Par Dr Moez JOUDI
Comme promis et convenu, l’élaboration du diagnostic, la présentation des visions et des conceptions pour une bonne sortie de la crise du Covid-19, sont publiées régulièrement avec pour auteurs, des spécialistes et des experts économiques, financiers
La crise sanitaire du Covid-19 est venue à un très mauvais moment pour la Tunisie ! Certes, toute crise ne peut être considérée comme un événement heureux mais elle nous frappe alors que le pays est déjà confronté à une crise économique, financière, sociale et politique.
Au niveau politique, le pays marche sur la tête! Elections après élections, les Tunisiens ne constatent aucun apport des politiques qui se relaient au pouvoir sans réels changements ni la moindre réalisation conséquente pour le pays. Pire ! Les réalisations et les acquis du passé sont de plus en plus remis en cause et les Tunisiens n’arrivent plus à voir le bout du tunnel ni à joindre les deux bouts!
La démocratie, censée porter les meilleurs au pouvoir, produit tout à fait le contraire en Tunisie ! On se retrouve depuis un certain 14 janvier 2011 avec une médiocratie qui s’est installée durablement dans le temps et qui est encore renforcée et consolidée à chaque élection!
Les Tunisiens espèrent, à chaque fois, une rupture avec l’incompétence, le populisme, le fondamentalisme et l’inaptocratie, mais ils se retrouvent avec les mêmes gouvernants incompétents, avec des revenants qui ont échoué avant et des nouveaux sans programmes ni aucune expérience dans la gestion des rouages de l’Etat!
C’est bien le cas aujourd’hui avec un président de la République qui vit encore à l’ère des califes du septième siècle, un chef de gouvernement qui se retrouve en poste suite à un concours de circonstances et un président du parlement tenant de l’intégrisme religieux, sectaire et avide de pouvoir.
La Tunisie est complètement à la dérive avec une navigation à vue qui s’installe, des mains tremblantes qui gouvernent et des citoyens perdus et désemparés qui n’ont plus ni repères ni l’espoir d’un avenir meilleur !
Au niveau économique et social, la situation est grave avec une croissance molle en 2019 (1%), un endettement public inquiétant (75%), un cumul de déficits publics (19,4 milliards de dinars de déficit commercial en 2019 !), un chômage élevé (14,9%) et une inflation de 6,2% (mars 2020), les fondamentaux sont bien touchés et les déséquilibres s’accentuent.
La Banque Centrale de Tunisie (BCT) a essayé d’agir de son côté avec sa politique monétaire et en usant de ses instruments conventionnels mais avec les limites d’un manque de cohérence et de coordination avec les politiques économiques des gouvernements. Il est vrai que depuis des années maintenant, nous n’avons observé aucune politique économique claire et pertinente émanant des différents gouvernements qui se sont succédé ?!
Certes, la BCT a pu stopper l’hémorragie des réserves en devises et juguler la hausse de l’inflation mais il n’y a rien de viable au vu de l’évolution de la situation surtout que la donne a changé aujourd’hui avec cette crise sanitaire qui a entraîné avec elle une crise économique et financière mondiale !
Le confinement général imposé par l’ensemble des gouvernements au niveau mondial a donné un coup de massue à l’activité économique dans les différents pays, développés, émergents ou pauvres ! Une forte décroissance économique mondiale est attendue en 2020, elle entraînera des faillites, une perte massive d’emplois et une destruction de richesse impactant la viabilité de beaucoup d’Etats.
En Tunisie, on s’attend à au moins – 5% de croissance en 2020, déjà sur les trois mois de mars, d’avril et de mai 2020 il faut compter pas moins de 20 milliards de dinars de perte, autrement dit presque la moitié du budget de 2020 ! Au niveau social, les pertes massives d’emplois et les baisses de revenus entraîneront certainement une crise sans précédent en Tunisie !
Déjà rien qu’au niveau du secteur touristique, les prévisions donnent une perte de 80% du potentiel d’activité en 2020 ! Rappelons que le secteur touristique en Tunisie contribue à hauteur de 10% dans le PIB de la Tunisie en direct et 15% en indirect, et fait travailler 400000 Tunisiens et fait vivre en tout 1 million de personnes ! Avec 80% de perte d’activité, imaginons l’ampleur les dégâts au niveau social !?
Face à ce tableau noir mais lucide, il faut bien évidemment agir et vigoureusement! Tout d’abord, il faut admettre que nous sommes en crise et une crise nécessite une gestion, un suivi, des décisions, des responsabilités partagées et des équipes performantes qui assurent jour et nuit !
Ensuite, il faut définir un plan d’action et une stratégie opérationnelle à conduire avec des moyens mobilisés et des objectifs à atteindre. Sur le fond, il est important d’avoir du courage, un sens de la responsabilité, une capacité d’anticipation, de l’agilité et de la réactivité.
Ainsi, il est important de commencer par évaluer les dégâts sur le plan financier et essayer d’injecter au moins la moitié dans une première phase. Le rôle de la BCT est primordial à ce niveau ! Notre Institut d’émission est appelé à jouer en « front line » et à adapter sa politique monétaire à la situation en injectant les fonds nécessaires pour compenser le manque de liquidité et répondre aux besoins des banques. La BCT pourrait racheter des bons de trésors ou des titres de crédit comme ca été pratiqué en Europe.
Les banques qui sont détentrices de beaucoup de bons de trésors pourraient bénéficier des liquidités nécessaires en contrepartie de leurs titres cédés. L’objectif est d’accompagner les entreprises, les opérateurs économiques et les ménages pour faire face à la baisse de l’activité économique, aux pertes cumulées et aux manques de revenus.
Le gouvernement doit, de son côté, œuvrer à ne lâcher aucun opérateur ni aucune entreprise ! 0 faillite en guise d’objectif ! Un fond de soutien doit être rapidement mis en œuvre avec un accès direct et sans lourdeur administrative pour les entités économiques les plus touchées ! Pas besoin vraiment d’une commission ad-hoc pour arrêter les listes à ce niveau !? Les organes du gouvernance et de gestion du fond agiront directement sur le terrain et en relation avec les organes représentatifs, le patronat et structures régionales et sectorielles.
Concernant les faibles revenus, les employés journaliers, les travailleurs précaires, les chômeurs et les étudiants, il faut prévoir des aides directes. Il faut mobiliser les moyens nécessaires à ce niveau et verser des montants au moins équivalents au SMIG pour subvenir aux besoins élémentaires des gens et soutenir la consommation qui, elle-même, maintiendra l’appareil productif en activité.
Le titre II du budget de l’Etat, les crédits, les aides reçues et certaines coupes budgétaires permettront à l’Etat de financer ces actions et ces revenus.
Par ailleurs, il est important de préparer l’après-crise dès maintenant en se positionnant dans les futurs secteurs porteurs ! Le numérique, le digital, l’intelligence artificielle, la biotechnologie, la robotique, les industries innovantes, le médical, les industries pharmaceutiques et les énergies renouvelables doivent être au cœur du nouveau modèle de développement économique de la Tunisie !
Il faut lever les barrières qui bloquent les investissements dans ces secteurs, prévoir les incitations fiscales nécessaires et lancer un fond souverain dédié au financement de ces secteurs porteurs. Le potentiel est là, les opportunités se présenteront dès le début de la fin de cette crise, il faut savoir les saisir et assurer une relance vigoureuse à l’économie nationale !
Pour atteindre tous ces objectifs, il faut avant tout de la volonté politique mais surtout comme l’a si bien dit Montaigne « des têtes bien faites plus que des têtes pleines» ! C’est précisément ce qui nous manque si cruellement à la tête du pays.