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Les responsables occidentaux ont laissé faire une organisation totalitaire dont on sait depuis les années 1960 qu’elle est criminelle.
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Les Frères musulmans ont pour stratégie de ne pas dire qu’ils appartiennent à l’organisation. Ils ont un droit au mensonge et au double discours. On retrouve cette même stratégie avec Ennahdha en Tunisie…
Spécialisé en géopolitique, Alexandre del Valle s’intéresse principalement à l’islamisme, au terrorisme islamiste, aux relations entre l’Europe et la Turquie, et au monde arabo-musulman.
Docteur en histoire contemporaine, Alexandre del Valle est chercheur au Center of Political and Foreign Affairs et professeur de géopolitique. Il publie, avec le grand reporter Emmanuel Razavi, Le Projet (L’Artilleur, 2019).
Le média français, FIGAROVOX vient de publier une interview de ce grand essayiste pour exposer sa vision et son analyse de la stratégie européenne et mondiale de conquête et d’infiltration de la confrérie des Frères Musulmans.
Vu la pertinence de cette analyse, Univers News reproduit cette interview, conduite par Marguerite Richelme, dans son intégralité.
Qu’est-ce que «le Projet»?
Alexandre DEL VALLE.- Il est important de rappeler que les Frères Musulmans ont annoncé leur plan de conquête dans un document. «Le Projet» est le titre d’un ouvrage récupéré lors d’une perquisition en 2001 au domicile de Youssef Nada, de la Taqwa Bank, accusé d’avoir financé les attentats du 11 septembre.
Nous avons appelé notre livre Le Projet parce que c’est bien la preuve d’un plan, écrit noir sur blanc. Les preuves que nous avançons dans le livre permettent d’évacuer toute accusation de complotisme. À ce document, s’ajoute un corpus de documents plus large des grands cadres des Frères Musulmans.
Nous connaissons le dessein conquérant et totalitaire d’une telle organisation. Il ne s’agit pas d’une simple liberté religieuse revendiquée mais d’un véritable plan de conquête et de destruction. Ils ont pour objectif de faire régner la charia et d’édifier un califat mondial. Ce projet est antinomique de nos démocraties, et plus largement des états.
Cette organisation a pourtant pignon sur rue, elle encadre de nombreuses mosquées, associations et établissements scolaires en Europe. Le but de ce livre est de montrer comment cette organisation profondément antisémite et antichrétienne a réussi à prospérer et à berner les pouvoirs publics en menant un double jeu. L’infiltration et l’entrisme font en effet partie de leurs armes de choix. Les renseignements alertent pourtant depuis plusieurs dizaines d’années sur la nocivité de prédicateurs islamistes liés aux Frères Musulmans, pourtant les pouvoirs publics n’ont pas réagi.
L’exemple de Tariq Ramadan est éloquent, il a été interdit de territoire en 1995 mais en tenant des discours de défense de la cause antiraciste, des politiques sont parvenus à faire plier le chef de l’État, François Mitterrand pour faire annuler cette décision de justice.
Nos responsables politiques de droite, comme de gauche, sont responsables d’avoir laissé faire une organisation totalitaire dont on sait depuis les années 1960 qu’elle est criminelle. Ses penseurs ont affirmé la validité du jihad contre l’Occident. Nous avons laissé faire un ennemi alors qu’il nous avait prévenus.
Quels sont les liens entre les Frères Musulmans et le jihad?
Ce n’est pas un lien forcément direct mais c’est un lien idéologique. L’ancien terroriste, repenti, du GIA algérien David Vallat l’exprime bien en parlant de continuum idéologique. L’idéologie donne un mode d’emploi avec des objectifs à long terme autour de trois thèmes: le califat, la légitimité du jihad guerrier et la charria.
Les Frères musulmans ont lancé ces objectifs. Le jihad prend deux formes, le jihad guerrier, dont l’émanation directe est le Hamas palestinien à Gaza, soit une forme institutionnelle et subversive, lorsqu’ils estiment que le jihad serait contre-productif.
Il est difficile à cerner puisqu’elle est la matrice de l’idéologie islamiste et du jihadisme. Les pères fondateurs de la Confrérie, Hassan al-Banna (dont le petit-fils n’est d’autre que Tariq Ramadan) et Sayyed Qutb font tous deux l’apologie du jihad, ce dernier l’érige même en sixième pilier de l’islam.
Un autre membre des Frères Musulmans Youssef al-Qardhaoui, appelait au meurtre des apostats, des homosexuels et des juifs. Il est le chef de file des Frères Musulmans en Europe, ses écrits sont en vente libre. Le lien entre Frères Musulmans et jihad est très facile à établir puisqu’il est officiel. Des organisations liées à la confrérie collectent de l’argent pour le jihad du Hamas ou bien en Syrie. Leur malice est de faire croire qu’ils ne sont pas Frères Musulmans
L’Europe est-elle un refuge pour les Frères Musulmans?
Les Frères musulmans sont persécutés en Égypte, en Arabie Saoudite ou même dans les Émirats arabes unis, mais paradoxalement ils sont ouvertement installés en Europe. Dans les pays musulmans ex-soviétiques, il est interdit d’adhérer aux Frères musulmans ou aux thèses des fréro-salafistes. L’Europe est donc un endroit très accueillant pour les Frères musulmans puisqu’ils sont libres de s’y implanter.
Comment cerner la stratégie de l’organisation sur le sol européen?
Les Frères musulmans ont pour stratégie de ne pas dire qu’ils appartiennent à l’organisation. Ils ont un droit au mensonge. En Europe, ils se fondent sur l’entrisme, l’infiltration et le double discours. Ils sont capables de renier verbalement une partie de leur programme pour ne pas effrayer les Européens.
On retrouve cette même stratégie avec Ennahdha en Tunisie, qui a essayé un temps de berner le président laïc et de même du coté turque avec Erdogan qui apparaissait comme un conservateur modéré détaché de la charia. Ils avancent par étapes.
Leur priorité est d’inciter les musulmans à ne pas s’intégrer. Le meilleur exemple nous est donné par Erdogan lorsqu’il affirme que l’intégration prônée par les démocraties occidentales est une mort insidieuse des musulmans, il va même jusqu’à dire qu’il s’agit d’un crime contre les droits humains. Ils veulent donc distiller une paranoïa au sein des populations musulmanes pour leur faire croire qu’ils vivent dans un milieu hostile et qu’ils sont la cible de discriminations racistes, qu’ils sont les victimes de «nouveaux nazis». Ils diffusent ce sentiment de persécution, cela crée une sorte de ghetto volontaire.
La solution proposée par les Frères musulmans est celle souvent énoncée par Tariq Ramadan «L’intégration c’est la désintégration», donc ils s’isolent. Il s’agit de prôner une communauté séparée à l’endroit où ils vivent.
Cette séparation commence avec des écoles islamiques pour forger l’individu musulman, puis la famille et l’éducation, grâce à des lycées puis des partis politiques qui prônent une nation islamique séparée. Réislamiser l’individu musulman est une des priorités. Il faut aussi séparer les musulmans des non-musulmans et cela passe notamment par le voile islamique pour les femmes.
La stratégie est graduée, fragmentée. Cela ressemble plutôt au jeu de go qu’aux échecs. Le mot-clef est l’entrisme. Ils demandent que les musulmans en tant qu’héritiers de la colonisation cessent d’être stigmatisés et que des exceptions au nom de la liberté religieuse soient aménagées. Ils savent très bien instrumentaliser notre vocabulaire.
La nouvelle doctrine des Frères musulmans est de faire croire qu’ils adhèrent aux valeurs des droits de l’Homme, de la démocratie et de la laïcité. Ils soutiennent que le droit pour la femme de porter le voile est un droit de l’homme. C’est très habile, puisqu’ils savent très bien manipuler la culpabilité européenne qui ronge les élites.
Jusqu’en 2017, Tariq Ramadan occupait une chaire à la prestigieuse université d’Oxford, comment comprendre le recul des intellectuels, et des universitaires français, face à ces leaders fréristes?
Un exemple éloquent est celui de Tariq Ramadan n’a pas nié les thèses de son maître à penser des Frères musulmans Youssef al-Qardhaoui qui énumère les cas dans lesquels il est légitime pour un musulman de commettre un meurtre. Il est également l’auteur d’un certain nombre de fatwas.
L’islamologue suisse n’a pas voulu se dissocier de la pensée de Qardhaoui. Il n’y a aucune repentance. Cela montre bien comme les Frères musulmans et leurs promoteurs ont été admis dans l’espace intellectuel. Cela se structure autour de trois voies. D’abord ils font alliance avec les progressistes, ironique lorsque l’on sait que leurs cadres ont été historiquement proches des fascistes et antisémites. Ils ont eu le culot de concocter une alliance avec les forces antiracistes et progressistes pour traiter de nouveaux nazis ceux qui entravent leur chemin.
L’argent, en provenance du Qatar, est leur deuxième levier. Troisième volet, l’instrumentalisation des valeurs démocratiques, du pluralisme et de la tolérance occidentale. Cela est d’autant plus dangereux que dans les pays anglo-saxons, les universités sont libres et peuvent être financées par des intérêts privés. Cela explique comment la chaire de Tariq Ramadan à Oxford eut été financée par le Qatar.
Ces éléments font que les Frères musulmans sont le leader des institutions musulmanes en Europe. Le système de représentation des musulmans est majoritairement noyauté par des islamistes et par les quatre grands pôles de l’islamisme séparatiste, la tendance turque, la tendance frères musulmans, la tendance salafiste saoudienne et la tendance indo-pakistanaise. Plus ces structures seront monopolisées par des radicaux, plus les communautés musulmanes seront, mathématiquement de plus en plus, incitées au repli.