- Je crains qu’on soit dans le cas d’une accalmie qui précède la tempête, et ce sont toujours nos enfants qui payeront les frais
- L’état actuel des établissements scolaires et les conditions de travail sont un autre sujet de préoccupation
- Qui parmi nos élèves serait satisfait aujourd’hui d’un système qui le mettrait probablement sur le chemin du désespoir en provoquant son décrochage scolaire à l’âge de seize ans
- Une école où le pauvre n’a plus le droit de réussir, est une école qui devrait inquiéter gravement, pas seulement les familles, mais également et spécialement les décideurs
- La qualité des enseignants et leur confort moral, physique et matériel figurent parmi les principales conditions de la réussite de l’école
TUNIS – UNIVERSNEWS – La rentrée scolaire est une période phare de l’année, autant pour les enfants que pour les parents. Entre la peur, l’envie et la curiosité, la rentrée des classes provoque parfois de fortes angoisses chez les enfants mais aussi chez les enseignants et les parents qui se mobilisent pour la réussite de leurs enfants comme le souligne Ridha Zahrouni, Président de l’Association Tunisienne des Parents et des Elèves
- Universnews : La rentrée est-elle aussi stressante pour les enseignants ?
Ridha Zahrouni : Si on parle de l’année scolaire en cours, je ne crois pas qu’avec une politique du bâton sans carotte peut résoudre des problèmes à la fois récurrents et structurels avec un déficit de confiance grandissant entre la tutelle et ses enseignants et c’est un problème de sous par excellence.
Pour les enseignants vacataires, la situation est particulièrement complexe, ils sont confrontés à des conditions de travail plus difficiles, en raison notamment des salaires dérisoires et des affectations dans des zones retranchées du pays. Personnellement, je crains qu’on soit dans le cas d’une accalmie qui précède la tempête, et ce sont toujours nos enfants qui payeront les frais.
Par ailleurs, et sur un autre plan, de nombreux enseignants expriment leur inquiétude quant à leur capacité à gérer des élèves de plus en plus difficiles avec des classes surchargées. La rentrée des enseignants, qui s’est déroulée seulement 24 heures avant celle des élèves, ne leur permet pas de bien préparer leurs emplois du temps et de s’adapter aux changements de dernière minute. Une situation qui risque d’être mal gérée, en particulier par les nouveaux enseignants qui débutent dans leur carrière
En outre, l’état actuel de nos établissements scolaires et les conditions de travail sont pour eux un autre sujet de préoccupation. Les équipements nécessaires à l’administration des cours, tels que des rétroprojecteurs, sont de plus en plus rares ou en panne, de nombreux établissements scolaires sont en mauvais état, avec des salles vétustes et des installations sanitaires insalubres, ce qui crée de sérieux problèmes d’hygiène pour les élèves.
- Des enfants qui vivent mal à l’école, cela existe-t-il ?
Il aurait fallu poser autrement la question, c’est-à-dire existe-t-il des élèves qui vivent bien l’école ? J’aurais souhaité personnellement la réalisation d’un sondage d’opinion pour faire sortir la part de nos élèves réellement satisfaits de notre système éducatif. Mais avec l’état actuel de notre école publique, je mets ma main à couper pour un pourcentage insignifiant.
Qui parmi nos élèves serait satisfait aujourd’hui d’un système qui le mettrait probablement sur le chemin du désespoir en provoquant son décrochage scolaire à l’âge de seize ans. Un enfant qui voit ses aînés sans rien dans la tête, ni dans les mains, traîner dans un environnement où la violence et la délinquance sont en nette progression.
Et même dans le cas contraire, cet enfant est obligé de mettre deux fois plus de temps, donc deux fois plus d’effort pour réussir son parcours scolaire qu’un enfant en Europe. Nos enfants vivent un stress au quotidien non seulement à cause de la peur de l’échec mais également à cause du cauchemar de la réussite provoqué par la pression constante des parents.
- Comment les parents peuvent-ils aider leurs enfants à trouver leur place parmi leurs nombreux camarades de classe ?
Si le parent est engagé, il y a de forte chance que ses enfants soient motivés. Il faut parler en bien de l’école, même si l’on doit mentir, et qu’on s’intéresse à ce que nos enfants font en classe et dans les enceintes des établissements scolaires, cela les aide à avoir une attitude positive envers l’école. Il nous faut participer autant que possible, aux réunions de parents d’élèves et à quelques activités scolaires. Nos enfants verront ainsi l‘intérêt qu’on accorde à l’école. Il nous faut éveiller leur curiosité, leur donner le goût d’apprendre et de découvrir des choses, même si ça semble difficile dans l’état actuel de notre système éducatif.
- Des milliers de familles sont au-devant d’un dilemme cornélien : pourront-ils encore compter sur une école publique qui a déjà montré les limites de ses soucis pédagogiques ?
A chaque nouvelle rentrée scolaire, les parents se trouvent confrontés à un vrai casse-tête chinois. Outre les dépenses qu’ils doivent supporter pour garantir la rentrée, d’autres frais sont à prévoir pour être engagés tout le long de l’année scolaire. Avec ça, ils doivent se poser de sérieuses questions sur les chances de réussite de leurs enfants et sur l’utilité de leurs investissements.
Une école, notamment l’école publique, dont la qualité ne cesse de se détériorer, qui n’est plus gratuite, encore moins ascenseur social, en perpétuelle crise, qui n’est plus sûre, où les divers trafics, violence sous ses plusieurs formes et délinquance sont en nette recrudescence. Une école où le pauvre n’a plus le droit de réussir, est une école qui devrait inquiéter gravement, pas seulement les familles, mais également et spécialement les décideurs
- La question de la surcharge des classes se pose avec acuité à l’occasion de chaque rentrée scolaire. Les élèves se retrouvent à 40 et plus dans des classes exiguës. Qu’en pensez-vous ?’
En France, l’un des dossiers majeurs dont le président français s’est engagé à prendre en charge quand il était candidat aux élections présidentielles de 2017, est celui de l’école. Il considérait injuste qu’un jeune Français quitte l’école sans savoir lire, écrire et compter, alors qu’ils ont 6 fois moins de décrocheurs que chez nous. La première mesure qu’il a prise dans ce sens consiste à dédoubler les classes dans les zones d’éducation prioritaire et passer ainsi d’une classe de 24 élèves à deux classes de 12 élèves. C’est la mesure-phare qu’il a mis en application dès sa prise en charge de sa nouvelle fonction, l’objectif étant d’améliorer les capacités des élèves à lire, écrire et compter tout en gommant les inégalités dans la société.
Je vous laisse imaginer les conséquences et les coûts supportés par nos enfants des générations qui se suivent à cause de l’encombrement des classes chez nous, qui dépasse parfois les 40 élèves.
- Le manque d’enseignants se pose depuis une semaine dans certaines disciplines, la situation s’aggrave. Le problème se corse dans les zones rurales. Est-ce un problème de recrutement ou lié aux enseignants qui ne veulent pas aller dans les zones éloignées ?
Le problème de la gestion des ressources humaines, est toujours posé dans notre école publique et depuis plusieurs années. A cause de nos difficultés financières, en tant qu’Etat, et pour réduire la charge salariale, assez conséquente au niveau du budget du ministère de l’éducation, la tutelle privilégie souvent le recours aux vacataires pour combler certains déficits en personnel, notamment dans les zones rurales et profondes du pays. Donc un personnel sous-considéré sur tous les plans.
Ce qui est à l’origine d’un vrai désastre au niveau des résultats en creusant davantage les écarts et les inégalités entre les différentes catégories sociales et les régions. Une gestion irresponsable, discriminatoire et immorale, lorsqu’on sait que la qualité des enseignants et leur confort moral, physique et matériel figurent parmi les principales conditions de la réussite de l’école. Tous les systèmes éducatifs performants font appel à des enseignants de qualité, bien rémunérés, et bien considérés, mais avec obligation de résultats, bien évidemment.
- Qu’attendez- vous de la réforme scolaire ?
Je suis de nature optimiste et je crois que la situation actuelle de notre école ne peut durer éternellement. Il faut juste que l’État prenne conscience de la gravité de sa réalité et mette en œuvre tous les préalables requis et apporte toutes les réponses nécessaires pour remédier à la situation. Les réponses sont d’ordre réglementaire, organisationnel, technique et matériel. L’Etat doit réserver les ressources humaines et financières nécessaires et bien planifier l’exécution du projet, pour être à la fois ambitieux et réalisable pour que notre école devienne la pierre angulaire pour garantir la réussite de nos enfants et leur dignité, l’épanouissement de notre société et sa cohésion, et l’essor de notre pays, sa sécurité et son intégration dans le monde de l’excellence.
L’Etat doit institutionnaliser la gestion de ce projet en associant tous les intervenants et toutes spécialités concernées : les professionnels de l’éducation, les parents, les élèves, l’enseignement supérieur, la formation professionnelle, les intérêts économiques, culturels, financiers et réglementaires, les organisations professionnelles, la société civile, les politiciens, les décideurs, etc. C’est le rôle du conseil supérieur de l’éducation et de l’enseignement.
M.S.