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La masse de papier-argent avait permis de satisfaire les revendications des syndicats en matière d’augmentations des salaires et de multiplier les recrutements massifs
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Les banques locales, souffrant elles aussi d’un assèchement de liquidité, éprouvent, elles aussi, des difficultés pour allouer des nouveaux emprunts
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Ni le recours aux emprunts ni l’alourdissement de la pression fiscale n’ont été suffisants pour mettre fin à l’impasse étouffante des finances publiques
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L’impact de la politique menée depuis déjà 14 ans sont multiples, et le premier est l’accentuation du virus de l’inflation
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Au début de la « révolte », le taux annuel moyen de la hausse des prix oscillait entre 2 et 3%, mais au cours des dernières années, ce taux se situe entre 9 et 10%
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Depuis la fin de 2010, la monnaie nationale s’est dépréciée d’environ 54% par rapport au dollar américain et de 43 % par rapport à l’euro européen
TUNIS – UNIVERSNEWS (Interview) – L’expert en économie et ancien ministre des Finances, Hassine Dimassi a accordé à Universnews une interview où il a évoqué plusieurs points dont le celui autorisant la Banque centrale de Tunisie (BCT) à accorder des facilités (prêts) au profit du Trésor. Dimassi n’a pas manqué de critiquer la politique budgétaire de la Tunisie et son impact sur la masse monétaire, l’inflation et les réserves de change.
• UNIVERSNEWS : Que pensez-vous de la modification du statut de la BCT autorisant à celle-ci d’octroyer au budget de l’Etat un crédit de 7 milliards de dinars ?
Hassine Dimassi : Cette mesure engage encore plus le pays dans la voie la plus périlleuse de point de vue socioéconomique, voire même politique : injecter des faramineuses masses d’argent dans une économie à croissance quasi nulle. Cette voie calamiteuse a été ouverte avec la révolte de 2011. Le ramassis d’opportunistes et de démagogues, ayant successivement gouverné le pays, n’avaient pour bagage politique qu’un populisme de basse catégorie. Afin de la maintenir calme et de l’amadouer pour des futures élections, ces gouvernants noyaient la populace, en majorité simpliste, dans un marais infect de chimères et d’illusions. Cette populace croyait, et croit encore, dur comme fer qu’en cumulant le maximum de papier-argent elle devient mécaniquement plus riche et prospère.
Cette masse de papier-argent a d’abord permis aux gouvernants de satisfaire les revendications inassouvies des syndicats ouvriers en matière d’augmentations des salaires et de multiplier les recrutements massifs, d’agents souvent médiocres et inutiles, pour la fonction publique et les entreprises publiques.
Ce papier-argent a ensuite servi à procéder à des massifs transferts pour le compte non seulement des familles nécessiteuses et la caisse générale de compensation mais aussi à la plupart des entreprises publiques souffrant d’un déficit chronique croissant.
Enfin, ce papier-argent a été en partie alloué au remboursement de la dette publique qui n’a cessé de se gonfler et de s’enrichir par des taux d’intérêt excessifs et des dévaluations répétées du dinar.
• La Tunisie est contrainte aujourd’hui à mobiliser de nouveaux emprunts. Quelles sont les causes ?
Dans le cadre d’une économie somnolente, les ressources propres de l’Etat, provenant pour l’essentiel de la fiscalité et des profits des entreprises publiques, ne suffisaient plus pour faire face à ce gonflement rapide et irréfléchi des dépenses du budget. Pour faire fonctionner cette machine crispée, les gouvernants ont fait d’abord appel à des grands emprunts aussi bien internes qu’externes. Cependant, très vite, les gouvernants ont commencé à éprouver des grandes difficultés à mobiliser des nouveaux emprunts. Le refus de concrétiser les réformes économiques et financières exigées par le FMI, d’une part, et la dégradation des notes octroyées à notre pays par les agences internationales de supervision, d’autre part, ont fini par rendre l’accès à des emprunts extérieurs difficiles, voire impossible. Quant aux banques locales, elles ont gelé trop d’argent dans les emprunts au budget de l’Etat sous forme de « bons du trésor », à taux d’intérêt excessivement élevés, ou d’emprunts douteux aux entreprises publiques. De ce fait, ces banques locales, souffrant elles aussi d’un assèchement de liquidité, éprouvent, elles aussi, des difficultés pour allouer de nouveaux emprunts au budget de l’Etat et aux entreprises publiques.
Afin de contourner cette impasse, les gouvernants ont eu tendance à recourir aussi au lynchage fiscal. Le taux d’imposition, exprimant la part du PIB national revenant au budget de l’Etat, a grimpé de 19% au début de la révolte à 25% actuellement, soit une augmentation de 6 points de pourcentage en moins de 10 ans. Sachant qu’aujourd’hui un point de pourcentage du budget vaut environ 1.5 milliard de dinars.
Cependant, ni le recours sauvage aux emprunts ni l’alourdissement démesuré de la pression fiscale n’ont été suffisants pour mettre fin à l’impasse étouffante dont souffrent les finances publiques. C’est pour cette raison que les gouvernants ont fini par sombrer dans l’abîme : le recours direct à la planche-à-billet, assuré par la Banque Centrale de Tunisie.
• L’impact de cette politique budgétaire est certainement dangereux. Pouvez-vous nous éclairer davantage ?
L’impact de cette politique, menée depuis déjà 14 ans sont multiples. Le premier est l’accentuation du virus de l’inflation. En effet, le gonflement de la masse monétaire non accompagné par un croît similaire de la richesse en biens et services n’a pour conséquence qu’une flambée démesurée des prix. Au début de la révolte, le taux annuel moyen de la hausse des prix oscillait entre 2 et 3%. Les quelques dernières années, ce taux se situait entre 9 et 10%. Cette hausse des prix aurait été plus forte n’eut été les énormes charges de compensation, supportées par le budget de l’Etat. L’inflation érode gravement une économie comme la stimulée en grande partie par les exportations, dans la mesure où elle engendre une dégradation de sa compétitivité. La forte inflation ruine aussi beaucoup de fractions sociales à revenus plus ou moins figés, tels que les salariés, les épargnants, les retraités et les bénéficiaires de transferts étatiques.
Outre la hausse de l’inflation, cela engendrera une forte dépréciation du dinar par rapport au dollar ou à l’euro : depuis la fin de 2010, la monnaie nationale s’est dépréciée d’environ 54% par rapport au dollar américain et de 43 % par rapport à l’euro européen. Cette baisse de la valeur du dinar par rapport aux principales monnaies de transactions extérieures contribue à aiguiser le virus de l’inflation à travers le renchérissement des importations, et à alourdir sensiblement la charge de remboursement des emprunts extérieurs supportés par le budget de l’Etat.
L’amenuisement des réserves de change est un autre impact. D’habitude, les réserves de change sont alimentées par les recettes d’exportation des marchandises, les recettes touristiques, les transferts des émigrants, les investissements directs étrangers et les emprunts extérieurs. Lorsque l’une de ces ressources piétine (ce qui est le cas actuellement des emprunts extérieurs), les réserves en devises s’étiolent d’autant plus que, durant les mois à venir, notre budget aura à rembourser d’importants emprunts extérieurs. Le manque sensible en de devises perturbe l’économie du pays, voire la société dans sa globalité (difficultés d’importation non seulement des matières premières, d’énergies et d’équipements nécessaire à la production, mais aussi des produits de consommation de base, tel que les céréales, les médicaments. Le manque de devises trouble aussi le remboursement de la dette extérieure.
Cette politique monétaire aura également pour conséquences, l’assombrissement de l’image de notre pays à l’extérieur : le marasme économique et financier que nous vivons depuis des longues années et les mauvaises notes que nous octroient les agences de supervision, ont beaucoup contribué à ternir notre image à l’étranger. La loi modifiant le statut de la Banque Centrale ne ferait qu’éroder encore plus la crédibilité de notre pays en matières économiques, financière et monétaire.