Tawfik BOURGOU*
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Le montant de l’aide multiforme à l’Egypte est de 7,4 milliards d’Euros quand la Tunisie n’a obtenu que 900 millions agrémentés de quelques humiliations
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La Tunisie aura donc conclu le plus médiocre des accords alors que le pays est celui qui a le plus pâti des aventures européennes et italiennes en Libye
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La partie tunisienne n’a pas su, pu ou même peut-être pas compris, que l’UE cherchait à instaurer un cadre général en commençant par une expérimentation
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En ne dénonçant pas les accords signés par Marzouki et Chahed, la Tunisie s’est engluée dans des relations dangereuses avec une Afrique subsaharienne qui ne présente aucun intérêt pour elle
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La partie tunisienne n’a pas su, pu ou même peut-être pas compris, que l’UE cherchait à instaurer un cadre général en commençant par une expérimentation
TUNIS – UNIVERSNEWS L’Egypte a conclu un accord avec l’Union Européenne sur la question de l’immigration clandestine. Le montant de l’aide multiforme à l’Egypte est de 7,4 milliards d’Euros quand la Tunisie n’a obtenu que 900 millions agrémentés de quelques humiliations européennes et notamment de la part de l’aile gauche du Parlement européen connue pour son appétence pour l’islamisme quand il ne s’agit pas pour certains députés européens d’une appétence particulière pour l’argent sale du Qatar. La Tunisie obtiendra certainement moins que le Maroc, prochaine destination de l’équipe de Madame Van Der Leyen.
La Tunisie aura donc conclu le plus médiocre des accords alors que le pays est celui qui a le plus pâti des aventures européennes et italiennes en Libye. Un certain nombre de facteurs expliquent l’échec de la Tunisie et son incapacité à imposer un partenariat à l’Union Européenne et de passer ainsi pour le pays qui mendie quelques piécettes quand d’autres parviennent à mieux négocier.
On dira d’abord, c’est une constante en diplomatie, que la compétence du négociateur est aussi importante et aussi cruciale que l’accord lui-même. C’est le facteur qui a fait défaut à la Tunisie. Il est clair que l’équipe qui a négocié ignore absolument tout des arcanes de l’UE et de Bruxelles. Cela nous rappelle la visite de Béji aux Etats-Unis où l’équipe va à la Maison Blanche et oublie que Washington c’est aussi le Sénat, le Congrès et les Think-Tanks de Washington et un certain nombre de lobbys. Le résultat on le connait quand la Maison Blanche a accordé une ligne de crédit, le Congrès l’a diminuée de moitié. Ceux qui ont négocié avec Bruxelles n’ont pas pris la peine d’aller plaider la cause de la Tunisie, par de vrais experts sur les questions d’immigration et de sécurité. Non seulement des diplomates, mais de vrais connaisseurs à la fois du dossier et des méandres de Bruxelles.
En deuxième lieu, le moment de la négociation et de la conclusion de l’accord. La Tunisie n’a pas joué la prime au premier signataire. Être le premier signataire d’un accord que l’UE avait annoncé dupliquer à toute la côte sud de la Méditerranée offrait une opportunité rare. Au moment de la signature par la Tunisie, tous les autres pays étaient réticents voire hostiles. La partie tunisienne n’a pas su, pu ou même peut-être pas compris, que l’UE cherchait à instaurer un cadre général en commençant par une expérimentation. Le seul précédent étant la Turquie, mais la partie tunisienne ne pouvait ignorer que le traitement de la Turquie par l’UE est spécial en raison du statut de la Turquie, notamment du lobbying américain pro-turc.
En troisième lieu, la Tunisie a perdu la partie car elle a cru jouer sur les flux et les vagues en monnayant l’incapacité, l’impossibilité du juguler des flux. Ce faisant elle a accrédité la thèse de l’incapacité ou au pire la volonté de monnayer le contrôle de sa propre frontière sud en contrepartie de fonds. C’est la pire des attitudes car elle allie une attitude d’Etat failli à celle d’une pratique de milices, comme ce fût le cas côté libyen. Un Etat ne se fait pas payer pour contrôler son espace de souveraineté, sauf à perdre son indépendance ou à passer pour un Etat mercenaire. Le contrôle du territoire national ne se monnaye pas.
En quatrième lieu, la Tunisie a négligé de pointer du doigt les Etats africains qui exportaient leurs citoyens pour les implanter en Tunisie. Il fallait internationaliser la question pour imposer de force ou de gré la fin d’un exode massif vers la Tunisie perpétré par les Etats africains, mais aussi par l’Algérie et la Libye qui poussaient des subsahariens vers la Tunisie en viol total du droit international. En baissant la tête, la Tunisie s’est adjointe une responsabilité. Pire encore en ne dénonçant pas les accords signés par Marzouki et Chahed, elle s’est engluée dans des relations dangereuses avec une Afrique subsaharienne qui ne présente aucun intérêt ni politique ni économique pour Tunis. Or, depuis quelques jours, une vague migratoire est en train de marcher depuis le Niger vers la Libye et constituera la prochaine crise, celle du début de l’été qui vient. Il fallait être dur, ferme et à la limite de la rupture voire même de l’usage de la force. De peur, la Tunisie va répéter une africanité de pacotille comme un mantra et importe sur son sol, bêtement, les problèmes inter-ethniques et religieux qui constituent les ferments d’une guerre civile sur son propre sol. Un cadeau empoisonné pour les générations futures en contrepartie d’une somme dérisoire à consommer immédiatement. Le comble de l’imprévoyance.
En cinquième lieu, en n’éradiquant pas les mafias de l’immigration clandestine, elle a offert à l’Union Européenne, mais aussi aux Etats limitrophes, de lier l’immigration tunisienne avec les vagues subsahariennes dont le volume est massif comparé au nombre de départs tunisiens. Il fallait « déglobaliser » le problème en déconnectant les flux tunisiens des flux africains. Par ignorance des techniques de négociation, la partie tunisienne a globalisé le problème croyant prendre une posture africaniste et tiers-mondiste de pacotille. La solution globale « al moukaraba al chamila » ne fonctionne pas dans ce genre de sujets, elle n’est pas appropriée pour les crises et les urgences car elle va relier le court terme menaçant au bon vouloir de la partie la plus forte et à long terme. Ce qui vient d’arriver d’ailleurs.
En sixième lieu, la Tunisie n’a pas réclamé à l’UE et aux Etats-Unis, réparation pour les torts causés à son intégrité territoriale, à son économie et sa stabilité sociale, par la guerre perpétrée en Libye par des puissances européennes et par les Etats-Unis. Cette guerre est à la source de l’immigration clandestine notamment subsaharienne en direction de l’UE via la Tunisie.
L’accord avec l’Egypte, certainement celui à venir avec le Maroc, montre que la Tunisie n’a pas de ligne diplomatique claire, pas de stratégie même de défense du pays contre les menaces qui risquent de mettre son existence en péril. Imposer aux autres, y compris les voisins, le respect de ses frontières, interdire que son territoire devienne un corridor de passage pour les autres, est une règle à laquelle on ne peut déroger sauf à se perdre.
Monnayer l’exercice de ses fonctions régaliennes est la pire des idées. Quitte à le faire, il faut au-moins l’adosser à un plan de co-sécurité et de co-développement et non pas à un « argent de poche ». La dernière erreur c’est d’avoir négligé les puissances centrales de l’UE au profit des pays de second rang. Le résultat est devant nos yeux.
T.B.
* Politologue