TUNIS – UNIVERSNEWS (Agences) – Il a comparé Netanyahou à Adolf Hitler et a qualifié Israël d’État terroriste. Le président turc Recep Tayyip Erdogan ne mâche pas ses mots pour afficher son soutien à la cause palestinienne. Mais dans les faits, c’est une tout autre histoire. Les exportations turques vers Israël ont fortement augmenté depuis le début de la guerre. Mohamad Hasan Sweidan analyse les différents facteurs qui animent le double jeu d’Erdogan. (I’A)
Il avait déjà été porté aux nues pour avoir réprimandé Shimon Peres, alors Premier ministre israélien, sur ses crimes de guerre tout en claquant la porte du sommet de Davos en 2009. Le président turc Recep Tayyip Erdogan a encore frappé. Il a ordonné à ses fonctionnaires de boycotter le Forum économique mondial (WEF) de cette année en raison de la guerre génocidaire menée par Israël à Gaza.
Toute personne ayant prêté attention aux déclarations d’Erdogan depuis le début du conflit serait pardonnée si elle pensait vraiment que la Turquie est à l’avant-garde des nations qui s’opposent à Israël et soutiennent la cause palestinienne. En effet, peu de pays dans le monde sont prêts à adopter une rhétorique aussi acerbe contre les politiques de Tel-Aviv que le populiste à la tête de l’État turc.
Erdogan qualifie Israël d’”État terroriste
Erdogan est même allé plus loin encore avec l’opération « Déluge d’Al-Aqsa » et l’assaut militaire israélien sur Gaza qui a suivi. Son langage a ainsi pris une tournure brutale lorsqu’il a qualifié Israël d’«État terroriste».
Le président turc s’en est pris aussi à ses partenaires de l’OTAN: «Si nous maudissons l’administration israélienne, nous n’oublions pas ceux qui soutiennent ouvertement ces massacres et ceux qui font tout pour les légitimer», en référence aux États-Unis et à d’autres alliés occidentaux d’Israël. Avant de décréter : “Nous sommes confrontés à un génocide” à Gaza.
Dans un premier temps, Erdogan a appelé au calme. Il a souligné l’importance de préserver la vie des civils des deux côtés, dans le but probable de ménager les relations bien établies d’Ankara avec Tel-Aviv et l’Occident. Toutefois, lorsque des images choquantes d’atrocités commises par Israël ont commencé à circuler largement sur les réseaux sociaux et que l’opinion publique en Turquie a commencé à changer, la rhétorique d’Erdogan a évolué pour refléter les mêmes préoccupations. (…)
Bibi est snobé, mais l’argent continue à faire la pluie et le beau temps
Le 3 novembre, alors qu’il rappelait l’ambassadeur turc en Israël, Erdogan a déclaré : ” Netanyahou n’est plus quelqu’un avec qui nous pouvons parler. Nous l’avons rayé de la carte“. Malgré ce désaveu diplomatique, le commerce entre la Turquie et Israël reste florissant, les exportations turques vers Israël ayant bondi de 34,8 % en décembre, passant de 319,5 millions de dollars en novembre à 430,6 millions de dollars en décembre. Elles dépassent même le niveau d’avant le conflit qui était de 408,3 millions de dollars.
La Turquie reste un acteur-clé de la chaîne d’approvisionnement en pétrole d’Israël, dont environ 4% proviennent de l’Azerbaïdjan via la Turquie. Malgré les appels de l’Iran à cesser les exportations de pétrole et de nourriture vers Israël en solidarité avec les Palestiniens, Ankara persiste à maintenir ses intérêts stratégiques avec Tel-Aviv par une realpolitik enveloppée d’ambiguïté diplomatique.
La position de la Turquie sur la guerre actuelle en Palestine occupée est façonnée par une interaction complexe de facteurs internes et externes qui influencent sa politique étrangère depuis des années. Les principaux éléments sont la crise économique qui sévit depuis 2018, la montée du nationalisme en Turquie, l’impact de la dynamique du pouvoir mondial (impliquant les États-Unis, la Chine et la Russie) sur la région de l’Asie occidentale, les relations tendues entre Erdogan et l’Occident et la poursuite de l’”indépendance stratégique” par Ankara.
Sur le plan économique, la Turquie a été confrontée à une grave crise l’année dernière, marquée par une dévaluation de 35 % de la livre turque et un taux d’inflation de 62 %. L’épuisement de 26 milliards de dollars de réserves de devises étrangères pour soutenir la lire et combler un déficit substantiel de la balance courante a exacerbé la situation. (…)
La rhétorique à l’épreuve du réalisme
À l’approche des élections municipales de mars, Erdogan cherche à récupérer les pertes politiques subies par son parti à Istanbul et à Ankara, ce qui l’oblige à isoler l’impact du conflit de Gaza des préoccupations nationales. Un récent sondage indique un soutien minimal au Hamas parmi les Turcs, la majorité d’entre eux préférant adopter une position neutre.
Sur la scène internationale, le fait que les États-Unis se détournent de l’Asie occidentale en raison de la concurrence des grandes puissances dans la région Asie-Pacifique a incité des alliés, dont la Turquie, à faire des compromis sur certaines questions politiques de longue date. Par exemple, bon nombre de pays de la région se sont fortement rapprochés de la Syrie l’an dernier. L’Iran et l’Arabie saoudite ont conclu un accord historique. De même, la Turquie tend à régler ses différends avec les Émirats arabes unis, l’Arabie saoudite, Israël et l’Égypte.
Premier État musulman à reconnaître Israël en 1949, un an seulement après la création de l’État d’occupation, la Turquie s’est longtemps positionnée comme un allié important de l’Occident dans la région. Si la rhétorique d’Erdogan peut superficiellement imiter celle de l’axe de résistance de la région, dans la pratique, il est peu probable qu’il modifie de manière significative l’alignement géopolitique de la Turquie sur la question palestinienne. Sa position naturelle continue de se situer dans l’axe occidental, surtout lorsque l’argent est en jeu.