- Des procédures entamées devant le Conseil des droits de l’Homme de l’ONU à Genève et en Allemagne devant le Tribunal de Berlin.
- Requête de la défense pour la libération provisoire de l’accusé
L’affaire de l’expert onusien, le Tuniso-allemand, Moncef Kartas, continue à susciter les réactions, voire la polémique, en attendant une communication claire et précise des autorités tunisiennes aussi bien celles relavant du département de la justice que celles du ministère des Affaires étrangères.
Tout d’abord, un point essentiel et une nuance de taille séparent la position du ministère public et celle de l’ONU. En effet, le porte-parole du Pôle judiciaire de lutte contre le terrorisme, assure que l’expert ne bénéficie pas de l’immunité dans la mesure où il est venu en Tunisie avec un passeport tunisien et dont la mission concerne la Libye, sachant qu’il a été arrêté dès son arrivée à l’aéroport Tunis-Carthage avant d’être accusé d’espionnage, un crime passible de la peine capitale.
Pour sa part, l’ONU persiste à affirmer que Moncef Kartas se trouvait à Tunis en mission et bénéficiait d’une immunité diplomatique internationale en tant que membre du panel d’experts du comité des sanctions sur la Libye.
« Nous sommes très préoccupés par le fait qu’à ce jour, le gouvernement tunisien n’a fourni aucune réponse adéquate » sur les raisons de cette arrestation, a indiqué le porte-parole de l’ONU Stéphane Dujarric, avant d’ajouter que l’immunité diplomatique de l’enquêteur ne peut être levée que par le Secrétaire général de l’ONU mais uniquement sur demande de Tunis. « Or la Tunisie, n’a pas fait de démarche en ce sens », selon l’ONU.
Contactés, des membres de la défense assurent que l’expert, Moncef Kartas, continue à croupir dans sa cellule à la prison d’El Mornaguia sans être auditionné, de nouveau, par le juge d’instruction, ce qui les a amenés à procéder à une requête pour la libération de l’accusé auprès du juge d’instruction. Et en cas de refus de cette demande, ils pourront, alors, interjeter appel à la Chambre des mises en accusation près la Cour d’Appel de Tunis.
A noter que l’un des principaux éléments à charge est un appareil donnant accès aux données publiques concernant les, comme mentionné lors d’une émission sur la chaîne Attessia, concernant les vols d’avions civils et commerciaux. Or, selon la défense, cet appareil, un RTL-SDR, soumis à une autorisation en Tunisie, lui servait « uniquement pour la surveillance du trafic aérien à destination de la Libye, afin d’identifier les vols susceptibles d’être liés à des violations de l’embargo sur les armes ».
La défense nous révèle que des procédures seraient en cours pour porter l’affaire devant le Conseil des droits de l’Homme de l’ONU à Genève parallèlement à une autre procédure entreprise par l’épouse allemande de M. Kartas, en Allemagne devant le Tribunal de Berlin.
Toujours, selon la défense, Moncef Kartas pourrait rester en prison durant l’instruction qui peut durer plusieurs mois, alors que sa famille déplore ne pas avoir eu de contact direct avec lui depuis son arrestation.
Pour des proches, Moncef Kartas pourrait avoir touché une corde sensible en Tunisie en cherchant à identifier les auteurs des violations de l’embargo sur les armes visant la Libye qui constitue l’essentiel de son travail pour le comité des sanctions de l’ONU.
Le dossier risque de traîner en longueur
D’autre part, face au silence observé par les autorités tunisiennes et la crainte de voir traîner le dossier, même si l’affaire paraît être fort complexe, des répercussions sont à craindre, aussi, sur la diplomatie tunisienne, plus précisément les relations avec l’ONU.
En effet, selon des données concrètes, les relations semblent être au plus bas entre le ministère des Affaires étrangères et les agences onusiennes à Tunis ! Des informations font état de l’existence de plusieurs de ces agences, dont l’Organisation des Nations unies pour le développement industriel (Onudi) et l’Office des Nations unies contre le crime et la drogue (ONUDC), qui attendent toujours que le ministère les autorise à ouvrir un siège dans le pays. Ces agences accusent « de nombreux fonctionnaires nommés durant l’ère Ennahdha, dont certains sont peu enclins à faciliter la vie de l’ONU…».
Cette situation semble obliger les onze agences onusiennes actives en Tunisie à se faire représenter, faute de mieux, par l’antenne locale du Programme des Nations unies pour le développement (PNUD). N’ayant qu’un statut de chefs de bureau, leurs représentants peinent aussi à s’entretenir avec les ministres.
Les mêmes observateurs ajoutent que l’arrestation, le 26 mars à Tunis, de Moncef Kartas, membre du panel d’expert des Nations unies sur la Libye qui enquêtait sur les violations de l’embargo sur les armes, a ajouté de l’huile sur le feu éloignant le rêve de Tunis de décrocher un siège d’observateur au Conseil de sécurité en l’an 2020.
Autre élément de taille est venu s’incruster dans l’affaire, à savoir la publication, le 30 avril 2019, d’une pétition, dite « tribune », portant la signature de 107 personnalités, académiciens et chercheurs, réclamant « la libération immédiate de l’expert onusien, Moncef Kartas pour des motifs fallacieux et en violation de son immunité soulève de graves questions concernant l’Etat de droit en Tunisie », selon leurs propres termes.
Les signataires estiment, dans leur pétition publiée dans des journaux européens, qu' »aucun élément de preuve n’a été présenté » et insistent sur « l’éthique irréprochable » du chercheur qui « a constamment fait preuve de son engagement à promouvoir l’Etat de droit et la sécurité, notamment en Afrique du Nord et en Tunisie ».
Une tribune avec 107 signataires réclame la libération immédiate de Kartas
Pour les 107 signataires de cette tribune, la détention du chercheur pour « révélation préméditée de secrets concernant la sécurité nationale tunisienne » est illégale.*
« Nous demandons la libération immédiate de Moncef Kartas, détenu illégalement par les autorités tunisiennes depuis le 26 mars. En tant que membre du panel des experts du comité du Conseil de sécurité des Nations unies créé par la résolution 1 973 sur la Libye en 2011, Moncef Kartas jouit de l’immunité en vertu de la Convention de l’ONU sur les privilèges et immunités (1946). Cela inclut l’immunité d’arrestation ou de détention. Le secrétaire général des Nations unies a confirmé, dans de multiples notes verbales aux autorités tunisiennes, qu’au moment de sa détention, Moncef Kartas effectuait sa mission officielle. Sa détention constitue donc une violation grave des obligations internationales de la Tunisie. En outre, sa détention constitue un obstacle direct aux travaux du comité, étant donné qu’elle intervient au moment même où le panel des experts prépare son rapport intermédiaire… »
« Et d’ajouter que la Tunisie, signataire de la convention depuis 1957, n’a présenté aucune demande ou preuve justifiant la levée de son immunité. Aucun élément de preuve n’a été présenté concernant la coopération présumée de Moncef Kartas avec des Etats étrangers ou leurs associés dans la trahison de secrets relatifs à la sécurité nationale tunisienne. La détention de Moncef Kartas pour des motifs fallacieux et en violation de son immunité soulève de graves questions concernant l’Etat de droit en Tunisie ??? »
« Des normes éthiques irréprochables »
Assurant qu’il jouit d’une réputation très positive, les signataires relèvent encore que « Moncef Kartas jouit de la meilleure réputation au sein de la communauté des chercheurs et auprès des organisations internationales et non gouvernementales. Nous connaissons personnellement Moncef Kartas en tant que chercheur et praticien engagé, ayant des normes éthiques et professionnelles irréprochables. Moncef Kartas a constamment fait preuve de son engagement à promouvoir l’Etat de droit et la sécurité, notamment en Afrique du Nord et en Tunisie. Moncef Kartas enquête depuis 2016 sur les violations de l’embargo sur les armes imposé par l’ONU contre la Libye pour le panel des experts de l’ONU. Il cherche, grâce à ce travail, à contribuer à la paix et à la sécurité en Libye, ce qui, en retour, sert directement les intérêts de la sécurité nationale de la Tunisie.
Moncef Kartas a travaillé et publié de nombreux articles sur la transformation des conflits et la réduction de la violence armée, pendant de nombreuses années. Il a dirigé un projet pluriannuel axé sur la compréhension et l’atténuation de la violence armée en Afrique du Nord pour Small Arms Survey, une ONG suisse internationalement reconnue, au cours duquel il a régulièrement informé de hauts fonctionnaires des ministères tunisiens de la défense, de l’intérieur et des affaires étrangères. Il a en outre dispensé régulièrement des formations et des conseils aux responsables de la sécurité tunisienne et libyenne en matière d’élaboration de stratégies et de politiques… ».
En conclusion, les 107 signataires expriment leur entière solidarité avec Moncef Kartas et sa famille, rappelant « que Moncef Kartas est détenu illégalement et appelant le secrétaire général des Nations unies, les Etats membres du comité des sanctions du Conseil de sécurité sur la Libye et, en particulier, le gouvernement allemand, à condamner l’arrestation de Moncef Kartas par les autorités tunisiennes et à déployer tous les efforts possibles pour obtenir sa libération immédiate… ».
Noureddine HLAOUI
*Cette tribune est signée par 107 personnes, issues notamment d’organisations internationales et d’ONG. Les premiers signataires (par ordre alphabétique) sont le consultant Naji Abou Khalil, ancien membre du panel des experts de l’ONU pour la Libye ; l’avocat Sharhabeel Al Zaeem, du cabinet Al Zaeem & Associates ; l’analyste Omar Al-Shahery, de la National Cyber-Forensics and Training Alliance ; Anna Alvazzi del Frate, directrice des programmes de l’ONG Small Arms Survey ; et Ritat Amthor-Kartas, épouse de Moncef Kartas.