TUNIS – UNIVERSNEWS – La figure du journaliste ainsi que son statut, en Tunisie, n’ont jamais été aussi méprisés. C’est ce qui ressort des témoignages glanés au cours de l’enquête.
Un ex-journaliste qui veut garder l’anonymat, ayant travaillé pour l’hebdomadaire écrit en langue arabe « Les Annonces » (qui a fermé ses portes en 2015), est allé jusqu’à nous interpeller, au moment où nous lui posions notre question, en nous incitant à troquer le qualificatif « pénible », peu à propos à son goût, pour « ingrat ».
Il a déclaré, avec toute l’amertume que l’on pourrait ressentir chez une personne, que le journalisme « est le métier le plus ingrat et le moins gratifiant qui soit. »
A ce sujet, Ali Ghwaydia apporte de l’eau à notre moulin en déplorant le fait que « Le journaliste en Tunisie n’est plus mis en avant : Il écrit de moins en moins, présente de moins en moins d’émissions, etc.… » et d’ajouter : « il est amené à avoir un sentiment d’injustice quand il constate le recul de ses rôles rédactionnels. » « Aussi, la question du revenu. Quand on voit aujourd’hui des journalistes qui restent 5 ou 6 mois sans salaire, ça pose question ».
Interrogé à ce sujet, Sahraoui Gamâoun, journaliste et ancien correspondant pour l’agence Tunis Afrique Presse à Alger, déclare sur un ton ironique : « Le salaire d’un journaliste est inférieur à celui de quelqu’un qui fait 4 ans d’études de Droits, d’ingénierie ou de médecine. » et poursuit en disant : « La société donne la priorité à ces métiers et il n’y a pas eu assez de négociations entre les différentes parties concernées, en vue d’accorder au journaliste un salaire décent »… Avant de ponctuer par une formule dont lui seul a le secret : « On surnomme le journalisme « Sa majesté », mais « Sa majesté » est recluse dans son palais ! »
Rappelons, tout de même, qu’une convention collective portant sur la presse écrite et électronique fut signée, le 9 janvier 2019, entre le SNJT et le gouvernement. Cette convention constitua un bond de géant en avant en matière de droits accordés aux journalistes, de rémunération, de recrutement, de sécurité d’emploi et d’encadrement.
Cependant, et fait marquant, cette convention ne sera pas publiée dans le Journal officiel de la République Tunisienne, condition sine qua non de son entrée en vigueur, que le 9 décembre 2022.
En effet, après moult recours intentés par le gouvernement auprès du tribunal administratif pour retarder l’échéance, ce dernier a rendu son jugement définitif ordonnant la publication immédiate de cette convention au JORT, le 31 décembre 2021.
Cette publication fut une consécration pour le SNJT qui, des années durant, fit de cette affaire son sacerdoce et ne cessa de mettre la pression sur les autorités avec des moyens d’actions en tous genres.
Toutefois, ceux qui sont les plus au fait de la situation financière catastrophique des entreprises de presse écrite ainsi que du recul de la lecture en Tunisie, craignent que cette avancée n’ait jamais aucun effet et appellent à une restructuration totale d’un secteur qui trouve des difficultés à s’adapter aux changements des habitudes de consommation des contenus médiatiques, et à l’apparition des nouveaux moyens de les créer.
Absence de données
Ce qui nous frappa le plus à mesure que nous avancions dans notre enquête, c’est l’absence de données statistiques et d’études à ce sujet, ce qui contrastait avec le bouillonnement s’emparant du milieu journalistique qui ne compte plus ses morts.
Cas de morts survenus dans des circonstances similaires à celles de Nadhem Héni. L’on pourrait citer Basma Bahri, 40 ans, sans antécédents médicaux connus, morte le 13 décembre 2022 des suites d’un AVC ; Abdelkhalek Sadaoui, chef du département des sports à la Wataniya 2, mort le 1er janvier 2018 après avoir été admis en réanimation à l’hôpital de la Rabta dans un état critique ; Khaled Haddad, lui aussi sans antécédents médicaux connus, mort le 14 novembre 2020, frappé par un arrêt cardiaque devant le siège du journal El Chourouk en se rendant à une pharmacie.
La liste n’est en aucun cas exhaustive, mais ces quelques cas de décès laissent trainer derrière eux un faisceau d’indices qui aurait pu alerter et inciter certains observateurs à creuser ce sujet un peu plus en profondeur.
A ce sujet, Khawla Chabah déclare : « C’est une donnée manquante. Notre problème en Tunisie, c’est que nous ne prenons pas le facteur psychologique en considération. Cela a un impact négatif à coup sûr. »
Si jusqu’ici ce problème reste orphelin d’efforts en vue de le solutionner, l’espoir est que cette enquête soit le catalyseur d’actions futures qui iront dans ce sens.
Le journaliste, figure constamment sous le feu des critiques mais, indéboulonnable, il demeure un des piliers de toute démocratie. Le statut et les conditions de travail de ce dernier sont un enjeu majeur, si tant est qu’il est question d’une information de bonne qualité, produite dans les règles de l’art. Il va sans dire que cela n’est actuellement pas le cas en Tunisie, tant les problèmes confrontés par les acteurs du 4e pouvoir sont légion. Problèmes qu’il serait de bon aloi de résoudre, au moment où la pression exercée sur les médias n’a jamais été aussi forte depuis 2011. Pression entrainant tout un ensemble de dysfonctionnements lourds de conséquences sur la vie des journalistes, menant certains de vie à trépas.
Youssef BEN ARFA