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En moyenne, depuis 2016 la masse monétaire a augmenté en moyenne entre 8 et 9 %, alors que l’économie réelle a augmenté seulement de 1% par an, ce qui est anormal
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Il y a une injection disproportionnée de la monnaie par rapport à la taille de l’économie
Les commerçants ont très souvent des comptes bancaires débiteurs et ils évitent de déposer leur argent dans les banques à cause des problèmes de liquidité.
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Avec la dégradation de son pouvoir d’achat, le consommateur a plus tendance à s’approvisionner sur le marché parallèle qui est hors système bancaire
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Le commerçant cherche à ne veut pas déclarer son revenu réel en raison de la pression fiscale et du coup, il essaye de ne pas déclarer la totalité de son revenu
TUNIS – UNIVERSNEWS (INTERVIEW) – Dans une interview accordée à UNIVERSNEWS, l’expert financier, Moez Hadidane est revenu sur la hausse record des billets et monnaies en circulation observée en Tunisie, depuis quelques jours. Selon les chiffres officiels de la Banque centrale de Tunisie (BCT), en une année, la masse des billets et monnaies en circulation est passée à 21,818 millions de dinars le 8 avril dernier, contre 18,984 millions de dinars une année auparavant, soit une augmentation de 15%.
- UNIVERSNEWS : On parle aujourd’hui d’une hausse record des billets et monnaies en circulation. Que signifie cette hausse ?
Moez HADIDANE : Il faut savoir tout d’abord que lorsqu’on parle de billets et monnaies en circulation, on parle de la masse monétaire, c’est-à-dire la masse qui englobe l’ensemble des billets et monnaies en circulation en plus des dépôts des clients chez les banques (des dépôts à vue et des dépôts d’épargne).
Il faut également savoir que la masse monétaire augmente logiquement et d’une manière légitime proportionnellement avec l’augmentation de la taille de l’économie qui se mesure généralement par le PIB et cela veut dire que lorsque le PIB augmente, la masse monétaire va automatiquement augmenter mais généralement d’une manière proportionnelle et dans les règles normales.
Toutefois, au sein de la masse monétaire, il y a une partie qui doit être sous forme de cash dans la mesure où une partie des transactions se fait en cash et cela signifie que l’économie a toujours besoin d’une partie de la masse monétaire qui soit sous forme de cash. En Tunisie, ce ratio qui est souvent appelé « la proportion moyenne à détenir de cash » est égal à 20%. Dons, plus la masse monétaire augmente, plus les agents économiques vont avoir besoin de plus de cash. C’est la règle et c’est la logique.
Partant de cela, la hausse des billets et monnaies en circulation en Tunisie est légitime et légale et à cet effet, la BCT doit créer d’une manière légale de nouveaux billets en vue de les injecter dans l’économie suite à l’augmentation de sa taille.
- Où est alors le problème ?
Le problème c’est que toute la masse monétaire et non pas seulement les billets et monnaies en circulation a augmenté à un rythme plus rapide que le PIB et la taille de l’économie. En moyenne, au cours des huit dernières années, depuis 2016 jusqu’aujourd’hui la masse monétaire a augmenté en moyenne entre 8 et 9 %, alors que l’économie réelle a augmenté seulement de 1% par an. Donc l’anomalie est là, ce n’est pas dans la hausse elle-même des billets et monnaies en circulation mais plutôt la hausse plus rapide de la masse monétaire et du coup, des billets et monnaies en circulation par rapport au rythme d’évolution de l’économie réelle.
- Et qu’est-ce qui explique cette augmentation ?
La hausse de la masse monétaire s’explique principalement par le refinancement par la Banque centrale des banques et de l’Etat d’une manière disproportionnée par rapport à la taille de l’économie. Donc, il y a une injection disproportionnée de la monnaie par rapport à la taille de l’économie.
Nous devons aussi préciser qu’au sein de la masse monétaire elle-même, le cash est en hausse. Il représente actuellement 20% de la masse monétaire contre 19 % auparavant, ce qui explique que la part des billets et monnaies en circulation dans la masse monétaire est en train d’augmenter.
- Alors quelles sont les facteurs derrière la hausse de la part des billets et monnaies en circulation ?
Avant tout, il faut dire qu’il y a toujours une hausse historique des billets et monnaies en circulation qu’on observe toujours et habituellement avant les fêtes et les festivités nationales comme le mois de Ramadan, Aïd El Fitr, Aïd El Idha, le Réveillon ou encore la rentrée scolaire. Durant cette période, le cash doit toujours se multiplier à cause d’importantes retraits des banques pour faire face à des transactions importantes mais en contrepartie, le recevant du cash qui est le commerçant ne va pas rendre toute cet argent aux banques. Donc le retour de l’argent au système bancaire ne sera que partiel. Ce phénomène a été observé depuis déjà l’année 2020. Avant cette date, tout l’argent retiré retourne au système bancaire.
- Et qu’est ce qui est changé aujourd’hui pour voir de type de phénomène ?
A mon avis, il y a 3 causes qui expliquent ce phénomène :
Le premier est lié à l’existence d’un marché parallèle très important en Tunisie. Aujourd’hui, suite à des difficultés de trésorerie qui remontent à l’année 2020 suite à la propagation du Covid-19, le commerçant qui reçoit du cash via les transactions de vente et d’achat, n’est pas dans son intérêt de rendre tout le cash entier aux banques. Les commerçants ont très souvent des comptes bancaires débiteurs. Donc, ils évitent de déposer leur argent dans les banques à causes des problèmes de liquidité.
La deuxième chose est liée à la dégradation du pouvoir d’achat des Tunisiens. En effet suite à la montée de l’inflation, le Tunisien change de comportement et se tourne vers les biens les moins chers pour s’approvisionner et par conséquent, il se dirigera vers le marché parallèle. Cela veut dire qu’avec la baisse de son pouvoir d’achat, le consommateur à plus tendance à aller s’approvisionner sur le marché parallèle qui est hors système bancaire. Lorsque vous acheter par exemple du marché de Moncef Bey, l’argent sera hors-circuit et il ne va pas retourner aux banques.
Le troisième facteur est aussi en relation avec le marché parallèle et une conséquence directe de la dégradation du pouvoir d’achat des Tunisiens. En effet, le commerçant tunisien ne veut pas déclarer son revenu réel parce que la pression fiscale est très importante et du coup, il essaye avec tous les moyens de ne pas déclarer la totalité de son revenu. Il essaye de ne pas laisser de traçabilité en cachant une partie de son revenu et cela est une sorte d’évasion fiscale.
- Mais, les facteurs que vous avez cités sont tous liés à l’économie informelle. Pourquoi?
Bien sûr, ils ont tous une relation avec l’économie informelle, mais aussi avec la dégradation du pouvoir d’achat des Tunisiens. Le marché et le pouvoir d’achat, l’un complète l’autre : plus le pouvoir d’achat se dégrade plus le marché parallèle se nourrit.
Ces trois facteurs ont un effet immédiat sur la hausse des billets et monnaies en circulation mais le problème aujourd’hui est qu’ils ont augmenté d’une manière disproportionnelle et plus rapide que l’économie réelle.