Véhicules et restaurants incendiés, magasins pillés, policiers attaqués : la mobilisation des « gilets jaunes » samedi a donné lieu à un rare déferlement de violences dans plusieurs quartiers de la capitale, théâtre pendant plusieurs heures de scènes de chaos fermement condamnées par le chef de l’Etat. « Aucune cause ne justifie que les forces de l’ordre soient attaquées, que des commerces soient pillés, que des passants ou des journalistes soient menacés, que l’Arc du Triomphe soit souillé », a déclaré Emmanuel Macron à Buenos Aires, à la fin du sommet du G20, en annonçant une réunion d’urgence ce »dimanche matin » notamment avec son Premier ministre. Du quartier de l’Opéra à la prestigieuse avenue Foch en passant par la rue de Rivoli, des scènes de guérilla urbaine se sont répétées dans plusieurs quartiers huppés de la capitale, éclipsant le message porté ailleurs en France par des dizaines de milliers de « gilets jaunes ». Le Premier ministre Edouard Philippe a évoqué des violences « incroyablement choquantes » lors d’une visite samedi soir dans une caserne de policiers. En début de soirée, la situation était « plus apaisée » dans la capitale, « mais pas totalement sécurisée », a observé le ministre de l’Intérieur Christophe Castaner. Des centaines d’interpellations A l’issue de cette troisième journée d’action nationale des « gilets jaunes », 287 personnes ont été interpellées dans la capitale et 110 blessées, dont 17 parmi les forces de l’ordre. Au total, près de 190 départs de feu ont été traités par les sapeurs-pompiers pendant la journée et six immeubles incendiés. Le parquet veillera à « ne pas laisser impunies (ces) exactions inacceptables », a affirmé le procureur de Paris Rémy Heitz. Plusieurs faits trahissent le désordre qui a régné dans certaines rues de la capitale où 4.600 gendarmes et policiers étaient mobilisés. Un fusil d’assaut a été dérobé dans une voiture de police, un manifestant a été gravement blessé par une grille du Jardin des Tuileries qu’il venait de desceller avec d’autres « gilets jaunes » et une voiture des forces de l’ordre a été incendiée. « Je suis solidaire avec les « gilets jaunes », mais j’ai envie de pleurer face à toute cette violence », résumait Fanny, une infirmière de 47 ans. « Ça sent la Révolution ». Dans plusieurs quartiers au coeur de la capitale, des personnes cagoulées ont pris à partie des pompiers et érigé des barricades de fortune pour freiner les forces de l’ordre qui ont répliqué par des tirs de lacrymogène, ont constaté des journalistes de l’AFP. « Les coupables de ces violences ne veulent pas de changement, ne veulent aucune amélioration, ils veulent le chaos », a affirmé M. Macron. « Des scènes d’insurrection » Le syndicat de police Alliance a évoqué des « scènes d’insurrection » tandis qu’Unité SGP Police refusait que les policiers soient les « bouc-émissaires de l’autisme du gouvernement ». « Il va falloir à un moment que Macron nous entende sinon ça va être de pire en pire », a déclaré Gaetan Kerr, 52 ans, agriculteur venu de l’Yonne, non loin des Champs-Elysées. C’est dans ce quartier, sur le rond-point de l’Étoile, que les premiers heurts ont éclaté vers 8H45 quand des manifestants ont tenté de forcer un barrage selon une source policière, s’attirant la riposte des forces de l’ordre. Les échauffourées autour de l’Arc de Triomphe ont donné lieu à des scènes surréalistes. Réunis autour de la flamme du soldat inconnu, des manifestants ont entonné la « Marseillaise » dans les nuages de gaz lacrymogène et des tags anti-Macron ont été peints au pied du monument. « Je veux dire à quel point j’ai été choqué par la mise en cause de symboles qui sont des symboles de la France », a réagi dans la matinée le M. Philippe. Après ces premiers heurts, les manifestants les plus radicaux ont reflué dans des avenues adjacentes. L’avenue des Champs-Elysées sous protection rapprochée Tout au long de la journée, la situation a de fait été nettement plus calme sur l’avenue des Champs-Elysées elle-même, sécurisée par un quadrillage policier très serré. « Nous sommes un mouvement pacifique, c’est juste que nous sommes désorganisés », déplorait Dan Lodi, un « gilet jaune » de 68 ans. Plusieurs figures de l’opposition, dont Jean-Luc Mélenchon, ont accusé le gouvernement de mettre en scène ces violences pour discréditer les « gilets jaunes », une affirmation « honteuse » selon M. Castaner. Pour le porte-parole des Républicains (LR) Gilles Platret, « il est impératif » que l’exécutif « fasse un geste significatif » envers les gilets jaunes. Lancé il y a quinze jours hors de tout cadre politique ou syndical, ce mouvement protéiforme s’est également poursuivi hors de Paris. Selon le dernier bilan disponible établi à 15H00, 75.000 manifestants avaient été recensés samedi en France. La première journée nationale, le 17 novembre, avait réuni 282.000 personnes, et la deuxième 106.000. Mobilisations également en province La plupart des mobilisations se sont déroulées dans le calme mais des défilés ont dégénéré à Bordeaux, Toulouse, Nantes, Tours ou Dijon. A Saint-Etienne, des casseurs ont tenté de pénétrer dans un centre commercial et en Haute-Loire, la préfecture a été incendiée après le jet de cocktails molotov. Sous pression, le gouvernement doit désormais tenter de trouver une solution à cette crise, après avoir échoué à établir le dialogue avec un mouvement sans leaders. Face à la gravité de la situation, le Premier ministre a annulé son déplacement prévu dimanche et lundi en Pologne pour le sommet sur le climat COP 24. Le ministre de l’Intérieur a appelé les « gilets jaunes » à « lever le pied » et « revenir autour de la table » tout en esquissant un mea culpa. « On a objectivement mal géré un certain nombre de séquences de communication », a-t-il ainsi déclaré sur BFMTV. Il n’a pas toutefois pas exclu de recourir aux grands moyens pour empêcher une nouvelle flambée de violences.Interrogé sur la possibilité d’instaurer l’état d’urgence, M. Castaner a ainsi assuré n’avoir « aucun tabou ».