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Sans accord avec le FMI c’est impossible de sortir de la crise
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Sans confiance il n’y aura pas ni d’investissement ni de coopération. Investissement-économie ne va pas de pair avec le manque de confiance.
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Pour améliorer le climat des affaires, il faut passer à l’exécution !
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On ne sait pas doter des moyens et des ressources qui nous permettent de réussir le PPP
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Le problème c’est dans notre capacité de production légistique qui produit des textes qui ajoutent de la complexité à l’efficacité de l’exécution.
TUNIS – UNIVERSNEWS Inflation galopante, infrastructures fragiles, effondrement du pouvoir d’achat, les Tunisiens se retrouvent entre le marteau « des réformes » du gouvernement qui ne répondent guère à leurs aspirations et l’enclume d’une crise économique aiguë et qui s’installe dans la durée. En marge de la 36ème édition des journées de l’Entreprise, Universnews a rencontré l’expert, l’universitaire et le président du cercle des financiers de Tunisie, Abdelkader Boudriga pour commenter les différents aspects de la crise économique que traverse le pays. INTERVIEW
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Universnews : Une sortie de crise est-elle possible sans avoir recours à l’FMI ?
Non impossible, notamment sur le court terme parce que la Tunisie a un déséquilibre de finances publiques en lien avec la capacité financière au niveau des dépenses courantes, la partie investissement et la partie salaire, les besoins sont énormes! Les finances complémentaires sont aux alentours de 12 milles millions de dinars de ressources extérieures.
Il faut bien noter l’épuisement des réserves en devises et l’impossibilité de sortir sur les marchés internationaux. Comme vous le savez, il y a toujours un lien entre les financements bilatéraux et l’accord avec le fonds monétaire international.
Ce qui fait que, pour moi, sans accord avec le FMI c’est impossible de sortir de la crise. Mais ce n’est pas une condition suffisante. L’accord n’est pas l’objectif ultime mais plutôt c’est une condition pour nous permettre sur un horizon de 3 ou 4 ans de renouer avec la bonne croissance pour envisager une vraie sortie crise. Et surtout un retour à une croissance créatrice d’emploi qui nous permet d’atténuer l’impact de l’endettement et d’avoir de l’espace budgétaire notamment fiscal, ce qui va aider l’Etat d’engager des dépenses suffisantes pour l’amélioration de l’infrastructure, de l’éducation, de la santé … une des revendications sociales les plus importantes!
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Pensez-vous que la loi de finances pour l’année 2022-2023 va répondre aux objectifs de la justice fiscale ?
Certes, c’est indiqué comme un des objectifs! C’est un principe qui est cher au président apparemment. Aujourd’hui, est-ce que l’équité fiscale veut dire cibler des acteurs qui sont perçus comme des opérateurs qui ne paient pas assez d’impôt ? Notamment je parle des avocats, des médecins, des métiers libéraux et du secteur informel.
Est-ce que c’est vraiment suffisant ? La justice fiscale est-elle une priorité aujourd’hui ? Moi je ne pense pas honnêtement. La priorité pour 2023 c’est de renouer avec la croissance, ce qui nécessite une reprise de la confiance notamment des investisseurs et des différents acteurs. Sans confiance il n’y aura pas ni d’investissement ni de coopération.
Les journées de l’Entreprise ont mis l’accent sur la dépendance stratégique et économique, mais on ne peut pas s’en sortir tout seul. On doit être dans une logique de coopération même entre les acteurs Tunisiens, ce qui nécessite de la confiance entre le secteur privé, le secteur public, organisations nationales, UGTT, UTICA …tout le monde doit s’y mettre!
Malheureusement, ce qu’on voit aujourd’hui il y a un problème de confiance lié à des orientations politiques qui peuvent entraîner des conséquences sur le climat des affaires et l’investissement. Investissement – économie ne va pas de pair avec le manque de confiance.
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Va-t-il aboutir à l’amélioration du pouvoir d’achat ?
Il n’a y pas de baguette magique pour améliorer le pouvoir d’achat. Ce qui n’a pas de fondement théorique c’est de dire qu’on va contrôler les circuits de distribution et ensuite on imposera un gel des prix, et puis ça va permettre d’améliorer le pouvoir d’achat parce que cela contribue à stabiliser les prix et à les contrôler.
Ça ne se passe jamais comme ça! Au contraire, exercer un contrôle artificiel sur le processus de formation des prix conduit à plus de spéculation et les phases de rupture vont être des phases accélérées et plus prononcées avec des conséquences plus graves.
L’idéal c’est de passer de manière progressive à une vérité de prix. Là je viens à cette question de la Caisse de compensation. En Tunisie on la regarde souvent sous le prisme de la maîtrise des déséquilibres macro-financiers. Ce qui est une revendication du fonds monétaire international. C’est vrai qu’ça a un impact mais si c’était ça le problème moi j’aurai préféré un ciblage indirect, au lieu de cibler les personnes qui ont le plus besoin, il faut cibler les personnes qui n’ont pas droit à la compensation et de procéder à des rétro-paiements par ces groupes cibles. Ce qui va éviter bien évidemment une augmentation de l’inflation.
Cependant, si on considère la compensation comme étant une entrave à la réalité des prix et cette réalité est un objectif prioritaire à moyen terme, c’est là seulement où on va avoir une allocation optimale des ressources, une maîtrise des dépenses, une orientation des dépenses publiques et de la consommation vers les secteurs les plus productifs.
Là, je suis tout à fait d’accord! Il faut le faire de manière progressive sur plusieurs années. Mais il faut ici accepter un petit choc inflationniste qui serait accompagné par des transferts sociaux. La Banque Centrale ne se préoccupera pas dans ce cas de combattre l’inflation. Si l’objectif est seulement de renflouer les caisses et de rétablir les déséquilibres budgétaires, je pense que c’est un effort vain qui peut entraîner des conséquences considérables sur même le pouvoir d’achat qu’on voulait initialement l’améliorer.
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Quelles sont les priorités de l’Etat pour donner une impulsion à l’investissement et à l’amélioration de l’environnement des affaires ?
Le ministre de l’Economie a entamé un exercice depuis Mars 2022 pour proposer un programme national pour l’amélioration du climat des affaires. Il y a 29 mesures qui ont déjà été adoptées et validées par le conseil du ministre. Cela concerne l’aspect fiscal, l’infrastructure, l’éducation, l’accès au marché, les marchés publics, l’efficacité de l’administration, etc.
Je sais qu’il y a également une deuxième phase qui a pour but d’aller peut-être vers 152 mesures identifiées par le secteur privé comme des mesures prioritaires.
Ce que j’espère de tout mon cœur qu’on passe maintenant à l’exécution de ces mesures afin de montrer qu’on est dans le concret, ce qui accroît la crédibilité et la confiance dans la capacité de l’Etat à mettre en place des choses et à s’améliorer. Même si certains pensent qu’il s’agit bien « des mesurettes ». Je pense que le maître mot dans la période à venir est de rétablir la confiance, ce qui ne nécessite de monter que lorsqu’on s’engage sur des réformes… on les exécute dans les meilleurs délais.
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Qu’est-ce que vous recommander pour que le PPP soit une dynamique réelle d’investissement ?
Pour moi c’est un problème de méthodes et de vision par rapport à cette question! Les gens qui ont essayé de promouvoir le PPP, ils l’ont considéré comme étant une panacée à des problématiques économiques. En fait, le PPP c’est une façon qui permet de gérer des actifs publics sans transmettre la propriété publique. Mais on a oublié que dans le cadre d’une transition économique, il faut que l’administration tout d’abord soit en capacité à gérer cette relation avec un privé qui ne possède pas l’actif et qui est en train de le gérer. Le côté public doit avoir la capacité pour évaluer et pour être orienté réalisation et performance, ce qui malheureusement n’est pas le cas.
C’est-à-dire, l’idée peut paraître bonne mais on ne sait pas doter des moyens et des ressources qui nous permettent de réussir le PPP. Ce dernier existait depuis 2004 même depuis 1994 sur certaines formes basiques et primaires telles que la concession des parkings municipaux.
D’ailleurs certains représentants de l’administration nous disent la chose suivante, et c’est le paradoxe Tunisien : à chaque fois qu’on a décidé de réguler ou de réglementer une activité qui pourrait être régie selon le principe du PPP, à chaque fois qu’on a voulu mettre en place un texte réglementaire, on crée des blocages ! Pour moi, le problème aussi c’est dans notre capacité de production légistique qui produit des textes qui ajoutent de la complexité à l’efficacité de l’exécution.
Il faut dire qu’aujourd’hui le PPP n’a pas marché dans les conditions actuelles parce que le principe était de donner la flexibilité et le pouvoir à l’administration et les fonctionnaires publics en charge des PPP et aux autorités locales également à prendre les décisions. Et si on leur donne ce pouvoir-là, ça veut dire vous prenez des risques de dérapage.
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Qu’est-ce qu’il manque réellement ?
C’est le main-set ! Les dix dernières années on a trop parlé de gouvernance, de la corruption, de l’article 96 et de conflits d’intérêts. Résultat : une administration complètement désengagée et complément bloquée par souci de créer des complexités ou pour des raisons de lobbying, donc elle ne peut pas réussir ce genre de projet !
Jihen Mkehli