Il est samedi, 9 juin. Le weekend de toutes les buveries. Les jeunes et moins jeunes s’éclatent…à mourir ! Après un long mois de Ramadan de toutes les abstinences, on se lâche. Mon fils, ado de 15ans, n’échappe pas à la règle. Hier, dans une soirée entre ados, chez une de leurs amies qui fêtait son anniversaire, il a du plonger dans la piscine. Peut-être comme tout le monde. Mais il n’est pas comme tout le monde. Il est asthmatique grave, comme dirait sa génération. Il faisait frisquet et l’eau était froide.. Résultat : nous voilà ce samedi 8 juin à 2h du matin aux urgences de la clinique El Amen De la Marsa. Lui en détresse respiratoire, me lançant de temps en temps : « Papa, je vais mourir, Je n’arrive plus à respirer ! » Et moi, faisant confiance au moniteur qui affichait un rythme cardiaque de 125 (c’est beaucoup au repos mais pas encore dangereux) et un oxygène de 95 ( plutôt peu mais pas encore très alarmant). Mais lui, ce qu’il sent c’est autre chose : un avant goût de la mort.
LA MALADIE NE TUE PAS, L’INSÉCURITÉ : PEU-ETRE !
Soudain, à cette angoisse se greffe une autre : des bruits de rixe proviennent de l’extérieur. Il y a comme une grande bagarre dans l’air. « Mais c’est dans l’air », me suis-je dit. On est en sécurité dans la clinique de la Sécurité (Alamen). Mais j’ai du vite déchanter. Des jeunes, trois filles et trois garçons, plutôt bien habillés et BCBG (une autre soirée ?), étaient dans la clinique depuis trente minutes. Ils ramenaient un ami à eux pour je ne sais quel bobo. En attendant je ne sais quoi, ils sont sortis devant la clinique pour fumer une clope. Malchance (pour tout le monde), une petite bande de truands passait. Ces jeunes plutôt pauvres, frustrés, certainement drogués, « éthylisés » et jamais en compagnie galante, faisaient face à leur contraire. La vie comme elle se doit : des jeunes bien habillés, motorisés, en belle compagnie. Le choc des deux Tunisies. Résultat : altercation, gros mots. Les filles rentrent à l’intérieur de la clinique et les garçons défendent leur honneur à l’extérieur à coups de poings. L’infirmier de garde s’interpose. Je laisse mon fils sur son lit d’urgence, le masque à gaz lui voilant le visage et toujours en détresse respiratoire. La bagarre a lieu juste à côté de la fenêtre du sous sol de la chambre qu’il occupait. J’avais peur qu’on reçoive « un projectile » de l’extérieur. Et je me disais que, peut-être en fin, mes cheveux blancs serviraient à quelque chose : le respect qui mettrait fin à la bagarre qui pouvait très mal tourner.
J’essaie de raisonner les truands en leur rappelant qu’à l’intérieur des urgences des malades commençaient à paniquer et que ça risquait de leur être fatale. Effectivement, on me respecta : personne ne m’insulta mais les attaques des truands se poursuivirent. Maintenant, ils cherchaient à entrer dans les urgences pour tabasser les BCBG (BCBG mais qui ne se laissaient pas faire !). L’un des truands, excessivement agressif (il était sous l’effet de qu’elle drogue diabolique ?!) , jette une grosse benne de poubelle contre la porte vitrée de la clinique pour la casser. Un chat fou lançant des cris de terreur jamais entendus, entre par la porte entrebâillée par l’infirmier qui essayait de calmer la horde. Le chat traverse la foule panachée des présents (patients, accompagnants, touristes, dames, filles, personnel..) en criant toujours, presque des cris humains. Il fait perdre l’équilibre à quelqu’un qui tombe. Une des filles BCBG tombe dans les pommes. Cette ambiance, soudain apocalyptique, aux bruits multiples et bizarres, arrache mon fils à son lit de détresse. Il a peur que son papa ne ne rende l’âme (tué par un chat ?). Le médecin de garde a un très bon réflexe (encore une tunisienne courageuse) : elle le remet au lit, le connecte au moniteur, me dit de ne plus jamais le quitter et ferme la porte de la chambre…en partant courageusement au front. J’appelle la police, ils appellent la police…personne n’est au bout du fil. Détresse générale. Celle de mon fils est mesurable : son poux est à 165, au repos ! S’il y avait à sa place un cardiaque, il serait déjà très froid, quittant une Tunisie qu’il ne regrettera pas. A cause d’une petite bande de truands dont l’un d’eux a eu la cruauté d’attraper un chat et de le lancer avec toutes ses forces contre la porte vitrée de la clinique..pour la casser.
La police arrivera 15 longues minutes après. Elle ramasse tout le monde : BCBG attaqués et truands toujours gueulant. Une heure après, tout ce monde est de nouveau devant la clinique à échanger pacifiquement et à fumer une clope, l’infirmier de garde inclus. BCBG et truands faisaient la paix et parlaient. C’est peut être dès le départ ce que voulaient les seconds des premiers : une certaine reconnaissance. Une petite présence, même furtive dans ce monde d’aisés qui leur est douloureusement étranger. La police savait tout ça. L’infirmier et la police savaient aussi que ces jeunes appartenaient au chaud quartier du kram. Ils avaient cité des noms de « copains » qui faisaient peur. Des références dans le milieu du crime qui n’avaient plus peur de rien. « Dieu merci, on l’a échappé belle. Si ces bandits étaient présents, personne ne sortirait Indemne des urgences. » Me confiera l’infirmier qui connait très bien le Kram. Pendant ce temps, le petit train train des effets de la violence se poursuit aux urgences. On ramène un autre jeune victime d’un coup de poing qui lui laissa une plaie d’environ quatre points de suture sous l’arcade. Il est presque trois heures du matin. On téléphone au chirurgien qui devrait venir coudre ça. Il demande et insiste au téléphone : « c’est trois ou quatre points de suture ? » Le médecin de garde répond : « quatre points de suture. » « Alors ça sera huit cents dinars s’il veut que je vienne. » répond le chirurgien. La patient prend son mal en patience et accepte le verdict. « Oui, mais il faut payer d’avance » lui rétorque le caissier, avant de marmonner d’une voix à peine audible « ça lui apprendra à se bagarrer à une heure aussi tardive. » Bienvenue dans la nouvelle Tunisie où les erreurs se paient très cher sauf si vous êtes truand. Truand de tout genre : politique, économique…de la Rue ! En sortant de la clinique avec mon fils finalement apaisé, j’ai du payer 260dt. Le produit qu’on lui avait administré m’avait coûté 10d le matin à la pharmacie. La violence se poursuit dans la clinique. Cette fois elle est économique et on en est la victime. Mais puisqu’elle nous coûte aussi Cher, pourquoi ne paie-t-on pas, au moins, deux vigiles bodybuilders diplômés en psychologie des rixes pour garder une institution aussi fructueuse que fragile ?! Ils seront inclus parmi le personnel soignant d’une Tunisie malade de toutes les violences et les impunités.
Mohamed ben Khalifa