La loi des finances pour l’exercice 2022, dans sa version finale, a été présentée le 28 décembre 2021 par la ministre des Finances. Sihem Boughdiri Nemsia. En réaction, Aslan Berjeb, Avocat d’affaires et membre du bureau exécutif de la Conect, nous dresse sa première lecture. Interview.
Quelles sont vos premières remarques sur la loi de finances (LF) 2022 ?
Au niveau de la forme, cette LF est la première loi de finances promulguée par un décret-loi qui est un prolongement du décret présidentiel datant du 22 septembre 2021. En fait, la LF 2022 n’a pas suivi le process classique. Il s’agit du passage par le Conseil ministériel, la Commission des Finances et l’ARP, bien avant d’être ratifiée par le président de la République.
Au niveau du fonds, cette LF a été élaborée dans un cadre où on s’attendait à des messages positifs aux opérateurs économiques et à des améliorations des finances publiques.
Du côté des opérateurs économiques, on a remarqué qu’il y a quelques messages positifs. Citant à titre d’exemple la disposition liée à la réévaluation d’actifs des sociétés. C’est-à-dire une société, qui a un bien immobilier, peut le mentionner dans son bilan sans rien payer, ce qui pourrait faciliter l’accès au financement à travers l’hypothèque des biens immobiliers.
Autre mesure positive qui permettrait aux entreprises totalement exportatrices de d’écouler 50% de leur chiffre d’affaires sur le marché local et non plus 30%. Ce pourcentage ne sera pas calculé sur les années 2020/ 2021 qui ne sont pas des années de référence, mais plutôt sur l’année 2019 qui est plus au moins une année positive.
Une autre mesure positive liée au secteur immobilier. En fait, les appartements acquis auprès des promoteurs immobiliers pourraient être enregistrés aux droits fixes à hauteur de 500 mille dinars et non plus de 300 mille dinars, et ce, pour encourager et booster ce secteur.
Néanmoins, il y a d’autres mesures qui sont perçues négatives, notamment, quelques impositions nouvelles. Citant à titre d’exemple les sociétés de commerce international et les sociétés de services totalement exportatrices qui pouvaient exporter en suspension de TVA sur le principe de la territorialité de la TVA, aujourd’hui, hélas, ces sociétés, même si elles exportent, elles devraient payer une TVA et par la suite demander sa récupération. Elles devraient, par conséquent, être soumises à un principe de la demande de risque de change de la TVA. Ce dernier pourrait aussi les soumettre à un contrôle de l’Administration fiscale.
L’impôt sur les pêchers est aussi une proposition négative. Il faut savoir que cet impôt en termes de TVA sur le sucre pour les pâtisseries et sur l’alcool et la bière pour les détaillants, devrait être utilisé, dans des pays développés, dans les recherches contre les maladies provenant de la consommation des ce type des produits. Mais, malheureusement, ne pense pas qu’on ira dans ce sens-là en Tunisie.
Quels sont les messages que vous percevez à travers cette LF pour les opérateurs économiques ?
Dans une période difficile qui est marquée par des difficultés structurelles que connaissent les sociétés, des problèmes liés à la Covid-19 et des problèmes d’accès au financement, les opérateurs économiques s’attendaient à une bouffée d’oxygène. Mais, malheureusement, je ne pense pas qu’ils ont pu la retrouver. Certes, j’ai perçu des mesures en deçà de ce qu’ils attendaient pour booster la situation de leur trésorerie et développer leur activité.
Votre avis sur le déficit budgétaire ainsi que la collecte des financements ?
Aujourd’hui, nous passons par une situation des finances publiques assez compliquée en termes d’endettement et de déficit public. Notant que le taux d’endettement a dépassé les 100% du PIB. Ce chiffre en-soi n’est pas critique, mais il nous ramène à une insoutenabilité de la dette, et ce, parce qu’aujourd’hui la Tunisie ne réalise pas une croissance lui permettant de payer ses engagements. A mon avis, le plus grave constat aujourd’hui ne consiste pas en l’endettement, mais plutôt en l’absence de moyens et de vision sur la croissance économique du pays.
En termes des finances publiques, nous sommes acculés à aller vers le Fonds monétaire international (FMI), parce qu’au niveau bilatéral, nous n’arrivons plus à avoir l’accord de nos partenaires. Ces derniers qui suivent toujours les recommandations du FMI et parfois de certaines forces occidentales, entre autres, les Etats-Unis. De ce fait, le FMI est notre unique bouillet de sauvetage, et la LF 2022 a été élaboré dans le sens de répondre aux doléances du Fonds.
En tant que Conect, comment évaluez-vous le climat des affaires et le cadre de l’investissement ?
En revenant sur le baromètre annuel de la Conect, élaboré chaque année en collaboration avec le PNUD et intitulé « Miqyes », on constate que le climat des affaires en Tunisie est, malheureusement, de plus en plus marqué par des difficultés d’accès au marché liées à une économie de rente et aux autorisations. S’ajoute à cala des difficultés liées à l’accès au financement, à la corruption et à l’administration, essentiellement la Douane et l’Administration fiscale…
Quelle approche avez-vous au patronat quant à la situation économique de la Tunisie ?
Nous avons commencé, il y a quelques semaines, à présenter des propositions liées à la LF aux ministères de l’Economie, des Finances et de l’Industrie. Et nous avons remarqué qu’il y a quelques-unes qui ont été prises en considération. Mais au-delà des propositions liées à la LF, nous voulons partir d’un principe.
Aujourd’hui, le pays va vers la rédaction d’une nouvelle Constitution. Et vu que l’actuel Constitution de 2014 n’a pas pris en considération l’aspect économique, nous devrions prendre l’initiative de proposer et d’être la locomotive de proposition d’une Constitution économique pour mettre en place, comme à l’image des pays développés, des règles d’or par exemple en termes de déficit public et d’endettement. Et l’Etat devrait, d’ailleurs, respecter ces règles d’or au niveau constitutionnel.
Nous devrions, également, proposer des règles liées aux opérateurs économiques, à la liberté d’entreprendre et à la liberté des chances, et ce, avec une méthode en Cascade. D’où, n’en aura plus à parler d’autorisations, de cahier des charges et de complication d’accès au marché…Et donc c’est la loi fondamentale qui mettra en place le principe sacro-saint de la liberté d’entreprendre au niveau constitutionnel.
Votre mot de la fin
On ne peut sortir de cette situation accablante que par le travail. Il faut reprendre la notion de travail qui n’existe plus en Tunisie. On est passé plusieurs années à nous occuper d’aspect purement politique, tout en laissant de côté l’aspect économique. Il va falloir, aujourd’hui, cravacher et travailler dur pour que l’aspect économique reprend sa place en Tunisie.
Propos recueillis par
Imen Zine