Par Faouzi Ben Abderrahman
Étant dans l’action politique directe depuis 2011, et ayant eu à participer activement à la dernière campagne présidentielle, je voudrais apporter un éclairage personnel sur ce que je considère comme les grandes leçons de ce scrutin et inciter à dépasser le malaise ou l’euphorie ambiante pour une vraie refondation de la vie politique en Tunisie.
Cette élection du 15 septembre a apporté son lot de bonnes et de mauvaises nouvelles que je partage dans cette réflexion.
Je vais essayer d’en énumérer quelques unes en tâchant de ne pas en oublier. Je commence par les bonnes nouvelles.
La première bonne nouvelle est l’implication des jeunes. On a répété à qui veut l’entendre que les jeunes désertent la politique. On y a tous cru. Les dernières élections ont seulement apporté un démenti cinglant à cette assertion mais elles ont montré que non seulement nos jeunes de 18 à 35 ans s’intéressent à la chose publique, mais qu’ils sont dans l’action politique et surtout qu’ils sont capables de renverser les équilibres à force de discipline et d’engagement.
Que ceux qui parlent de « manipulation » la mettent en sourdine pour le moment. Car c’est trop facile de crier à la manipulation quand on n’a pas le courage d’affronter ses propres erreurs.
La deuxième bonne nouvelle est que l’argent ne fait pas le vote. Les gens qui ont dépensé le plus d’argent ne sont pas gagnants, bien au contraire. Ce qui semble drôle est que si on croit les bruits, le bon peuple, cible des « largesses généreuses », aurait peu obéi aux consignes de vote.
La troisième bonne nouvelle que je vis personnellement comme un soulagement est que le concept de « machine électorale » est définitivement enterré. Et même si on essaie de vous faire persuader du contraire, sachez que la machine électorale ne bouge plus avec des mercenaires.
Le temps des mercenaires politiques est bien révolu. Ceci laisse la place au vrai militantisme, le vrai, celui des jeunes et moins jeunes qui croient aux causes nobles et qui s’investissent à fond. Ces machines ne nécessitent presque pas d’argent et sont le vrai rempart contre la médiocrité politique.
Ceci pour les bonnes nouvelles (moralisation). Pour les mauvaises nouvelles, elles sont un peu plus profondes et nécessitent une vraie remise en cause, je vais en citer les plus saillantes à mon avis :
1. La fièvre du repli identitaire qui nous prend à chaque échéance électorale. On n’arrive pas à dépasser le récif de la question identitaire pour voguer au large et rencontrer le monde. Nous nous recroquevillions sur nous mêmes, nous prenons les autres pour des ennemis. Nos schémas mentaux relèvent tous du passé. Aucune projection dans l’avenir et surtout, pour moi, une déconnexion totale et profonde d’un humanisme universel signe de progrès et de vraie modernité.
2. L’incompréhension de la demande profonde du peuple tunisien du pouvoir symbolique qui diffère de celui réel en ce sens où il n’est que l’expression d’une réparation d’une injustice séculaire du peuple « asservi ». La colère non violente du peuple tunisien a été mal comprise car elle n’était même pas dirigée contre les « dominants » mais plutôt contre leur corruption.
Cette incompréhension trouve sa meilleure expression dans le comportement de l’élite économique du pays, qui n’a pas jamais voulu comprendre le moment historique du bouleversement et de la nécessité d’être ouverts à une vraie discussion franche sur leurs privilèges, sur la nécessité d’accueillir de nouveaux acteurs et surtout de l’obligation historique d’une vraie redistribution juste.
A part quelques rares exceptions, cette caste a toujours été en retard sinon en contradiction avec les aspirations profondes du peuple tunisien. Cette dernière élection a été une occasion de plus pour montrer le décalage profond et l’incompréhension des milieux économiques du « moment historique ».
3. La troisième mauvaise nouvelle est le niveau de conscience des élites politiques du pays. Une incapacité de cerner le monde qui nous entoure, une ignorance des lames de fond qui touchent tous les domaines d’activité humaines et, par conséquent, une totale myopie quant à la place que devrait occuper notre pays dans le monde d’aujourd’hui et de demain. Ce manque de vision a touché en premier ceux qui ont gouverné le pays ces dernières années mais a touché également tout le reste du paysage. Les jeunes veulent un discours différent qu’ils ne trouvent nulle part.
4. L’incapacité continue de l’Etat national et de ses institutions d’être immunisé contre son asservissement. Cette question primordiale a créé une ambiance que nous croyions révolue de peur, d’intimidation, de crainte de représailles et a encouragé l’opportunisme et la médiocrité. Mon propos n’est point « politique » ici mais essentiellement une incitation à une réflexion de fond afin de donner à l’Etat et à ses institutions des mécanismes d’immunité contre tous ceux qui n’ont que ça en tête.
5. Le projet d’une Tunisie décomplexée, fière de son histoire et de son identité, s’inscrivant dans la modernité, consacrant l’égalité, la liberté, la dignité, donnant aux Tunisiens l’occasion d’exprimer leur adhésion à un humanisme universel.. Ce projet n’a aucune formation politique solide, organisée et forte pour le porter.
C’est ce manque d’offre politique qui a été la cause principale de la montée des populismes de tous genres.
Cet article se veut une contribution personnelle et une incitation à une réflexion politique sérieuse afin de nous inscrire dans une démocratie populaire et durable.
Ceci n’empêche pas une invitation à toutes et à tous pour l’action politique immédiate… La société civile est en train de bouger dans le bon sens. Comme toujours…