TUNIS – UNIVERSNEWS (NAT – M.S.) – La stigmatisation des personnes ayant des problèmes de santé mentale perdure malgré les nombreuses campagnes pour l’endiguer. Plusieurs personnes atteintes de troubles mentaux ont déclaré avoir été victimes d’opinions négatives ou de traitements injustes attribuables à leur problème de santé. La stigmatisation des problèmes de santé mentale est une problématique importante car elle expose ceux qui en souffrent à de l’exclusion sociale dans les différentes dimensions de la vie en société.
Au cours du forum sur la santé mentale organisé les 13 et 14 avril par les Rotariens de Nabeul et d’Hammamet, Haïfa Memmi, psychiatre, a identifié les mécanismes et conséquences de cette stigmatisation, le rôle des professionnels de la santé et les interventions existantes. «La stigmatisation de la maladie mentale est un phénomène pluridisciplinaire de plus en plus préoccupant, compte-tenu des statistiques de l’OMS. La stigmatisation est aujourd’hui au cœur des stratégies de prise en charge. Ainsi, l’OMS estime que 70 à 80% des personnes avec des troubles psychiatriques graves sont exclus et n’ont pas accès à l’emploi. En Tunisie, seuls 2% ont le droit d’accès à un emploi , suite à un avis favorable du médecin de travail. La stigmatisation constitue un des obstacles majeurs dans le processus de prise en charge »
Agir pour la déstigmatisation des personnes en souffrance psychique
Dr. Memmi explique que « la stigmatisation retarde l’accès à des soins, impacte l’estime de soi, réduit l’accès au logement, à l’emploi, aux loisirs et altère les relations sociales. Les personnes vivant avec des troubles en santé mentale sont souvent victimes de préjugés. Les idées reçues les plus répandues sont centrées sur la croyance que ces personnes seraient dangereuses et leur maladie incurable. Cette représentation sociale négative est un frein au rétablissement et à l’inclusion de ces personnes dans la société. La vraie question, cependant, est de savoir comment y mettre fin ? C’est pourquoi il faudrait mettre en place des actions de lutte contre la stigmatisation, afin de changer le regard sur la santé mentale. Cela passe notamment par l’information des citoyens et des acteurs de santé sur la santé mentale, qui permet de déconstruire les mythes et les représentations sociales, l’adaptation du système de soins en psychiatrie en faveur du respect des droits fondamentaux des personnes : le consentement au soin, le choix des traitements…et l’implication des personnes concernées par un problème de santé mentale pour défendre leurs droits et favoriser le développement d’une offre de soins basée sur les concepts de rétablissement et l’inclusion dans la société. Il faudrait aussi humaniser les troubles mentaux, et sensibiliser. Briser les stéréotypes est un enjeu majeur, dont la réalisation passe par une réelle collaboration entre communauté stigmatisée et médias d’information. En comprendre les mécanismes permet de cibler des interventions efficaces aux niveaux individuel et institutionnel. Le rôle des associations de patients et de proches, ainsi que le modèle du rétablissement pour les professionnels sont essentiels.
Pr. Riadh Bouzid, psychiatre, estime que malgré ces chiffres éloquents, la maladie mentale demeure un sujet tabou. « Effectivement, explique-t-il, les troubles mentaux sont stigmatisés, autant les patients, que les maladies, que les médicaments, que les soignants, les psychiatres entre-autres, que la famille. Ils sont tous victimes de ségrégation, rejet et ostracisme. A la base de cette stigmatisation, on trouve la peur et l’ignorance. Ignorance de la nature des troubles mentaux, de leurs traitements et des souffrances endurées par les patients. Cette stigmatisation est préjudiciable aux patients, à leur entourage et à la société. Bon nombre de personnes, par crainte de paraître faible aux yeux des autres, hésitent à révéler être atteintes d’un trouble mental ou à demander de l’aide. D’autant que les comportements de stigmatisation risquent d’aggraver leurs problèmes d’anxiété, de dépression, de détresse ou autres. Une stigmatisation qui, en plus de nuire à la prise en charge des patients, à leur accès aux traitements et à leur réinsertion, freine l’implantation de stratégies de prévention. Il est urgent de lever les tabous sur ce sujet, de déconstruire nos peurs et nos angoisses pour prendre la santé mentale au sérieux, changer de paradigme et créer les synergies nécessaires entre structures de soin et associations de soutien, et surtout en parler publiquement à nos concitoyens pour que chacun prenne conscience de l’importance de la santé mentale dans notre quotidien et participe à cette nécessaire déstigmatisation de la psychiatrie. Je sais que ces changements importants, dont nous avons tant besoin dans notre société dans le domaine de la psychiatrie, sont en cours. »
Pour Hédi Chérif, sociologue, «La stigmatisation de la maladie mentale, semble connaître un nouveau sort celui, du passage de l’état de ‘’construction sociale’’ à celui de la ‘’construction médicale’’, puisqu’elle a toujours été insérée entre les formes de rejet et les stratégies de prise en charge. Prise en tenaille entre un milieu social qui construit sans cesse la stigmatisation de la maladie mentale et un milieu médico-pharmaceutique accusé de faire médicalement autant, la santé mentale continue à être stigmatisée dans sa totalité. Comment transformer la perception négative de la maladie mentale en une reconnaissance positive du stigmatisé ? Comment tendre à tous ceux qui marginalisés ou stigmatisés, la main droite et celle du cœur pour les réinsérer ? A nous tous, au titre d’acteurs sociaux de bien apprendre à fonctionner dans la culture de différence».