- La déclaration du FMI est celle des ambiguïtés
- L’endettement de la Tunisie sert au remboursement de la dette et au titre I du budget
- On ne sort jamais d’une crise par l’austérité, mais par la rationalisation des dépenses publiques et la relance économique
La situation économique en Tunisie continue à accaparer l’attention et les réactions des Tunisiens vont bon train, chacun y allant de ses théories et autres interprétations.
Pour avoir un éclairage rationnel, Univers News a rencontré L’expert économique en développement et investissement Sadok Jabnoun qui a bien voulu nous accorder son analyse de la situation actuelle et une vision prospective des développements économiques et financiers. Interview…
Comment interprétez-vous la déclaration du Fonds monétaire international (FMI) après la visite à Tunis ?
C’est la déclaration des ambiguïtés. D’une part, le FMI maintient son discours d’autosatisfaction envers lui-même, d’abord, en étalant les vertus de la recette d’austérité lorsqu’il a parlé du taux de croissance de 2,7% envisagé pour 2019 et actuellement de 2,7%.
Or, l’on sait bien que ces taux sont loin de couvrir, ne serait-ce que le service de la dette dû pour 2019 (9,3 milliards de dinars) qui nécessiterait une croissance d’au moins 3%.
Le FMI se targue du fait que les fonds dégagés grâce à l’austérité (préconisés par son plan) ont été reversés au budget social et à l’investissement.
La réalité est toute autre. La preuve directe est le délabrement du secteur de la santé qui a nécessité une intervention financière extraordinaire non budgétisée et qui, à peine, couvre le strict minimum en termes de santé publique sans parler des autres secteurs sinistrés.
Donc, cette déclaration, au-delà de l’introduction classique en termes de précaution diplomatique, met l’accent sur les faiblesses structurelles et chroniques de l’économie tunisienne qui sont : l’absence d’investissement, la faiblesse de l’exportation en termes de valeur ajoutée et une économie soutenue, uniquement, par la consommation.
Le FMI préconise, toujours, sa recette d’austérité standard : réduction des subventions, limitation du nombre des fonctionnaires et augmentation de la pression fiscale, recette morbide que l’Angola et a Jordanie ont refusée, la semaine dernière.
L’ambiguïté se révèle, aussi, dans la démarche du FMI qui a renvoyé a décision sur le déblocage de la 5ème tranche du crédit à une rencontre ultérieure à Washington où il s’attend à une mise en œuvre plus stricte sans pour autant tenir compte de la précarité sociale de la situation tunisienne.
La Tunisie continue à emprunter de partout. Jusqu’à quand ?
En effet, la Tunisie est devenue tributaire de l’endettement. La dette extérieure représente 93% de l’ensemble de la dette tunisienne. Il est à noter que cette dette est libellée, aux deux tiers, en monnaie forte : dollar/euro/yen.
Donc, c’est une confrontation inégale de valeurs ajoutées différentes : puissance industrielle/pays en développement.
Il est à noter que cet endettement n’est pas destiné à l’investissement ou aux infrastructures. Mais plutôt au remboursement de la dette et au titre I du budget : salaires et dépenses courantes.
La dette devient, ainsi, un jeu dangereux à somme nulle. Il est admis dans la théorie économique que la dette souveraine n’est plus soutenable pour un pays dans le cas où son taux d’intérêt devient supérieur au taux de croissance.
Or, c’est une triste position que nous partageons, aujourd’hui, avec l’Italie. Bien sûr avec la différence de développement entre les deux pays.
Cette situation peut perdurer. Il est urgent pour la Tunisie de lever toutes les barrières administratives fiscales et financières devant les autres grands moteurs de l’économie : l’investissement, la production et l’export. La dette, quant à elle, n’est plus une condition viable sur le moyen terme.
L’Etat a signé, dernièrement, plusieurs accords et autres engagements impliquant de nouvelles dépenses. D’où vient subitement l’argent pour honorer lesdits engagements ?
Les derniers engagements financiers du gouvernement pris sous la pression de l’urgence sociale et des protestations socioprofessionnelles n’ont pas été prévus dans la Loi de Finances 2019. Donc, pour les financer, il faut que le gouvernement ait recours, soit à de nouveaux emprunts internationaux de plus en plus difficiles, notre dernière sortie sur les marchés internationaux s’est faite à 6,75% sans pour autant recueillir le montant demandé au départ, et dans les mois prochains, une nouvelle sortie sur les marchés internationaux à hauteur de 963 millions de dollars est prévue. Il va sans dire que cette sortie est une aventure très hasardeuse.
L’autre option serait d’augmenter encore les impôts, ce qui reviendrait à mettre des allumettes dans un dépôt de poudre. Faute toujours d’investissement et d’export.
Des augmentations de prix de plusieurs produits sont annoncées régulièrement. Le citoyen va-t-il supporter ce fardeau ?
L’accord conclu avec le FMI est détaillé dans les deux lettres d’intention paraphées par les deux gouvernements Essid et Chahed prévoient la levée progressive des subventions, on l’a vu récemment, avec l’augmentation douloureuse des prix des hydrocarbures, de l’eau et de l’électricité, sans pour autant les remplacer par des subventions à la production au secteur industriel et agricole.
La recette du FMI appliquée avec minutie par le gouvernement a engendré un appauvrissement de la classe moyenne et une plus grande précarité des classes démunies.
Or, on ne sort jamais d’une crise par l’austérité, mais par la rationalisation des dépenses publiques et la relance économique.
L’impact social de cette crise est bien clair. Je pourrais citer une seule conséquence : l’immigration massive des compétences tunisiennes vers l’étranger, sans oublier les autres phénomènes dangereux pour la société issue de la crise économique.
Pour être constructif, y a-t-il des propositions de solutions pour sortir du cercle vicieux dans lequel se trouve l’économie nationale ?
Il faut toujours commencer par le commencement. Cette crise, avant d’être économique, elle est politique. Elle est générée par la déliquescence des institutions issues de la Constitution de la 2ème République et du jeu sournois des partis. La ressemblance est frappante avec la République de Weimar en Allemagne ou sous la 4ème en France.
La solution est, donc, d’abord politique. Ensuite en découlera une nouvelle politique économique de rupture positive avec le modèle de développement tiers-mondiste (monnaie faible et faible coût de la main d’œuvre) vers une nouvelle conception de l’économie basée sur la valeur ajoutée et la technologie dont le point de départ sera l’Université en tant que matrice de richesse.
Ensuite, la Tunisie devra avoir de vrais plans économiques à l’instar de Singapour et des Pays Baltes, loin des échafaudages pseudo-économiques actuels dont la seule utilité a été d’achalander l’électeur lors des dernières élections.
Interview réalisée par : Noureddine HLAOUI