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« Nous avons besoin de confinement total et non d’un couvre-feu à temps partiel… »
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« Préservons les militaires pour des opérations d’ordre sanitaire et logistique…
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« Il ne faut jamais banaliser la descente des militaires dans la rue, surtout qu’il n’y a pas une menace d’ordre proprement sécuritaire ou de défense… »
La Tunisie se trouve sous couvre-feu de 18h du soir à 6h du matin. Mais cette fois-ci, ce n’est pas pour des raisons purement sécuritaires, mais à cause d’une situation sanitaire inédite et de la plus haute gravité.
Toutefois, la décision de décréter le couvre-feu par le président de la République a été controversée et la plupart des observateurs prônent le recours à la formule du confinement total, suivie par pratiquement tous les pays, surtout les plus avancés, sachant qu’aucun pays à travers le monde n’a pris, aussi franchement, une mesure pareille.
Pour avoir un point de vue aussi sérieux que crédible, nous avons posé quatre questions à l’amiral Kamel Akrout, ancien premier conseiller à la sécurité nationale auprès du président de la république, feu Béji Caïd Essebsi qui y a répondu avec sa clarté et sa franchise habituelles. Interview expresse…
- D’abord, la décision de couvre-feu est-elle adéquate et positive dans le combat contre le Coronavirus ?
Adéquate peut-être mais pas vraiment positive. En effet, le couvre-feu qui a été décrété par le président de la République de 18h à 6h du matin n’a pas tardé à provoquer une polémique, entraînant exactement l’effet contraire de ce qu’on attendait.
Au lieu d’empêcher les attroupements des citoyens, il a généré encore plus de rassemblements et a entraîné la formation de grandes foules dans les gares, des stations et dans les transports en commun. Il me semble qu’un couvre-feu de cette manière n’a pas de sens, nous avons plutôt besoin de confinement total que d’un couvre-feu à temps partiel.
- La descente des militaires dans les rues, pour assurer le respect du couvre-feu, n’aura-t-elle pas un impact contraire à celui escompté sur l’ambiance sociale ?
En général il ne faut pas banaliser la descente des militaires dans la rue, surtout qu’il n’y a pas une menace d’ordre proprement sécuritaire ou de défense. Une décision pareille nécessite un travail très important en amont. Il faut tout d’abord bien préciser la mission des militaires sur le terrain : est-ce que cette mission rentre dans le cadre d’un appui aux forces de sécurité intérieures ou en soutien aux équipes médicales ? Ensuite, équiper ces militaires en conséquence et surtout bien spécifier les règles d’engagement et d’emploi des armes.
- La réaction générale de l’opinion publique et de certains responsables est négative. Fallait-il se contenter des mesures déjà prises ou bien il fallait cette décision ?
A mon avis, il faut continuer à sensibiliser le citoyen et lui faire comprendre que sa sécurité est de limiter ses déplacements et ses contacts avec les autres. En tant qu’Etat, le pays doit se préparer à instaurer dans les plus brefs délais (chaque heure compte !) un confinement total- en commençant par les régions infectées- pendant deux semaines, comme l’ont fait beaucoup de pays, avec une organisation judicieuse du système vital de production, de logistique et un programme d’aide aux personnes nécessiteuses. Dans ce cas les militaires seront d’une grande utilité dans le soutien logistique au sens le plus large du mot (transport de tout genre, distribution, sanitaire, etc.).
Bien évidemment, tout le monde comprend que dans de telles circonstances, l’Etat n’a pas les moyens d’un confinement total, il ne pourra pas, à lui seul, subvenir à tous les besoins de la population, qui devra elle-même aider -au moins- par la discipline et l’application des règles imposées par l’Etat. Une solidarité nationale s’impose, il est impératif que le secteur privé aide l’Etat qui, à son tour, doit trouver les solutions nécessaires pour minimiser l’impact de cette crise, à court et moyen terme sur le secteur en question. Tout le monde doit faire des sacrifices !
- En résumé, pourriez-vous nous dire les effets bénéfiques et négatifs du couvre-feu dans les circonstances actuelles ?
Le confinement total est beaucoup plus efficace qu’un couvre-feu partiel. Ensuite, tant qu’il n’y a pas une menace sécuritaire qui nécessite le soutien des militaires aux forces de sécurité intérieure, économisons nos moyens et préservons les militaires pour des opérations d’ordre sanitaire et logistique.
Entretien conduit par : Noureddine HLAOUI