- Le plan de sauvetage et de relance économique et sociale pourrait s’articuler autour de 5 axes
Par Dr Moez Joudi*
Depuis des années que les sonnettes d’alarme ont été tirées, la situation économique et financière de la Tunisie ne fait qu’empirer, elle s’est encore détériorée en 2020 et durant le premier trimestre 2021 !
Il est vrai que la crise sanitaire du COVID-19 compte pour beaucoup dans cette détérioration comme un peu partout dans le monde mais la situation n’était pas bonne avant même le déclenchement de la crise sanitaire!
Rappelons qu’au premier trimestre 2020, une croissance négative de – 2.1% a été déjà enregistrée outre le cumul des déficits, la hausse vertigineuse et dangereuse de l’endettement public et l’absence de réformes.
Aujourd’hui, ce qui inquiète le plus, c’est l’absence d’un plan de sauvetage, alors que l’économie tunisienne est en train de s’effondrer avec une décroissance d’environ – 8,8 % sur l’année 2020 et un endettement public qui dépasse les 100% du PIB, si on prend en compte l’endettement des entreprises publiques, outre le chômage qui atteindra des niveaux records d’ici la fin de l’année en cours !
Ceci alors que le gouvernement en place n’a pris l’initiative de lancer aucun plan jusqu’à maintenant, même dans la perspective des prochaines négociations avec le FMI nous n’avons rien vu encore de concrets à part les interminables et ô combien insipides, commissions de réflexions et autres réunions de concertation!
En effet, dans pareille situation, il doit y avoir des programmes ficelés et des plans de restructuration et de relance qui sont annoncés et suivis d’un ensemble de mesures et de décisions afin d’agir, de gérer la crise et de préparer le pays pour l’après-crise. Il n’y a pas besoin à chaque fois d’attendre des pourparlers avec le FMI ou autre bailleurs de fonds pour se mettre à annoncer dans la précipitation les grandes lignes des réformes longtemps annoncées mais jamais réalisées !?
Depuis 2011, la Tunisie vit au dessus de ses moyens, les réserves laissées depuis le 14 janvier 2011 et les marges de manœuvre ont été épuisées et réduites. Aujourd’hui, la situation est alarmante et le scénario grec se profile avec des conséquences qui peuvent être plus désastreuses en l’absence des soutiens et des piliers sur lesquels s’est reposé la Grèce pour sortir de sa crise.
Et si on revenait aux causes réelles qui ont conduit à cette situation et à la détérioration des finances publiques pour mieux appréhender l’issue ?
Une mauvaise gouvernance publique due à l’incompétence, à l’instabilité politique, à l’absence de visions et de politiques économiques pertinentes et viables.
Les gouvernements post-14 janvier 2011 manquaient d’expérience et de savoir-faire, ils ont surtout essayé d’improviser et de chercher les solutions faciles, notamment, en recourant aux recrutements massifs dans la fonction et les entreprises publiques pour atténuer le chômage, en procédant à des augmentations salariales tous azimuts et non justifiées par une amélioration de la productivité et de la croissance, et entraînant le pays dans une spirale inflationniste et un cumul de déficits publics.
Durant cette année 2021, la Tunisie aura besoin de pas moins de 20 milliards de dinars d’endettement dont plus de la moitié d’endettement externe face à une masse salariale de plus que 20 milliards de dinars et des services de la dette aux alentours des 15 milliards de dinars! Une équation quasi impossible et une situation intenable !
Pour essayer de renverser la vapeur et d’entamer le sauvetage, il faut insister tout d’abord sur le fait que le problème est plus politique qu’économique en Tunisie. Nous avons besoin de réformes politiques urgentes au niveau constitutionnel et au niveau du système de gouvernance du pays.
Ensuite, il faut établir un diagnostic commun de la situation à travers un dialogue économique et social limité dans le temps et dans le nombre d’intervenants. Le plan de sauvetage et de relance économique et sociale de la Tunisie pourrait s’articuler autour de ces cinq axes :
- Rétablir la confiance des investisseurs et des opérateurs économiques à travers la priorisation de la question économique dans les débats et les prises de décisions au niveau politique.
- Arrêter l’hémorragie des déficits à travers la réduction des dépenses publiques et des importations, le développement des recettes notamment non fiscales et des exportations qui nécessitent urgemment un plan d’accompagnement au vu des handicaps et des problèmes administratifs et logistiques rencontrés par les exportateurs dans leur quotidien.
- Réaliser les réformes nécessaires : Fiscale, fonction publique, entreprises publiques, caisse de compensation, caisses sociales, secteur bancaire et financier.
- Une politique de grands projets pour actionner l’investissement public qui boostera l’investissement privé. Revoir la loi sur les PPP en la simplifiant et en supprimant les ambigüités et les incohérences qui accompagnent toute réalisation d’un PPP.
- Lutter efficacement et sérieusement contre l’économie parallèle et souterraine, et diffuser les bonnes pratiques de gouvernance et de transparence tout en appliquant les lois et les règles en vigueur.
M. Ferid Belhaj Vice-président de la Banque Mondiale l’a reconnu lors de sa dernière visite en Tunisie et l’a affirmé même devant les hauts responsables du pays : la Tunisie n’est pas au bord du gouffre, elle est dans le gouffre ! Face à ce constat accablant, il faut unir tous les efforts, arrêter les surenchères politiques et amorcer le sauvetage !
La Grèce a mis une décennie pour commencer à s’en sortir de sa banqueroute avec une lourde facture payée, les tunisiens accepteront-ils un tel scénario ?! Je ne le pense pas, les risques de dérapages et de violences sont réels, les marges de manœuvre sont étroites, le temps est compté et le réveil est urgent !
Dr M.J
*Président de l’Institut Tunisien des Administrateurs (ITA)