Un article paru sur Le Monde.fr donne froid au dos. Le Carthage punique, notre roman des origines, l’expression de notre civilisation trois fois millénaire, de surcroît patrimoine universel tel que classé par l’UNESCO, fait l’objet de spéculations foncières. « Mité », le terme lourd d’implications qu’utilise Le Monde. Non seulement le trafic des pièces archéologiques, le massacre de la Baie de Gammarth, maintenant c’est Carthage qui est en proie aux spéculations.
A Carthage, le site archéologique mité par les spéculateurs
Fiché au cœur de l’ancienne capitale punique qui défia Rome, un site archéologique classé est grignoté par l’urbanisation, au grand désespoir des militants de la préservation du patrimoine.
De la colline de Byrsa, là où se dresse l’ancienne cathédrale Saint-Louis, le regard rebondit en léger contrebas sur un étage de pierres puniques avant de se perdre dans la lumière du golfe de Tunis. On a beau scruter la mémoire de Carthage, son socle phénicien, sa strate romaine ou même sa couche byzantine, on ne voit guère qu’une constellation de villas ventrues, boursouflures de béton chaulé. Il faut fouiner assidûment de l’œil pour deviner çà et là, survivances ébréchant le magma, un gradin de théâtre, une colonne de basilique, un fragment de thermes ou une voûte de citerne.
La méditation dans les vestiges de Carthage est un classique de la mélancolie. De Caius Marius, Romain hébété dans les décombres de la cité d’Hannibal rasée par les siens lors de la dernière guerre punique (146 av. J.-C.), à Chateaubriand, dérouté devant des « ruines si peu apparentes qu’[il]les distinguai[t] à peine du sol qui les portait », combien de visiteurs se sont affligés de cette gloire évanouie ? Paul Valéry avait même lancé cette troublante supplique : « Laissez mourir les ruines en paix. »
Le feu de la guerre, l’usure du temps puis l’habitat conquérant, le plus récent des périls, se sont ligués contre Carthage.
Convoitises
Abdelmajid Ennabli, archéologue en colère, ancien conservateur du musée et du site, aime à montrer une photo aérienne de la zone Carthage-Sidi Bousaïd, au nord de Tunis. Seule une tache verte, miraculeuse trouée bucolique, vient oxygéner une nappe urbaine compacte. Elle s’étale entre le cimetière américain, où reposent les GI tombés en 1943 lors de la campagne de Tunisie, et les citernes de La Maalga, jadis alimentées par le somptueux aqueduc bâti sur ordre de l’empereur romain Hadrien (76-138). D’une superficie de 300 hectares, la zone – dite de Bir Ftouha – est classée « terrain archéologique », donc en principe inviolable. « Céder sur Bir Ftouha, c’est comme faire sauter… »