TUNIS – UNIVERSNEWS – Nadhem Héni, journaliste tunisien, quarantenaire, père de famille dans la force de l’âge et sans antécédents médicaux connus, est retrouvé mort dans la matinée du 8 février 2023, dans son lit, des suites d’un arrêt cardiaque qui le frappa en plein sommeil. Ce fait paraîtrait anecdotique, s’il ne venait allonger une liste déjà bien fournie de journalistes morts dans des circonstances similaires, happés par la faucheuse alors qu’ils sont soit au sommet de leur art, ou peu de temps après avoir raccroché leurs plumes. D’aucuns prétendraient que ces cas de morts sont en réalité l’aboutissement de problèmes structurels plus profond auxquels le journalisme est en proie en Tunisie. Un phénomène dont nous essayerons de cerner les déterminants, compte tenu de l’absence de données ainsi que de l’inaction face à cette hécatombe sans bourreaux, ni effusions de sang, mais ô combien alarmante.
Métier pénible
Tous nos intervenants, l’air légèrement amer mais ferme, n’ont que cette expression à la bouche: C’est le métier de toutes les difficultés.
Ali Ghwaydia, chercheur à l’Institut de Presse et des Sciences de l’Information, déclare avec la conviction que lui confère son expertise : « C’est le métier de toutes les difficultés. Cela a trait à la collecte et la vérification des données, les obstacles que nous pouvons rencontrer dans l’exercice de nos fonctions, les sanctions disciplinaires encourues liées à la ligne éditoriale des entreprises médiatiques. »
Tous les témoignages recueillis durant notre enquête, s’accordent sur un point important. Un point qui donne un léger aperçu du degré de fatigue et de l’empreinte que ce métier laisse sur les organismes : Le journaliste ne peut se permettre d’apprécier le sommeil, il n’a pas d’emploi du temps bien précis, ses journées se suivent mais ne se ressemblent pas, il doit se rendre disponible à n’importe quelle heure si la couverture de l’actualité l’y oblige.
Il se doit aussi d’être au fait de tout ce qui se passe autour de lui, pour ne pas pondre une information déjà traitée et diffusée. Cela constitue une source continuelle de stress, de fatigue physique et psychologique, de nature à mettre les organismes à rude épreuve.
Dr. Mounira Rezgui, chercheuse en sociologie et journaliste, déclare à ce propos : « La presse impose de nombreuses obligations à ses salariés, puisqu’elle exige que le journaliste soit toujours prêt, et cela peut se faire au détriment des obligations familiales ou au détriment de son confort personnel. De plus, la concurrence féroce sur laquelle repose le travail journalistique fait de ce métier une « course » quotidienne dans le sens où il faut être en avance et atteindre l’excellence, ce qui demande un effort mental et physique constant et à plein temps ».
Le fil conducteur de notre enquête nous mène, en premier, vers le siège du Syndicat National des Journalistes Tunisiens.
Par une après-midi de février où règne un soleil éclatant, contrastant avec la légère brume qui entoure le sujet de notre enquête, nous entrons dans les locaux du syndicat en demandant d’emblée à voir un journaliste.
C’est le président du SNJT, Mohamed Yassine Jlassi, qui se charge de nous mener vers le bureau d’un des membres du syndicat, Ayoub Dhifallah, qui est aussi un journaliste travaillant au sein de la plateforme de vérification des faits Tunifact.
Une fois notre question posée et notre dictaphone en marche, du fond de son bureau et cigarette à la main, il nous déroule le fond de sa pensée : « Journaliste est un métier pénible pour deux raisons : Le journaliste va toujours au-devant du danger pour couvrir l’actualité, en se rendant dans des zones de guerre, des manifestations… Il met sa vie en danger et s’expose à la mort, sans parler du risque d’agression », avant de poursuivre : « Aussi, dans un monde en perpétuel changement et l’énorme quantité d’informations que le journaliste est susceptible de recevoir ; car c’est lui qui reçoit en premier les nouvelles avant de les reformuler et de les diffuser au public ; c’est lui qui se prend toutes les mauvaises nouvelles en pleine face, et cela aura sans aucun doute un impact psychologique. »
Il va sans dire que les journalistes sont amenés à être les premiers témoins de scènes dramatiques de guerre, de mort, de détresse en tous genre, parfois – ne pouvant rester insensibles – allant jusqu’à y prendre part, en mettant leur vie en danger pour venir en aide aux personnes en en détresse. L’accumulation de ces expériences douloureuses et bouleversantes et la perpétuelle proximité avec la mort et la tristesse, peut conduire dans beaucoup de cas à des dépressions et des surmenages.
Youssef BEN ARFA
Enquête – Prochain article :
Journalistes : II – Pressions et obstacles !!!