La Banque européenne pour la reconstruction et le développement (BERD) opère en Tunisie depuis 2012 avec un objectif principal l’appui et le développement du secteur privé, et ce, à travers le financement.
Elle a mobilisé en Tunisie 25 millions d’euros de subventions qui ont bénéficié à 1400 petites et moyennes entreprises (PME) à ce jour. Et elle a financé plusieurs projets principalement dans le secteur privé.
La Banque a, en fait, lancé des programmes d’appui aux entreprises, dont le dernier-né est « INSADDER ».
Anis El Fahem, Directeur du programme INSADDER, nous en parle en détails. Interview.
Donnez-nous un aperçu détaillé sur l’appui de la BERD aux PME tunisiennes ?
La BERD est une institution financière internationale qui a, depuis sa création en 1990, pour objectif principal l’appui et le développement du secteur privé, et ce, à travers le financement.
Depuis 2012, nous sommes présents en Tunisie ainsi que dans tout le sud de la Méditerranée (le Maroc, l’Egypte, la Jordanie, le Liban et le Palestine). Et nous fournissons essentiellement des solutions d’accès au financement au secteur privé de manière principal, à travers un financement direct. Ce financement direct concerne des entreprises d’une certaine taille et qui couvrent la majorité des secteurs (industries, services…).
Nous fournissions aussi des solutions à travers le financement indirect qui est le plus important pour nous, Pour ce faire, nous collaborons avec tout le système financier local (banques, institutions de microcrédit et compagnies de leasing). A travers ces institutions financières, nous fournissons des crédits destinés généralement au PME.
Nous fournissons, également, l’appui aux projets d’ordre public structurants, notamment en matière d’infrastructures, et ce, selon notre portefeuille en Tunisie qui est de l’ordre de 1,400 milliard d’euros d’investissement depuis 2012, dont 30% investis dans des projets phares du secteur public (STEG, ONAS…).
De par l’appui financier, comment vous fournissez l’amélioration de la compétitivité des entreprises ?
Effectivement, notre activité à but non lucratif consiste en l’appui au PME avec l’objectif principal d’améliorer la compétitivité des entreprises tunisiennes. A cet effet, on veille généralement à mobiliser des fonds de chez d’autres bailleurs de fonds, comme l’Union européenne ou d’autres pays qui détiennent du capital dans la BERD. Puis, on gère ces fonds-là pour les canaliser sous forme de subventions aux entreprises tunisiennes. L’idée c’est d’améliorer leur compétitivité surtout au niveau de la gouvernance, la gestion, l’amélioration du système d’information, l’acquisition et l’obtention de certification de qualité, l’amélioration de l’information financière et de la pratique comptable, la mise en place de stratégie de communication, le processus opérationnel, la réingénierie de processus…D’ailleurs, on couvre toutes les facettes de gestion d’entreprise en identifiant d’abord les besoins de ces entreprises via nos équipes pour faire le diagnostic. Après, on met l’entreprise en contact avec des consultants locaux ou internationaux, et ce, à travers des projets bien identifiés et des indicateurs de performances bien précis (amélioration du chiffre d’affaires, diminution des pertes au niveau du processus industriel…)
On aide aussi les entreprises à contractualiser les consultants, on fait le monitoring de la mise en place du projet et on mobilise des subventions pour l’acquisition de tous ces services. Ces subventions varient généralement entre 70 et 85% du coût de l’intervention. Sachant qu’on insiste sur le fait que les entreprises participent à ce coût pour qu’il ait un minimum d’engagement, d’implication et de management…
Quels sont les avantages majeurs de votre appui aux PME ?
On apporte deux avantages majeurs : le savoir faire de la gestion des consultants qui n’existe pas en Tunisie malheureusement, et les ressources financières pour le faire. A titre indicatif, on a depuis 2012 mobilisé 25 millions d’euros de subventions qui ont bénéficié à 1400 PME tunisiennes. Il s’agit des entreprises formelles qui opèrent dans différents secteurs et branches d’activités. Au niveau de la distribution géographique, 60% de ces entreprises sont actives dans les zones rurales de la Tunisie.
Actuellement, le seul inconvénient sur lequel on travaille beaucoup, c’est les entreprises qui opèrent dans les zones de l’intérieur du pays, notamment, dans le Nord-Ouest et le Sud-Ouest.
…Vous misez aussi sur les formations ?
En plus des services d’assistance technique, on a des services de formation très ciblés (destinés aux femmes chefs d’entreprises, surtout artisanes, visant à améliorer leur connaissance en termes de gestion financière et même d’éducation financière). On a également des formations sur le marketing digital, le leadership…
On assure aussi la formation des consultants, parce qu’on travaille sur la demande de services mais également sur l’offre de services.
Nos deux objectifs majeurs consistent en allant vers des spécialités très pointues et de diversifier la polyvalence de certains cabinets, surtout dans les régions.
Selon les besoins, les secteurs et le financement qu’on dispose, on offre d’autres produits. On a beaucoup travaillé, à titre d’exemple, sur le développement des clusters de tourisme, à savoir le cluster M’Dinti à la Médina de Tunis pour mettre en valeur le patrimoine culturel. S’ajoute à cela l’amélioration des prestations de services des maisons d’hôte notamment pendant la crise sanitaire (formations sur l’hygiène…), ainsi que l’appui aux associations et organisations professionnelles (UTICA, CONECT, FTH, FTAV, Association Edhiafa des maisons d’hôte, CNFCE…). En fait, on croit qu’il faut améliorer les prestations et les capacités de ces associations et organisations à offrir de meilleurs services à leurs adhérents et à relayer les messages nécessaires au pouvoir public).
Généralement, on intervient directement auprès des entreprises mais aussi au niveau de toutes les sphères.
Vous avez opté, ces dernières années, pour l’appui aux startups ?
Depuis trois ans, on a développé notre appui au niveau de l’écosystème de l’innovation, et ce, à travers les startups. En ce sens, on a lancé deux programmes : le programme Star Venture qui soutient l’écosystème des startups actives dans les nouvelles technologies et le digital, et le programme Green Star Venture qui est destiné au startups actives dans l’économie verte.
On considère que l’écosystème tunisien est assez riche au niveau des structures d’appui à l’incubation, mais il s’avère qu’au bout de quatre à cinq ans, l’entreprise a besoin dans sa phase critique d’aller vers la professionnalisation et les services pointus. En cette phase, elle trouve un vide au niveau des services, et c’est là qu’on est positionné.
En fait, on s’adresse aux startups qui ont certaine maturité et des besoins très spécifiques, il s’agit des entrepaies post-accélérations. On leur apporte essentiellement des expertises internationales qui ne sont pas disponibles au niveau local, et leur offre la possibilité de bénéficier des services de mentorat et d’’accès au financement via des pitchs avec des investisseurs sérieux.
A ce jour, on a réussi à aider plusieurs startups pour accéder à des levées de fonds.
Quelles sont vos priorités majeures ?
Nous avons trois priorités stratégiques pour nous et pour la Tunisie : la digitalisation (des entreprises), l’économie verte et l’inclusion (femmes, jeunes et régions défavorisées). Notre valeur unique est la combinaison entre l’accès au financement, l’assistance technique et l’appui aux PME.
Parlons chiffres : l’impact de notre intervention après un an, avec toute une dynamique qui s’installe dans l’entreprise pour l’amélioration, a fait ressortir que 74% des entreprises qu’on a appuyé ont augmenté leurs chiffres d’affaires de plus de 50%, que 60% ont recruté 25% en plus d’emploi et qu’il y a des gains importants en termes de productivité…
Après ce succès, je tiens à remercier énormément la Délégation de l’Union européenne en Tunisie qui reste un partenaire majeur de la BERD en Tunisie. On a mobilisé ensemble des fonds pour plusieurs programmes, y parmi le Programme d’Appui à la Compétitivité des Services qu’on a clôturé cette année et qu’à travers lequel on a appuyé plus de 500 entreprises dans le secteur des services, formé plus de 600 femmes chefs d’entreprises et plus de 400 clients, et mobilisé d’expertise au profit d’une quinzaine de groupe de petites entreprises qui ont travaillé ensemble.
Aujourd’hui, nous continuons la collaboration avec l’Union européenne en Tunisie, et ce, avec notre nouveau programme INSADDER d’appui aux PME tunisiennes.
Présentez-nous le programme INSADDER
Avec les difficultés rencontrées sur le marché local et avec la crise Covid, on a lancé pour le programme INSADDER pour aider les entreprises tunisiennes à saisir les opportunités et exporter.
D’une durée de 5 ans (2020/2025), ce programme est financé par l’Union européenne à hauteur de 7,25 millions d’euros et mis en œuvre par la BERD. Il a pour objectif général d’améliorer le potentiel d’exportation des PME tunisiennes.
On a opté, à travers ce programme, à cibler un nombre moins important d’entreprises, mais à les accompagner en profondeur pour nous assurer qu’il ait réellement l’impact sur l’activité d’exportation.
On s’adresse à deux segments d’entreprises : les entreprises exportatrices qui n’ont jamais exporté mais qui devraient avoir un minimum de potentiel pour exporter, et ce, pour les aider à accéder à de nouveaux marchés, et les entreprises qui exportent déjà mais qui ne devraient pas dépasser les 30% du chiffre d’affaires à l’export.
On va offrir à ces deux segments trois types de services : le conseil avec des experts-métiers nationaux et internationaux, la formation du personnel sur les pratiques et les compétences nécessaires à l’export, et le co-financement des certifications d’origine, d’autorisations d’accès au marché, des certificats de qualité, …
On assure, aussi, des subventions qui pourraient aller vers les 90% du coût avec toujours le principe du partage. Le budget alloué à chacune des entreprises pourrait atteindre les 120 mille dinars d’appui en assistance technique.
Vous avez lancé deux appels à candidatures. Quels sont les résultats réalisés à ce jour ?
On a opté pour faire un système de sélection compétitive. A cet effet, nous avons procédé au premier appel à candidatures lancé en juin 2021, au deuxième appel lancé en novembre 2021 et au troisième appel lancé du 1er au 30 avril 2022, et ce, pour atteindre au total 75 entreprises qui seront bénéficiaires de ce programme sur trois ans. S’ajoute à cela une vingtaine de groupe de très petites entreprises, notamment actives dans l’artisanat, pour résoudre essentiellement leur problème de la logistique afin d’exporter facilement.
Par la suite, nous avons opté pour un système d’évaluation des candidats basés sur leur potentiel à l’export, leur connaissance et maitrise des produits, leur maturité digitale…afin de s’assurer de l’efficience de notre intervention.
A la suite des deux premiers appels à candidatures, on a choisi 50 entreprises pour les aider à exporter vers l’Union européenne, l’Amérique du Nord, le Golf…Mais nous accordons aussi beaucoup d’intérêt à l’Afrique subsaharienne. Pour cette raison, nous collaborons avec des acteurs majeurs, à savoir le TABC et le CEPEX, dans le but d’accéder à ces marchés.
Après le diagnostic de ces entreprises, nous allons mettre en place une feuille de route d’intervention sur une période de deux à trois ans, basée essentiellement sur l’intervention d’experts internationaux et de consultants tunisiens. Et nous allons lancer bientôt la formation pour le personnel de ces entreprises avec différents modules de formation.
…Et pour le troisième appel à candidatures qui sera clôturé le 30 avril courant ?
Nous allons sélectionner 25 entreprises pour un total de 75 PME tunisiennes et une vingtaine de groupe de très petites entreprises. Le processus de sélection sera fait au bout d’un mois pour annoncer les résultats le 30 mai 2022. Pendant ce mois-là, les entreprises sont appelées à faire des entretiens individuels avec nos équipes pour les mini-diagnostics et le processus d’évaluation, comme cela a été fait pour les deux autres appels.
Après on va faire un scoring global pour choisir les 25 premières entreprises, tout en vérifiant les conditions d’éligibilité, dont les deux majeures conditions sont : une entreprise ayant moins de 250 employés pouvant aller dans certains cas à 500 employés et moins de 50 mille dinars de chiffre d’affaires, selon les normes européennes. A partir du 1er juin de la même année, on va commencer les opérations de diagnostic.
Quels bénéfices accordés aux entreprises sélectionnées ?
Le principal avantage est la subvention pour l’acquisition de ces services. Un autre avantage qui consiste en notre savoir-faire de gérer ce genre d’accompagnent parce qu’on a un plan d’actions global bien réfléchi et structuré qui indique toutes les étapes à faire pour réussir au bout de trois ans cette opération d’export.
Notre rôle essentiel c’est de nous assurer que l’entreprise passe pour toute ces étapes d’une manière efficace et efficiente. Sachant qu’il ne s’agit pas de financement ou de crédit, mais plutôt de subventions qui varient entre 30 et 80 mille euros d’assistance technique.
Quid des perspectives pour les cinq prochaines années.
Pour le programme INSADDER, on va accompagner les entreprises durant les trois prochaines années.
Parallèlement, la BERD et l’Union européenne vont continuer leur collaboration d’appui aux PME. Nous sommes déjà en train de négocier avec l’Union européenne un nouveau financement qui nous permettra de travailler encore avec l’ensemble des PME tunisiennes, mais avec une focalisation très pointue et assurée sur le digital, l’économie verte, et l’inclusion. Sachant que l’une de nos priorités, ce sont les régions.
Pour cette raison, pendant ce mois d’avril, on a organisé dans la cadre du programme INSADDER, des évènements de visibilité à Gabes, au Kef et à Bizerte. L’idée c’est d’encourager les entreprises dans ces régions de se candidater. Nous savons que le tissu économique lui-même n’est pas très développé, mais on est disposé à appuyer ces entreprises. S’ajoute à cela l’appui aux femmes chefs d’entreprises et jeunes, parce que nous visons que 30% au minimum des entreprises bénéficiaires de ce programme soient des entreprises fondées ou gérées par des femmes et des jeunes.