
- 450 Milliards pour une seule contrepartie privée: quand la banque publique prend des risques privés
- Lorsqu’une seule défaillance menace une filière agricole et secoue tout le secteur bancaire
- Une crise systémique, un cocktail explosif mêlant mauvaise gouvernance, risque de concentration, défaut en chaîne et fragilité sociale.
- La BH Bank a dépassé de près de 8 points ce seuil réglementaire, pourtant destiné à prévenir précisément ce type de dérives à haut risque
- Crise en chaîne : la chute de Ben Romdhane fait vaciller tout l’écosystème oléicole
- Effet domino à grande échelle dans toute la filière oléicole, un secteur vital qui emploie près de 200 000 personnes
- Vers une bombe sociale à retardement et risque systémique aux portes du secteur bancaire
TUNIS – UNIVERSNEWS C’est un véritable séisme qui secoue la Tunisie. L’affaire Ben Romdhane dépasse de loin les frontières d’un simple scandale bancaire. Elle révèle une exposition à haut risque de la BH Bank, ébranle l’un des secteurs les plus stratégiques de l’économie tunisienne — l’oléiculture — et menace de déclencher une crise sociale de grande ampleur.
À travers un engagement colossal de 450 millions de dinars accordé à un seul client, cette affaire met en lumière les failles inquiétantes du système de contrôle bancaire, tout en plongeant des milliers de petits producteurs, coopératives et fournisseurs agricoles dans l’incertitude.
La disparition de cet acteur majeur crée un effet domino dont les répercussions risquent de faire vaciller non seulement l’équilibre financier de plusieurs établissements bancaires, mais aussi la stabilité des zones rurales dont la survie économique dépend directement de la filière oléicole.
L’affaire Ben Romdhane n’est pas un simple incident : elle incarne une crise systémique, un cocktail explosif mêlant mauvaise gouvernance, risque de concentration, défaut en chaîne et fragilité sociale. Une véritable bombe à retardement pour la Tunisie.
🚨Du client modèle à la créance incertaine : chute libre d’un empire
Au 31 décembre 2024, tout semblait encore sous contrôle. Les crédits accordés à Ben Romdhane étaient considérés comme sains.
Mais entre-temps, tout a changé : fuite du principal intéressé, pression sur les prix, arrestation de son concurrent direct et difficultés de recouvrement… L’équation financière s’est brutalement inversée.
Résultat : les auditeurs recommandent désormais de reclasser l’exposition en créance incertaine, un signal rouge sur le tableau de bord de la BH Bank.
🚨 Un pari bancaire devenu gouffre financier: « 450 Milliards pour un seul homme : quand la banque publique prend des risques privés »
Selon le rapport révélé le 16 avril 2025 par les commissaires aux comptes de la BH Bank, l’établissement public accuse une exposition massive de 450,7 millions de dinars sur le groupe Ben Romdhane, poids lourd du secteur oléicole.
Le chiffre a de quoi alarmer : les 450,7 millions de dinars d’exposition de la BH Bank envers le groupe Ben Romdhane représentent à eux seuls environ 33 % des fonds propres de la banque. Or, le ratio réglementaire de concentration des risques, fixé par la Banque Centrale de Tunisie (BCT), impose une limite stricte de 25 % pour les engagements envers une seule contrepartie ou un groupe économique consolidé.
Autrement dit, la BH Bank a dépassé de près de 8 points ce seuil réglementaire, pourtant destiné à prévenir précisément ce type de dérives à haut risque. Ce non-respect des normes prudentielles met en lumière une carence flagrante dans les mécanismes de contrôle interne et soulève de sérieuses questions quant à la surveillance exercée par la BCT.
Ce qui ressemble aujourd’hui à une bombe à retardement révèle une gestion du risque manifestement défaillante au sein de l’institution.
🚨 Un manquement lourd de conséquences
En dépassant ce plafond, la BH Bank s’expose non seulement à des sanctions réglementaires, mais surtout à un risque systémique direct : si la contrepartie – en l’occurrence, le groupe Ben Romdhane – se retrouve en défaut ou en incapacité de rembourser ses engagements, c’est près d’un tiers des fonds propres de la banque qui serait compromis.
Cela signifie qu’en cas de provisionnement partiel ou total de cette exposition, la capacité de la banque à financer l’économie, à résister à des chocs externes ou à satisfaire ses obligations envers ses clients et actionnaires serait gravement affaiblie.
❗ Un précédent dangereux pour le secteur bancaire
Ce cas illustre de manière criante le danger des concentrations excessives dans les bilans bancaires tunisiens. Lorsque les mécanismes de gouvernance échouent à encadrer des expositions aussi massives, c’est l’ensemble du secteur financier qui est fragilisé.
Il y a un risque d’effet domino si d’autres établissements adoptent des pratiques similaires ou si la défaillance de ce groupe engendre une contagion sur d’autres partenaires bancaires.
🌿 Crise en chaîne : la chute de Ben Romdhane fait vaciller tout l’écosystème oléicole
La disparition brutale d’Adel Ben Romdhane, principal exportateur d’huile d’olive en Tunisie, n’entraîne pas seulement son groupe dans la tourmente. Elle déclenche un effet domino à grande échelle dans toute la filière oléicole, un secteur vital qui emploie près de 200 000 personnes et génère une production annuelle de 220 000 tonnes.
En amont, des milliers de vendeurs d’olives – agriculteurs, coopératives, intermédiaires – se retrouvent sans acheteur ni trésorerie.
Beaucoup avaient contracté des crédits de campagne en s’appuyant sur des commandes fermes du groupe Ben Romdhane. Avec son effondrement, ces engagements bancaires deviennent intenables, exposant ces acteurs à des défauts de paiement.
Ce choc ne s’arrête pas là. Les banques qui ont financé ces fournisseurs sont désormais elles aussi en première ligne, risquant une accumulation de créances douteuses.
La crise commerciale devient ainsi un risque systémique, qui menace de fragiliser tout le tissu bancaire rural, tout en plongeant des zones entières du pays dans une précarité économique accrue.
⚠️ 4. L’impact social : vers une bombe sociale à retardement ?
Ce sont des dizaines de milliers de saisonniers, de petits agriculteurs, de femmes rurales, et d’artisans de la transformation et du conditionnement qui sont aujourd’hui en sursis. Le vide laissé par Ben Romdhane a bloqué des flux de trésorerie essentiels.
Sans aides d’urgence ni mécanismes de substitution rapides, la prochaine campagne oléicole pourrait ne jamais voir le jour, précipitant des vagues de licenciements dans les régions productrices.
🏦 5. Un risque systémique aux portes du système bancaire
Cette affaire soulève une question brûlante : comment un établissement public a-t-il pu dépasser aussi largement les normes prudentielles ? Et surtout, qui a laissé faire ? Dirigeants, comité de crédit, auditeurs internes, Banque Centrale… les zones d’ombre sont nombreuses.
Si d’autres banques détiennent également des créances sur des groupes similaires, la crise de confiance pourrait vite s’étendre à tout le système bancaire tunisien.
Le système bancaire tunisien n’a pas connu une faillite aussi retentissante depuis celle de Batam, une affaire dont les établissements continuent, des décennies plus tard, à porter les stigmates dans leurs portefeuilles. Cette débâcle, pourtant emblématique, aurait dû servir de leçon. Mais il semble que ni cet épisode douloureux, ni les secousses provoquées par la crise du tourisme ou encore par les difficultés récurrentes du secteur immobilier, n’aient suffi à susciter une remise en question profonde du mode de fonctionnement bancaire.
En dépit de ces alertes successives, le système bancaire tarde à instaurer une gouvernance réellement rigoureuse et adaptée à ses enjeux de risque.
Le principe des « quatre yeux », pourtant considéré comme un standard international de contrôle prudentiel — où chaque décision critique doit être validée par au moins deux personnes indépendantes —, peine encore à s’imposer dans les pratiques.
Ironie du sort, les banques ont affiché ces dernières années des résultats authentiquement exceptionnels, dopés par les emprunts d’État et la rémunération attrayante des bons du Trésor.
Mais cette performance conjoncturelle n’a pas été exploitée pour enclencher une transformation structurelle. Aucune réforme d’envergure n’a été initiée pour consolider la gouvernance, renforcer la supervision interne ou limiter les conflits d’intérêts, laissant ainsi le système exposé à de nouveaux chocs.
Il est à craindre que, sans un sursaut de lucidité, le secteur bancaire continue de naviguer à vue, porté par des bénéfices circonstanciels mais vulnérable face aux crises systémiques à venir.