TUNIS – UNIVERSNEWS Selon une note de conjoncture publiée au mois de septembre 2022, par la Banque centrale de Tunisie (BCT), la Tunisie avec un ralentissement de la production et une inflation galopante estimée à 8,6% au mois d’août dernier pour les produits encadrés et à deux chiffres pour les produits non encadrés connaîtrait une situation inflationniste récessionniste similaire à la stagflation.
Il s’agit d’une situation économique d’un pays caractérisée par la stagnation de l’activité, de la production, et par l’inflation des prix. D’après les économistes c’est la pire des choses qui peut arriver à une économie.
Concernant la première composante de cette stagflation, en l’occurrence la flambée des prix, la note de conjoncture relève qu’en Tunisie « l’inflation continue son rythme ascendant pour afficher 8,6% en août suite à l’effet des prix des produits importés et ce malgré l’absence de correction des prix des hydrocarbures ni des prix des produits céréaliers (pain, semoule).
A ce rythme, lit-on dans la note, elle atteindrait 9% en fin d’année pour les prix encadrés et risque même le dépasser si les prix des hydrocarbures sont révisés à la hausse comme prévu dans le budget de l’Etat de 2022 et dans le programme de réformes économiques actuellement en discussion avec le FMI.
Une inflation haussière, en grande partie importée
Cette inflation est en grande partie importée par l’effet de la flambée des cours des matières premières (hydrocarbures et denrées alimentaires..) et des biens d’équipement dont l’importation contribue à hauteur de plus de 90% au déficit courant. Contrairement, à la littérature de la Banque centrale de Tunisie, les biens de consommation la part des produits de consommation importés ne représenterait qu’une infime partie (3 à 4%au maximum).
Toujours est –il, cette hausse de l’inflation est inquiétante. Ces incidences négatives sont nombreuses. Elle ronge le pouvoir d’achat des citoyens et diminue la compétitivité des entreprises et de l’économie. D’après les experts elle peut justifier une prochaine dévaluation du dinar, une nouvelle augmentation du taux directeur et une restriction des prêts bancaires.
La croissance au ralenti
S’agissant de la deuxième composante de cette stagflation, à savoir le marasme que connaît l’économie du pays, la note de conjoncture relève un ralentissement, pendant le premier semestre du taux de croissance du PIB estimé à 2,7%, à prix constants, pour cette année contre 3,1% en 2021. Ces taux, dont le cumul est de l’ordre de 6%, ne permettent pas de récupérer la baisse de 8,8% subie en 2020 suite à la pandémie COVID.
Conséquence : la Tunisie n’a pas encore retrouvé le niveau de PIB réel de 2019 (hors inflation).
A l’origine de cette situation récessionniste, la baisse des investissements enregistrés depuis 2020.
D’après des statistiques publiées dans le dernier rapport de la Banque Mondiale sur la conjoncture économique en Tunisie (Septembre 2022), l’investissement a chuté de 30% en 2020, qui a continué avec -0,3% en 2021 et -2,5% en 2022.
Cela explique la stagnation de la production nationale qui n’a pas retrouvé son niveau d’avant COVID, fait remarquer la note.
Selon les experts la seule manière de remédier à la baisse de la production et l’envolée des prix serait de booster l’offre et d’impulser la production : agricole, industrielle et de services.
Par secteur
Par secteur, la baisse de la production est enregistrée dans l’extraction de pétrole et de gaz, le bâtiment-travaux publics et matériaux de construction, et les industries chimiques. Ces secteurs lourds sont affectés par les contraintes financières sur le secteur public (Etat et entreprises publiques) qui ont bloqué les investissements.
Pour l’énergie, cela s’est accompagné par un recul des investissements privés extérieurs lié à l’instabilité politique, provoquant une dépendance énergétique de plus de 50% d’importations par rapport à nos besoins contre 10% avant 2010. Ceci explique le lourd déficit commercial et les problèmes de financement extérieur aigus vécus récemment.
Le déficit commercial aigu des 7 premiers mois a atteint 13,7 milliards de dinars (mdD) soit 2 mdD par mois alors qu’il était de 1,25 mdD par mois l’année dernière.
Certes, l’inflation mondiale nouvelle a favorisé les exportations qui ont augmenté de 23% durant 7 mois, mais nettement moins que les importations (+32%). Ce nouveau déficit insoutenable est lié aux nouveaux prix internationaux, d’énergie et de céréales notamment, puisque le déficit énergétique a plus que doublé passant de 2,3 mdD à 4,9 mdD (milliards D) pendant 7 mois de 2021 à 2022. Ce déficit engendre des tensions sur la balance des paiements car l’amélioration des recettes liées au tourisme et aux travailleurs résidents à l’étranger n’est plus suffisante pour assurer un déficit courant acceptable compte tenu des ressources d’emprunts extérieurs disponibles. Cela risque donc de se répercuter sur les avoirs en devises (24 milliards D représentant 113 jours d’importations) qui devraient baisser pour financer les besoins en devises d’ici la fin de l’année, avec les conséquences que cela engendrerait sur la valeur du dinar si les réserves baissent à un niveau inacceptable par les opérateurs pour sécuriser leurs paiements internationaux (90 jours est une limite souvent citée par les instances internationales).
L’autre problème aigu posé actuellement est celui du financement du déficit budgétaire qui est gonflé par les subventions de prix de produits de base et d’énergie puisque les prix locaux ne suivent pas les prix internationaux et la montée du dollar.
La pression fiscale est une des plus élevées en Afrique
La pression fiscale, exprimée par les taux d’impôt, a atteint un seuil élevé en Tunisie.
Toute amélioration des recettes propres de l’Etat doit provenir d’un élargissement de l’assiette. En effet, le dernier rapport de l’OCDE montre que la Tunisie enregistre la pression fiscale la plus élevée en Afrique : 34% fiscalité et sécurité sociale en 2019 contre une moyenne de 17% en Afrique. Ce taux rapproche la Tunisie de la pression des pays occidentaux, mais elle n’est pas appliquée à tout le PIB car le secteur informel représente 28% du PIB selon l’INS.
Pour y remédier, la note de conjoncture propose deux solutions.
La première consiste en une réforme fiscale qui doit favoriser un élargissement de l’assiette, une suppression de l’impôt forfaitaire et la digitalisation des opérations fiscales (retenue à la source…) et la facturation, car le secteur structuré ne peut plus continuer à supporter seul le poids de l’impôt.
La 2è solution serait d’augmenter les taxes à la consommation pour faire payer les grands consommateurs, en attendant de réformer le système de subventions de prix de produits de base pour le remplacer par des aides directes aux familles qui en ont besoin.
A l’international, cap sur l’augmentation des taux directeurs
Devant l’inflation élevée (8% aux USA et 9% dans la zone euro), les banques centrales ont augmenté le taux directeur : d’abord la Fed aux USA l’a augmenté fin juillet de 75 points pour passer à 2,5% et la BCE a fait de même mi-septembre pour passer à 1,25% pour les opérations de refinancement.
Le risque de récession économique associé à ces mesures n’est pas encore palpable car la consommation, financée par l’épargne accumulée pendant la période COVID, continue à tirer la croissance aux USA.
En Europe, la récession enregistrée fait suite au conflit ukrainien et ses effets sur les prix de l’énergie et sur la baisse du commerce extérieur. C’est le cas de l’Allemagne notamment qui avait des relations économiques très développés avec la Russie.
Sur un autre plan, la hausse du taux d’intérêt américain a attiré les flux de capitaux et la demande de dollar qui entraîné une appréciation de ce dernier au point qu’il a dépassé la parité avec l’euro (1$=1,01€). Cette situation risque de durer comme cela a été le cas pendant la période 2000-2002 où le dollar a dépassé 1 euro pendant presque 3 ans.
Il est donc prudent pour les pays émergents de prendre en considération cette nouvelle réalité d’un dollar plus cher que l’euro qui affectera la valeur des matières et de l’énergie et qui favorisera les exportateurs de ces produits. De même, les capitaux risquent d’être détournés vers les USA où la rémunération est devenue attrayante.
Brahim