Par Khélil LAJIMI
Ancien ministre
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La baisse des importations (-1,8%) provient d’un net recul des importations des matières premières et demi-produits (-9%) ce qui se traduit par un outil de production qui tourne au ralenti
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Pour l’emploi, il est inutile de s’obstiner à maintenir des mécanismes tels que le SIVP à la fois budgétivore et qui sont des instruments d’optimisation des coûts chez certains chefs d’entreprises
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Le chômage des diplômés de l’enseignement supérieur reste à des niveaux élevés et demeure le point noir de notre politique de l’emploi et ce, depuis des années
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Un retour de la confiance constituerait un vrai booster à la conjoncture économique
TUNIS – UNIVERSNEWS L’INS (Institut National des Statistiques) vient de publier toute une batterie d’indicateurs concernant l’activité économique du pays. A première vue les chiffres s’améliorent. Cette embellie va-t-elle se poursuivre ? Mais en regardant de plus près, on ne peut que constater que la conjoncture reste morose. La prudence reste de mise.
L’inflation
L’indice des prix à la consommation familiale à fin avril est à la baisse à 7,2% contre 7,5% un mois auparavant. L’inflation sous-jacente (hors produits alimentaires et énergie) accuse une légère baisse pour s’établir à 6,9% après 7% le mois précédent. Les prix des produits libres augmentent de 7,9% sur un an et plus particulièrement les produits alimentaires libres enregistrent une hausse de 10%. La bataille contre l’inflation n’est pas encore gagnée. Les autorités monétaires continueront à rester vigilantes devant la poursuite des foyers de tension géopolitiques internationales et la monétisation d’une partie de la dette publique.
Les échanges extérieurs
Les résultats des échanges extérieurs de marchandises, aux prix courants, montrent une hausse des exportations de 4,8% et une baisse des importations de 1,8% durant les quatre premiers mois de l’année 2024. Le taux de couverture progresse de 5,2 points par rapport à la même période de l’année 2023 pour s’établir à 81,7%. Ce qui retient l’attention, c’est que la baisse des importations (-1,8%) provient d’un net recul des importations des matières premières et demi-produits (-9%) ce qui se traduit en d’autres termes par un outil de production qui tourne au ralenti.
Nous le verrons plus loin dans les chiffres de la croissance. Côté exportations, le dynamisme observé (+4,8%) durant les quatre premiers mois de l’année 2024 concerne essentiellement les exportations du secteur des industries agro-alimentaires qui ont augmenté de 56,4% suite à la forte augmentation de nos ventes d’huiles d’olives (2450,2 MD contre 1167,7 MD). C’est l’effet de la forte hausse des prix constaté à cause de la sécheresse qui a impacté la récolte d’olives en Espagne.
La croissance et le chômage
Le dernier chiffre de la croissance économique en glissement annuel à la fin du premier trimestre 2024 est tombé : un léger frémissement de la croissance de 0,2 %, tirée par la demande intérieure (+0,45%) mais plombée par la croissance négative du commerce extérieur (-0,26%). En rapportant cette croissance à l’augmentation de la population, +0,4% en 2023, chaque Tunisienne et Tunisien ont perdu en gros 0,2% de revenu. Il est à remarquer que la croissance naturelle de la population était de 1% en 2019, soit une baisse de 0,6 point en quatre ans. Un groupe de travail encadré par des sociologues devrait analyser ce phénomène afin d’enrichir les travaux préparatifs du plan quinquennal 2026-2030. C’est une issue importante et une mutation structurelle de la population qui se dessine dans les prochaines années. Elle aura des répercussions sur l’emploi, la santé, l’éducation et surtout les retraites.
Pour revenir à la croissance, seuls l’agriculture et le tourisme tirent leurs épingles du jeu avec respectivement +1,6% et +6,6%. Comme indiqué dans les chiffres du commerce extérieur, l’industrie recule fortement -5%, avec -12,2% pour le textile et – 10,1% pour les matériaux de construction. La construction aussi souffre -6,8%.
On connait la forte corrélation entre la croissance et l’emploi, avec un décalage temporel plus ou moins grand en fonction de la flexibilité du marché de l’emploi. Le chômage selon l’INS a baissé à la fin du premier trimestre 2024 à 16,2% contre 16,4% à la fin du quatrième trimestre 2023.
Cette baisse est due à l’augmentation de la population active (le dénominateur) de 67 000 personnes pour atteindre 4,145 millions. Le chômage des diplômés de l’enseignement supérieur reste à des niveaux élevés, 23,4% (31,2% pour les jeunes filles et 13,8% pour les jeunes hommes). Ça demeure le point noir de notre politique de l’emploi et ce, depuis des années. La solution ne viendrait que par les mécanismes de marché. Il est inutile de s’obstiner à maintenir des mécanismes tels que le SIVP à la fois budgétivore et qui sont des instruments d’optimisation des coûts chez certains chefs d’entreprises.
Il est évident que malgré l’amélioration de certains indicateurs la conjoncture demeure morose. L’investissement, moteur d’une croissance saine et durable, est à l’arrêt. La confiance est absente. Il est grand temps, à l’occasion des travaux préparatifs du plan quinquennal 2026-2030, de se pencher sur les problèmes économiques et sociaux et, de définir les contours, par un dialogue large avec les différents acteurs, des réformes structurelles à mettre en œuvre. Entre-temps un retour de la confiance constituerait un vrai booster à la conjoncture économique.
K.L.