Cheffe du Gouvernement italienne et le président algérien).
Au sommet du pouvoir on maintient le silence et la dissertation sur les à-côtés.
Annoncer l’effondrement d’un pays n’est pas une chose anodine, il ne s’agit pas d’un avis entendu dans un café du coin proféré par une personne avinée. Il s’agit de propos, certes conditionnés, tenus par le Secrétaire d’Etat des Etats-Unis d’Amérique, la première puissance du monde, face à la plus puissante commission du Sénat des Etats-Unis.
Devant cette commission, la parole a valeur d’indicateur à tous les investisseurs du monde. Sur la base de cette parole et sur des indicateurs économiques, qui sont très mauvais, des banques peuvent construire l’analyse d’un risque souverain.
La déclaration de la Sous-Secrétaire d’Etat à l’agence Reuters, après son entrevue avec le Ministre des Affaires étrangères semble, elle aussi, monter d’un cran et questionne indirectement la stratégie diplomatique du pouvoir en place.
Plus grave encore, quand l’Algérie se permet d’affirmer par la voix de son président qu’il existe un complot contre la Tunisie. Dès lors, des questions doivent lui être posées.
Dans la langue de la diplomatie, un complot contre un pays signifie la mise en cause de son intégrité territoriale, de la viabilité de son régime politique et de la sécurité de ses citoyens par une ou plusieurs entités extérieures. Un complot suppose des comploteurs, une stratégie et un objectif. Le Président algérien semble être bien informé et relie son affirmation à des circonstances. L’existence d’un complot signifie, en termes clairs, des troubles pouvant aller jusqu’à la guerre ou la déstabilisation durable d’un pays.
Une autre déclaration, celle de l’OTAN par la voix de son Secrétaire Général, relayée par un journal italien évoque même « la main de Moscou » dans les vagues de l’immigration clandestine venant de l’Afrique subsaharienne et qui envahissent la Tunisie. Nous avions évoqué ce scénario d’une guerre hybride utilisant une vague migratoire depuis l’Afrique Subsaharienne et envahissant la Tunisie pour s’attaquer à l’Europe du sud, dans une tribune du mois de février, dans ce même média. Ce qui était un scénario semble devenir une action hostile désignée explicitement par la plus puissante coalition militaire du monde. Les affirmations rapportées par le journal italien placent la Tunisie au centre d’un dangereux processus. Il s’agit d’une série d’affirmations graves, redondantes dont il faut questionner la véracité, le timing, l’intérêt.
Pourquoi une telle agitation à propos de la Tunisie ?
La réponse est triple. De façon marginale, pour les Etats-Unis, la fin de l’expérience tunisienne signera un cinglant démenti à la compatibilité de l’islam et de la démocratie. Le cas tunisien démontre définitivement et de façon lapidaire que le projet de démocratisation du monde arabe a totalement et définitivement échoué, que les frères musulmans adoubés comme acteurs d’une démocratisation sous perfusion ont été et sont la source de cet échec. La Tunisie a signé l’acte de décès du processus dit des printemps. Ni le statu quo actuel, ni le retour au système de 2014 ne sont désormais possibles. Washington feint de l’ignorer.
L’autre raison est la fragilisation sécuritaire de la Tunisie par l’immigration clandestine subsaharienne qui a fait du pays un corridor vers l’Europe et qui atteint aujourd’hui des moyennes catastrophiques, insupportables par les pays de l’Union Européenne. Situation tout à fait exploitable par d’autres, car on sait que la guerre en Ukraine va avoir des répliques en Afrique riche subsaharienne. Les tournées des responsables occidentaux prouvent l’imminence de l’entrée de l’Afrique « utile », celle des ressources rares dans les bras de fer multiples.
La troisième explication est simplement financière. Les pays prêteurs veulent s’assurer de la solvabilité future d’un pays auquel ils ont beaucoup prêté.
Face aux multiples allégations, dangereuses et inquiétantes, le pouvoir en place ne peut maintenir le silence. Il ne s’agit pas d’informer l’opinion mondiale, il s’agit d’informer ses propres citoyens. Ces questions ne sont ni ésotériques, ni difficiles à comprendre. 12 millions de personnes sont en droit de savoir ce à quoi s’expose leur pays. Deux périls majeurs sont évoqués par des puissances étrangères: l’effondrement économique et le complot extérieur évoqué par Monsieur Tebboune.
Deux situations de périls majeurs qui doivent susciter une réaction de la présidence de la république, de façon immédiate.
Laisser prospérer des affirmations, des hypothèses d’effondrement par le silence c’est consentir à leur véracité. Si on estime que ces analyses et affirmations sont fausses, alors il faut leur opposer un démenti clair. Se taire est une faute politique grave et une faute diplomatique qui mine la crédibilité d’une direction politique et d’un pays vis-à-vis de l’extérieur.
Quand des pays étrangers évoquent pour vous l’effondrement du pays dont vous avez la charge et dont vous assurez la présidence, vous avez l’obligation d’informer votre peuple qui vous a élu, et ceux qui n’ont pas voté pour vous aussi. Dans n’importe quel autre pays, la réaction aurait été immédiate, forte et surtout orale, face à la presse, dans une langue compréhensible par les citoyens, dans la langue commune, sans accuser un « on » putatif, car il s’agit de la vie d’un peuple et de la terre de ses ancêtres.
Refuser de venir devant la presse pour expliquer techniquement, en dehors des généralités et des absolus, ne constitue pas un acte de souveraineté. Le silence diplomatique n’est pas l’apanage de tous, pas quand on a une lourde dette et que manifestement on ne dispose d’aucune stratégie économique.
Le 23 mars, alors que la Sous-Secrétaire d’Etat était en train de quitter Tunis, la première ministre a trouvé le temps de discuter de l’accord tunisien avec le FMI avec son homologue algérien. On pourrait croire que le dossier tunisien devant le FMI est soudainement devenu le dossier algérien. Un accord qui n’est pas encore connu des citoyens renvoyés à leur statut de consommateurs, à qui on doit expliquer le cours de la banane dans les marchés de la capitale quand le dernier des quidams de la primature algérienne semble en connaitre les détails. De quel droit et sous quel prétexte ?
Dogmatiquement, par ignorance certainement, l’actuelle équipe a fait croire à son peuple que demander l’aide du FMI est une sorte d’obligation, une contrainte. En fait il n’en est rien, le FMI ne s’impose à personne et n’impose pas qu’on recourt à lui. Mais si on demande son aide, on accepte les conditionnalités liées à la réception de l’aide. Or, selon la presse tunisienne, en même temps la première ministre de la Tunisie informe heure par heure le premier ministre algérien de l’avancée du dossier de la Tunisie devant le FMI. Le comble de la sujétion !
Vers quelle direction va la Tunisie ? Nul ne le sait.
T.B.
* Politologue