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En l’absence de la Cour constitutionnelle, le président de la République est le seul garant de l’application de la Constitution, mais sûrement pas « l’Instance provisoire »
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La patience doit être de mise au lieu de partir en insultes et en extrapolations lugubres et immorales
La Tunisie vit, en ces temps, des moments inédits et un scénario que personne n’avait prévu, ni même soupçonné, où le président de la République a osé «commettre» ce que le plus chevronné des politiciens et des juristes n’avait imaginé sans qu’il ne risque quoi que ce soit. Du moins, officiellement et constitutionnellement.
En effet, après le vote, grâce à un « passage en force », à la majorité absolue par l’Assemblée des représentants du peuple (ARP), la loi électorale amendée a fait l’objet d’un recours, accepté dans sa formé et rejeté sur le fond par l’Instance provisoire de contrôle de la constitutionnalité des lois.
Validée, donc, la loi a été remise au président de la République qui avait, en principe, le choix entre son renvoi à l’ARP pour une deuxième lecture ou la signer et la promulguer par sa parution au Journal officiel de la République Tunisienne (JORT).
Or, depuis l’annonce du rejet du recours par une simple dépêche de l’agence Tunis-Afrique-Presse (TAP), un certain 9 juillet 2019, toute la classe politique et l’opinion publique ont vécu dans l’incertitude et l’émission des hypothèses et des interprétations, sachant que personne n’a donné la moindre information sur les motivations de ladite Instance provisoire quant à la validation de la loi que la majorité des juristes constitutionnalistes et politiciens « neutres » ont qualifiée « d’inconstitutionnelle ».
Au départ, les « fuites » s’accordaient à dire que le chef de l’Etat, sous une «forte pression familiale », allait signer le texte de loi. Cette tendance s’est renforcée lorsque le premier délai pour un éventuel renvoi de la loi à l’ARP a été dé passé, sachant que chacun y allait de sa lecture des délais : doit-on compter ou non les jours de congé hebdomadaire (samedi et dimanche).
Depuis la fin de ce premier délai, le compte-à-rebours a, donc commencé. On comptait les jours et, venu le vendredi 19 juillet, derniers délai selon les lectures les plus optimistes, on comptait les heures dans la mesure o théoriquement et officiellement, minuit était l’heure butoir.
Et même si des « fuites » laissaient entrevoir une décision de refus de signature de la loi par le chef de l’Etat, une première semi-confirmation est venue de la bouche de Hafedh Caïd Essebsi lors son intervention téléphonique avec Myriam Belkadhi sur Al Hiwar Ettounsi. Une intervention, controversée, à juste titre
Et c’est le lendemain, samedi 20 juillet 2019, que l’on apprend officiellement le refus de signature de la loi, lors de déclarations faites par le conseiller politique auprès du président de la République, Noureddine Ben Ticha, qui a donné un premier aperçu sur les motivations de cette décision présidentielle. « Le chef de l’Etat ne peut agir contre ses principes », lui qui a failli pâtir en 2013 d’une loi taillée sur mesure par les islamistes d’Ennahdha et les CPRistes de Marzouki pour l’exclure du scrutin présidentiel.
Depuis, les analystes, les politiciens, les juristes y vont, chacun, de sa lecture, de son interprétation et de son jugement.
Les constitutionnalistes purs et durs conviennent que le président de la République a violé la Constitution qui l’oblige à parapher et promulguer les lois votées par l’ARP, mais ils n’évoquent aucune sanction à son encontre dans le sens où la même Constitution reste muette sur ce point, sachant que la Cour Constitutionnelle n’est pas là pour statuer sur l’existence ou non de la « faute grave »…
Quant aux analystes et politiciens, ils sont divisés selon leur appartenance et leur idéologie. Un grand élan de sympathie et de solidarité s’est dégagé chez une grande partie de l’opinion publique et des politiciens. Ils sont allés jusqu’à dire qu’il a marqué un grand point lui permettant de sortir par la « grande » porte.
En effet, certains parlent « d’un règlement de comptes » ou « d’une vengeance » de la part de BCE contre Ennahdha et Youssef Chahed. Mais n’est-ce pas que la loi amendée a été passée dans le cadre d’un règlement de comptes personnel en vue d’écarter des noms bien déterminés tout en prétendant agir dans un souci de moraliser la vie politique ?!
D’autres évoquent un enchaînement normal et logique des événements dans le sens où en l’absence de la Cour Constitutionnelle-par la faute de l’ARP- le chef de l’Etat devient le principal garant de l’application des dispositions de la Constitution. Et par voie de conséquence, il a eu raison de « ne pas signer » une loi anticonstitutionnelle que le Parlement a votée, dans des circonstances exceptionnelles, non pas pour respecter l’esprit de la Constitution, mais pour des raisons que l’on connaît.
Restent les autres. Les « hystériques » qui, dépités par le départ en fumée de tous leurs calculs, sont partis dans des campagnes orchestrées des insultes. Des campagnes menées par des pages et des profils connus pour leur appartenance.
Mais il y a aussi ceux qui agissent à visage découvert, tels ces politiciens, dont notamment des responsables de partis et autres députés, notamment ceux de Tahya Tounès. On citera, entre autres les Houda Slim, Hajer Ben Cheikh Ahmed, Mohsen Marzouk, Mohamed Abbou, Ghaziz Chaouachi, etc.
Ennahdha et Tahya Tounès réclament des réunions urgentes au sein des instances des partis, des blocs parlementaires et de l’ARP afin de prendre les mesures qui s’imposent. Ghazi Chaouchi appelle le chef de l’Etat à démissionner. Ni plus, ni moins. Mohamed Abbou estime que « BCE est devenu inapte et demande au procureur de la République d’ouvrir une enquête et de rencontrer le président de la République pour savoir si on l’empêche d’assurer ses fonctions à cause de son état de santé… ».
Bien sûr, il y a les partisans d’une action parlementaire en vue de la destitution pour « faute grave ». Et il y ceux qui ont pour chef de file, Sahbi Ben Fraj qui énonce « sa » sentence en parlant d’un « scandale » et d’une « sortie » par la petite porte.
Sahbi Ben Fraj, qui passait pour être un député respecté et sensé, est parti dans une tirade postée sur sa page Facebook et assimilée par certains à un véritable « délire » dans le sens où il n’hésite pas à insinuer que BCE « n’est plus en pleine possession de ses facultés mentales et qu’il aurait été forcé de ne pas signer… ».
Le même « docteur va jusqu’à extrapoler carrément dans le sens d’une incapacité provisoire ou définitive du chef de l’Etat. Le même « docteur » affirme et s’interroge « comment certains dénués de toute morale exploitent la maladie du président de la République et son impuissance pour prendre les décisions à sa place et en son nom » !
Il s’agit là d’un comportement et d’affirmations dénuées de toute morale dans la mesure où ce Sahbi Ben Fraj, auteur depuis quelque temps des missions « mesquines », ose prendre ses désirs pour des réalités.
D’ailleurs, n’est-ce pas Docteur Sahbi Ben Fraj qui aurait été le chef de file d’une « destitution médicale » un certain « jeudi noir » le 27 juin 2019. N’est-ce pas Dr Sahbi Ben Fraj qui a imploré le président de l’ARP, Mohamed Ennaceur, pour le « blanchir », mais en vain. Puisqu’il lui a coupé la parole sans donner aucune suite à sa requête.
D’autre part, il est utile de revenir sur ces amendements qui ont été imposés d’une manière dictatoriale puisque votés sans passer par aucune des étapes usuelles sous prétexte que rien, dans le règlement intérieur de l’ARP, n’empêche de le faire.
On ne peut finir sans revenir à l’absence de la Cour constitutionnelle alors que, selon la Constitution, elle aurait dû être instaurée, dans un délai maximum d’un an après le scrutin de 2014. Or, quatre ans plus tard, elle n’est pas encore en place. Et la faute incombe uniquement à l’ARP. Une des explications plausibles est le blocage imposé, entre autres et surtout, par Ennahdha
En effet, certaines parties n’ont pas voulu élire les quatre membres de la Cour afin de ne pas permettre à BCE de nommer les quatre derniers membres comme le lui autorise la Constitution. Ainsi, tout aurait été fait et manigancé pour que cette Cour ne voie pas le jour avec une probable majorité « pro-BCE ».
L’ARP a récolté, donc les fruits de ses calculs étroits puisqu’elle permet, indirectement et logiquement, au président de la République de devenir le premier et principal garant de la Constitution et non pas, comme veulent le faire véhiculer certains, l’Instance provisoire qui, composée de six membres seulement non élus et dont les pouvoirs sont, forcément, limités, ne peut, en aucun cas et selon toute logique, prétendre avoir les mêmes prérogatives qu’une Cour constitutionnelle en bonne et due forme.
En tout état de cause, le président de la République ne peut laisser pourrir la situation et devrait, en toute logique sortir et s’adresser à l’opinion publique pour expliquer les tenants et les aboutissants ayant justifié sa décision de ne pas ratifier la loi électorale amendée et, tant qu’à faire, fournir des éclairages sur ce qui s’est véritablement passé en ce fameux jeudi du 27 juin 2019.
Rien ne vaut la vérité, la franchise et la transparence en ces moments de flou artistique et politique.
Noureddine HLAOUI