Par Taoufik Bourgou*
Au moment où le débat bat son plein entre les candidats à l’élection présidentielle anticipée, la polémique est inévitable quant aux prochaines orientations de la diplomatie tunisienne qui est du ressort des prérogatives du président de la République.
Cette diplomatie, qui était le point fort de notre pays, n’est pas encore au beau fixe dans l’état actuel des choses à cause des préjudices subis, selon les analystes, durant les trois années de pouvoir de la Troïka et du président provisoire Marzouki.
Le professeur Taoufik Bourgou, enseignant à l’Université de Lyon en France procède à une évaluation de ce passage de la Troïka et de sa vision pour l’avenir. Voici, par ailleurs, l’intégralité de son article en la matière :
« Le bilan des sortants a été escamoté, caché et certainement éludé. Dire qu’un pays va mal n’est rien si le constat n’est pas sanctionné par un vrai diagnostic et une vraie évaluation au centime près. Ne pas faire l’inventaire de la période qui va de décembre 2011 à la prise de pouvoir du futur gouvernement en février 2020, c’est s’exposer à en être responsable et comptable.
On aura le temps de revenir sur les «grandes politiques publiques » mises en œuvre (très peu et insignifiantes d’ailleurs) quand nous aborderons le débat des législatives. Ce qui nous intéressera d’abord, c’est un aspect savamment caché, celui de la contrainte qu’ont représentée l’exercice du pouvoir et la vie politique en général durant la période 2011 – 2019 et son incidence sur la place du pays dans le contexte et le concert régional.
Cette place a été mise en péril par des jeux politiques internes, des ingérences extérieures sur invitations de partis politiques majeurs ou alors à travers des actions diplomatiques et des déclarations qui ont abaissé la position du pays.
Enfin, les engagements pris, la politique de l’endettement à outrance pour ne pas dire une politique de la mendicité ont achevé le crédit du pays.
Une vie politique interne qui a détruit le crédit diplomatique du pays
En 2011, les partis de la Troïka ont entrepris de détruire les fondamentaux diplomatiques du pays. Leur lecture idéologique et assez dogmatique était motivée essentiellement par une vision à la fois idéologique et revancharde des engagements d’un Etat et de la Tunisie spécifiquement. Ayant passé la majeure partie de leur vie à l’étranger, spécifiquement dans des pays avec lesquels la Tunisie n’avait pas de profondes relations, ils sont revenus porteur d’un agenda propre à satisfaire leurs protecteurs : le Qatar, la Turquie de l’AKP, le Royaume Uni, les courants néoconservateurs américains engagés dans le reformatage du monde arabe et de l’Afrique du Nord.
Volontairement ou involontairement, Ennahdha est devenu un des vecteurs de l’action de la Turquie dans son plan de reprise des zones d’influence de la France et de l’Europe en Afrique du Nord. L’action de Marzouki, président provisoire a été d’ailleurs ouvertement favorable à la Turquie et à un micro-Etat : le Qatar. L’influence de ces nouvelles « puissances » de certains groupes idéologiques a poussé la Tunisie dans une posture qui a fait d’elle une porte ouverte vers la crise libyenne.
Dans la présidentielle qui s’ouvre, ce statut de « passage vers la Libye » pèse très lourd sur les financements extérieurs de la campagne électorale actuelle. Jamais, dans son histoire le pays n’a autant aliéné son indépendance et sa neutralité par rapport aux conflits régionaux.
L’ingérence dans la guerre civile syrienne a mis le pays dans un danger à long terme, non seulement en raison d’une implication de criminels de guerre tunisiens potentiellement en capacité de mettre en péril la sécurité du pays, mais surtout en raison de leurs crimes à l’étranger, la Tunisie pourrait être actionnée devant des tribunaux internationaux, si le consentement de l’Etat tunisien dirigé par la Troïka venait à être démontré. Leur envoi s’apparenterait alors à un envoi de mercenaires, le caractère répétitif et massif pourrait accréditer la thèse d’une agression par une troupe irrégulière. Enfin, est-il nécessaire d’évoquer les diplomaties parallèles et parasitaires de Monsieur Ghannouchi dans l’affaire libyenne ou de celle de Monsieur Marzouk dans le même dossier ?
Une porte ouverte aux ingérences extérieures
Cette diplomatie a parasité les fondamentaux du pays, notamment en ce qui concerne l’intégrité de sa décision en interne et à l’extérieur du pays. L’affaire libyenne, l’implication de la Troïka dans l’aide aux factions libyennes et l’accueil sur le sol national de blessés des membres des milices islamistes essentiellement, a fait de la Tunisie la partie prenante d’un conflit extérieur. La Tunisie a dû aliéner sa sécurité lorsqu’elle a été obligée d’accepter sur ordre de Monsieur Marzouki la venue de Marines américains suite à l’attaque de l’ambassade américaine de Tunis.
C’est un cas rare, depuis l’évacuation de la base de Bizerte par l’armée française. Plus inquiétantes sont les ingérences des pays du Golfe dans la politique intérieure, spécifiquement la politique sociale du pays par le biais d’associations caritatives dont certaines, sous couvert du caritatif, ont financé des partis politiques, des associations de prédication et d’envoi de terroristes à l’étranger.
Une diplomatie de la mendicité
C’est le dernier stade du dévoiement de la diplomatie et du bilan diplomatique de la Troïka et d’Ennahdha. Cette orientation malheureuse du temps de Bouchlaka a parasité durablement l’action du pays. Incapable de trouver des voies économiques pérennes pour le pays, ayant été de près responsables du naufrage ».
*Professeur à l’Université de Lyon en France